Jean Zay : de l’Arcouest au Panthéon

Le suspens entretenu autour de la prochaine « panthéonisation » vient de prendre fin : Jean Zay (1904-1944) va faire son entrée dans le temple républicain, aux côtés de Germaine Tillion, de Geneviève de Gaulle-Anthonioz et de Pierre Brossolette.

S’il n’a pas ou très peu laissé de traces dans la mémoire bretonne, le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire (1936-1939), originaire du Loiret, connaissait pourtant bien la région.1  En effet, il a passé son « été 36 » à la pointe de l’Arcouest, face à l’île de Bréhat. Ce lieu de villégiature n’est pas anodin, puisque ce petit coin du Goëlo est très en vogue depuis le début du XXe siècle. Les contemporains le nomment même « Sorbonne plage ».2 En effet, plusieurs universitaires et intellectuels parisiens ont pris l’habitude de passer leurs vacances estivales sur la commune de Ploubazlanec. Parmi eux, on trouve l'historien Charles Seignobos, le physicien Jean Perrin et le physiologiste Louis Lapicque. Les époux – Frédéric et Irène – Joliot-Curie, prix Nobel de Chimie 1935, sont également des estivants réguliers de l’Arcouest.

L'Arcouest, non loin de Paimpol: lieu de villégiature privilégié d'une certaine élite intellectuelle. Photo Carac 3.

Nous avons la connaissance du passage de Jean Zay à « Sorbonne plage » par l’intermédiaire de ses écrits de détention intitulé Souvenirs et solitude.3 Cet ouvrage est un formidable essai politico-historique rédigé entre décembre 1940 et octobre 1943, en majeur partie depuis la prison de Riom. Jean Zay y livre une analyse de son action politique sous le Front populaire, tout en envisageant la France après la fin de l’occupation nazie. Son récit raconte également avec force et détails la réalité de son quotidien de détenu. Rappelons tout de même que, lors du procès de Clermont-Ferrand en octobre 1940 – au cours duquel Pierre Mendès France est également condamné à six ans de prison – Jean Zay se voit infliger la même peine que le capitaine Dreyfus : la dégradation militaire et la déportation à vie. Le « Juif », honni de l’extrême-droite – pourtant élevé dans la religion protestante par sa mère – sert de bouc émissaire au régime de Vichy.3 Le 29 avril 1942, il raconte son séjour breton au sein de cette « société de savants » :

« On ne rencontrera plus, l’été, sur la route de l’Arcouest, dans la baie de Saint-Brieuc, entre Paimpol et Bréhat, la silhouette trottinante et menue de Charles Seignobos, ni le sourire irradié de Jean Perrin. L’un et l’autre disparaissent, à dix jours de distance. Mais le second meurt en exil, à New York, tandis que le premier a pu fermer ses yeux sur ce paysage breton, où la lumière a des douceurs provençales. Plozbannalec-l’Arcouest [sic], le « village des savants », avait vu, depuis vingt ans, Louis Lapique, Émile Borel, Frédéric Joliot et Irène Curie, Charles Maurain et combien d’autres bâtir leurs maisons autour de celles de Jean Perrin et de Seignobos. A quatre-vingts ans passés, le vieil historien prenait chaque jour son bain de mer et dirigeait lui-même son bateau d’une main si ferme qu’on  l’appelait « le capitaine », surnom dont il était plus fier que de tous ses titres universitaires. Jean Perrin avait fait construire sa maisonnette, « Ker Yannick », avec le montant de son prix Nobel. Une large baie ouvrait la salle à manger sur la mer, encadrant une anse rocheuse, jonchée d’îlots. On recevait là une hospitalité inoubliable. De bonne heure, on partait en mer et il fallait passer d’un bateau à l’autre, si l’on voulait contrister personne. Le soir, on se rendait mutuellement visite ; on se réunissait chez l’un ou chez l’autre. On dansait la polka ou la valse, au milieu des rires, tandis que Madame Maurain ou le « capitaine » tenait le piano. Une extraordinaire ambiance de jeunesse, une fraîcheur et une gaîté d’écoliers en vacances régnaient autour de ces physiciens et de ces chimistes, de ces mathématiciens et de ces physiologistes, de ces historiens, de ces astronomes, tous glorieux, qui étaient bien les compagnons les plus modestes qu’on pût imaginer. C’était là qu’on découvrait leur naturel affectueux et ce goût des joies simples qui les avait rapprochés. […] »

Carte postale. Collection particulière.

Jean Zay, en tant que ministre de l’Éducation nationale, a réalisé un travail considérable en faveur de l’éducation, de la recherche et de la culture. Il a œuvré pour la démocratisation de l’enseignement secondaire, repoussant notamment la scolarité obligatoire à 14 ans. Il a jeté les bases du CNRS, de l’ENA, des CROUS, qui sont mis en place définitivement à la Libération. Dans le domaine de la culture, il est le créateur du Musée national des arts et traditions populaires et l’initiateur du festival de Cannes, dans le but avoué de contrer la Mostra de Venise de l’Italie fasciste. Sa fréquentation de la « Sorbonne plage » bretonne n’est pas étrangère à cette œuvre, puisque Irène Joliot-Curie est nommée sous-secrétaire d’Etat à la recherche dans le premier gouvernement de Léon Blum. De l’Arcouest au Panthéon, donc.

Thomas PERRONO

 

1 On ne dénombre, par exemple, qu’un seul établissement scolaire portant son nom dans l’académie de Rennes.  Il s’agit de l’école élémentaire publique Jean Zay de Rennes, située aux abords du Parc du Thabor.

2 France culture a consacré une émission de la Fabrique de l’Histoire à « Sorbonne plage » le 5 avril 2010.

3 Les écrits de captivité de Jean Zay viennent d’être republiés en livre de poche : ZAY, Jean, Souvenirs et solitude, Paris, Belin, coll. Poche, 2010. A noter également, l’émission Le Feuilleton sur France Culture qui avait consacré quatre émissions à la lecture de ses écrits en mars 2013.

4 LOUBES, Olivier, Jean Zay. L’inconnu de la République, Paris, Armand Collin, coll. Nouvelles biographies historiques, 2012, p. 160-172.

5 Jean Perrin meurt le 17 juin 1942 à New York et Charles Seignobos le 24 avril 1942 à l’Arcouest.