Du nudisme à Erdeven

Le 27 août 1974, la commune d’Erdeven a droit à un reportage au journal télévisé. Il s’ouvre sur la sympathique musique du film Le gendarme de Saint-Tropez (1964), dont plusieurs représentants défilent sur la plage. Mais pourquoi cette ouverture originale ? En fait, la première comédie de cette série montre le maréchal des logis Ludovic Cruchot faire la chasse aux nudistes, sur l’ordre de son supérieur l’adjudant Jérôme Gerber. Or, les nudistes, voilà bien la source des problèmes d’Erdeven dans la première moitié des années 1970. Un camp naturiste a d’ailleurs ouvert dans la commune voisine de Belz en 1972 : le camping La Pinède.

Dans les années 1970, la plage de Kerminihy à Erdeven. Carte postale. Collection particulière.

Si le nudisme est une pratique connue depuis le début de la pratique des bains de mer, puisque tout le monde n’a pas la possibilité d’acheter, de louer ou de fabriquer un costume de bains, les arrêtés municipaux de police tâchent tout au long du XIXe siècle d’éloigner le plus possible des regards et des lieux civilisés les personnes se baignant nus, voire d’interdire progressivement la pratique.

En France, la redécouverte de la dénudation des corps intervient à partir de l’Entre-deux-guerres. Sur l’île du Levant (Var), les frères et médecins Durville créent en 1931 Héliopolis, la première cité naturiste qui tolère la nudité intégrale. Il faut attendre 1950 pour que soit créée à Montalivet (Gironde) la première plage officiellement naturiste, jouxtant le premier centre de vacances naturiste1. Néanmoins, la pratique n’est pas sans conséquence sur le partage de la plage.

À partir des années 1960, une véritable guerre est entreprise contre les nudistes par certaines autorités et populations locales. Elle est d’abord forte sur la Côte d’Azur, elle s’étend à la côte languedocienne puis partout en France. Même au Cap d’Agde, où, au moment de la création de la station nouvelle voulue par la mission Racine, les frères Oltra ont négocié la conservation, non sans peine, de leur camp naturiste ouvert en 1958, les comportements des naturistes sont étroitement surveillés par l’équipe municipale2. En 1975, le maire d’Ogliastro, près de Bastia, a droit à sa double page dans Paris-Match parce qu’avec une partie de ses administrés, dont le curé, il peinturlure les nudistes qu’il refuse sur une plage isolée3.

Une plage nudiste du sud de la France dans les années 1950. Carte postale. Collection particulière.

À Erdeven, c’est à coups de gourdin que la chasse aux nudistes se déroule. La crainte des opposants aux nudistes est générale : ces derniers veulent s’approprier la plage de Kerminihy, en la privatisant. Les nudistes se font fort de montrer que la plage est, au contraire, ouverte à tous. Au cours des années 1970, une attention particulière à la nature se diffuse au sein de la société française (rapport Picquart, création d’associations environnementales…). Le processus de banalisation du nu sur la plage est également en marche. Le monokini, conçu par Rudi Gernreich en 1963, est promu comme une protestation contre la société répressive et le bronzage seins nus commence à se populariser, même s’il est, aussi, décrié. Mais les nudistes d’Erdeven vont bénéficier d’un autre soutien pour se faire accepter : eux aussi sont hostiles au projet de centrale nucléaire, qui doit s’installer sur le territoire communal et qui est annoncé en novembre 1974. Le projet est abandonné l’année suivante devant la manifestation populaire. Les nudistes obtiennent ainsi une certaine reconnaissance.

En 1983, la pratique naturiste est finalement officiellement tolérée par la population. Erdeven devient ainsi l’une des plus anciennes plages naturistes de Bretagne, dans une région qui ne compte aujourd’hui que 9 plages naturistes (sur 220 plages en France en 2001, homologuées par la Fédération Française de Naturisme).

Johan VINCENT

 

1 BARTHE-DELOIZY, Francine, Géographie de la nudité : être nu quelque part, Paris, Bréal, 2003, p. 99-102.

2 HARP, Stephen, « The Naked City of Cap d’Agde », in ZUELOW Eric G. E. (éd.), Touring beyond the nation ; A transnational approach to European tourism history, Farnham/Brulington, Ashgate Publishing Company, 2011, p. 52-53.

3 « Sus aux nus ! », Paris-Match du 2 août 1975, p. 20-21.