Morgat : la station balnéaire made in Peugeot

L’histoire joue parfois de bien malins tours. Alors que le raccordement de la péninsule armoricaine au réseau ferroviaire dans la seconde moitié du XIXe siècle concoure largement au développement du tourisme en Bretagne, ce que l’historien J. Vincent dénomme « l’intrusion balnéaire »1, c’est un capitaine de l’industrie automobile qui est à l’origine d’un véritable fleuron hôtelier à Morgat, sur la presqu’île de Crozon, dans le Finistère. Une aventure économique qui doit vraisemblablement tout autant à un coup de foudre pour les lieux qu’à une réelle bosse des affaires.

Carte postale. Collection particulière.

C’est vraisemblablement au début des années 1880 qu’Armand Peugeot découvre Morgat, petit port d’échouage niché au sud du bourg de Crozon et alors uniquement fréquenté  par quelques pêcheurs. Descendant d’une célèbre famille d’industriels francs-comtois, il fait ses études à Leeds, en Angleterre, ce berceau de la révolution industrielle, et est résolument tourné vers la modernité. C’est ainsi qu’en ce début des années 1880 il engage l’entreprise familiale sur la voie de la construction de bicyclettes, les automobiles ne venant que par la suite.

En cette fin du XIXe siècle, Peugeot est déjà une compagnie fleurissante produisant moulins à café, lames de scies, baleines de parapluies, outils de jardin… Suivant les préceptes paternalistes de l’époque, et également pour fidéliser une main d’œuvre assez peu stable, Armand Peugeot met en œuvre un certain nombre de préceptes paternalistes que le football club de Sochaux, par exemple, illustre parfaitement : encadrer les loisirs des ouvriers, pour mieux les éloigner de l’alcool et ainsi préserver la force de travail. C’est ce qui le conduit à investir en 1885 à Morgat pour y créer une station balnéaire. C’est donc sous la forme d’un lotissement que les parcelles du petit village de pêcheurs sont vendues, non d’ailleurs sans certaines difficultés, à un prix défiant pourtant toute concurrence : 60 francs l’are pour les prairies, 30 pour les landes…

Les frais sont toutefois à la charge de l’acheteur et c’est Armand Peugeot qui sollicite l’architecte brestois Abel Chabal pour ériger cette ville balnéaire nouvelle : les deux hommes ont en commun le culte protestant et c’est ce qui serait à l’origine de ce choix. Parmi les joyaux architecturaux qui sortiront de la fructueuse collaboration entre les deux hommes, de nombreuses villas mais aussi deux hôtels : l’Hôtel de Morgat sorti de terre en 1884 et, surtout, le Grand Hôtel de la mer inauguré en 1908. Armand Peugeot suit en effet personnellement les travaux de développements de « sa » station balnéaire et il se dit que, loin de toute tentative de folklorisation, pourtant en vogue à l’époque, le style de certaines constructions n’est pas sans constituer un clin d’œil aux origines franc-comtoises de l’industriel. Autre curiosité, la villa Ker Ar Bruck construite… en tôle galvanisée et que l’on attribue régulièrement à Gustave Eiffel sans pour autant disposer de la preuve de cette prestigieuse signature.

Carte postale. Collection particulière.

Si le paternalisme du patron du chef d’entreprise qu’est Armand Peugeot est une réalité incontestable, c’est sans doute moins cette fibre que la perspective de juteux bénéfices via une opération de diversification économique qui attire le Doubiste en Bretagne. La clientèle visée est d’ailleurs plus celle de la riche bourgeoisie française et britannique que des ouvriers sochaliens. Armand Peugeot est à l’évidence un investisseur avisé, même s’il est peut-être moins soucieux de préservation de l’environnement – notion complètement anachronique pour l’époque – que de considérations esthétiques. En effet, ce pionnier de l’automobile fait stipuler par acte notarié que les constructions de la station balnéaire ne dépassent pas quatre mètres de hauteur, afin de ne pas gêner la vue sur la mer et la pointe de Gador. Pourtant, malgré un prix d’achat du terrain qui paraît aujourd’hui ridiculement bas, l’opération ne se montrera jamais réellement rentable sur le plan financier. Lorsque la famille Peugeot se sépare du Grand Hôtel de la mer dans les années 1980, la bâtisse n’est plus que l’ombre du luxueux palace qu’il fut à la Belle Epoque, avant de renaître de ses cendres grâce à l’aide, notamment, de la commune de Crozon. Armand Peugeot décède lui en pleine Grande Guerre, en janvier 1915.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 VINCENT, Johan, L’intrusion balnéaire. Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008.