Redécouvrons le patrimoine religieux du XXe siècle

Tous les ans, les Journées européennes du patrimoine accueillent des millions de visiteurs. Les Français montrent ainsi un véritable appétit pour les monuments, que ce soient des châteaux, des lieux de pouvoirs, du patrimoine vernaculaire (lavoirs, moulins…), ou bien religieux. Cependant, dans une Bretagne qui regorge de lieux de cultes somptueux – pensons seulement aux calvaires léonards –, le patrimoine religieux du XXe siècle reste encore largement ignoré. Celui-ci est pourtant un formidable miroir du contexte artistique, architectural, mais aussi politique de la Bretagne du siècle dernier.

A ce titre, la chapelle située dans l’ancien établissement catholique Saint-Jean-Bosco, est un parfait exemple pour comprendre cette problématique.1 En 1935, Mademoiselle de Saint-Jouan, châtelaine de Coat-an-Doc’h à Lanrodec, commune rurale des Côtes-du-Nord, fait don de sa propriété à la congrégation des Salésiens dans le but d’y créer un établissement scolaire catholique. En février 1936, l’évêque de Saint-Brieuc, Monseigneur Serrand, bénit l’Institut Saint-Jean-Bosco doté d’un premier bâtiment d’enseignement, d’inspiration régionaliste, accolé au château. Puis en 1939, les travaux de construction d’une chapelle débutent. Ceux-ci se poursuivent jusqu’en 1941.

Vue aérienne de l’Institution Saint-Jean-Bosco dans les années 1950. On distingue de gauche droite : la chapelle, le bâtiment d’enseignement et le château de Coat-an-Doc’h. Carte postale, éditions Cim. Collection particulière.

La structure de la chapelle reprend en grande partie celle de l'Institution Saint-Joseph de Lannion, construite entre 1936 et 1937.2 Elle prend la forme d’une voûte parabolique. La charpente en béton armé est faite d'arcs en section conique qui viennent reposer sur de courtes piles. Cette technique de construction, maîtrisée dès le début du XXe siècle par un architecte comme Auguste Perret, reste remarquable dans ce type de projet au milieu des années 1930. Il faut attendre la période de reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, pour que le béton armé envahisse le monde du bâtiment. Le chantier est supervisé par deux architectes aux parcours différents et très intéressants.

Vue intérieure de la chapelle de Coat-an-Doc’h. Carte postale. Collection particulière.

Le premier, Paul Louis Denis Bellot, dit Don Bellot, est un architecte  dont l’originalité est d’être un moine bénédictin de la congrégation de Solesmes.3 Cette double activité l’amène à construire essentiellement des édifices religieux. C’est ainsi qu’il réalise son couvent, l'abbaye de Quarr, située dans l’Île de Wight, entre 1907 et 1911. Il est à l’écoute des réflexions de son temps en matière de construction, c’est pourquoi il utilise souvent le béton armé dans ses travaux. Don Bellot réalise ainsi l’un des premiers édifices religieux en béton armé en 1932 : l'église Notre-Dame de l'Immaculée Conception, à Audincourt (Doubs).

Le second, James Bouillé est un architecte du « pays », puisqu’il est né à Guingamp en 1894. Son parcours est intéressant pour son engagement religieux et sa volonté de réinsuffler de la créativité dans l’art breton. Il a tout d’abord reçu une formation classique d’architecte français, à l'école des Beaux-Arts de Paris. Toutefois, la Première Guerre mondiale, à laquelle il a participé, forge ses convictions politiques. Il devient alors membre du mouvement nationaliste breton Breizh Atao. Cet engagement politique se double d’un engagement artistique en faveur de la Bretagne. Il est ainsi l'initiateur en 1923 du mouvement artistique Seiz Breur avec la décoratrice Jeanne Malivel et le graveur René-Yves Creston. Dans l’Entre-deux-guerres, ces artistes bretons d’horizons divers refusent la stagnation de l’art breton traditionnel, ainsi que les stéréotypes sur la région qui ont pu être qualifiés de « biniouseries ».  Ils souhaitent redynamiser cet art en s’inspirant de la mythologie celtique, des légendes bretonnes, de l’histoire de la Bretagne, mais également de la religion. James Bouillé est d’ailleurs un fervent catholique. Il fonde ainsi en 1929, l’Atelier breton d’art chrétien, avec Xavier de Langlais. En 1941, cet engagement religieux le pousse à devenir le directeur du mouvement Bleun Brug (Fleur de Bruyère) créé en 1905 par l'abbé Perrot qui œuvre pour la promotion de la foi catholique et la sauvegarde du patrimoine culturel breton. Cette fonction, qui se poursuit durant la Seconde Guerre mondiale au Comité Consultatif de Bretagne, lui vaut d'être inquiété par la justice à la Libération avant de bénéficier d'un non-lieu. Il réalise de nombreuses constructions lors de sa carrière d’architecte, dont les deux chapelles mentionnées auparavant.

Au final, on voit à travers cet exemple qu’une petite chapelle d’institution scolaire catholique, qui ne présente pourtant aucun signe ostentatoire de richesse, possède tout de même un intérêt historique. Celui de nous faire comprendre la Bretagne de l’Entre-deux-guerres. Une région, tout d’abord, qui fait une place aux innovations technologiques dans le domaine de la construction, loin des clichés sur une Bretagne rurale et arriérée. Enfin une région qui est traversée par des courants nationalistes et catholiques, qui ont cherché à renouveler l’art breton. Où comment une petite chapelle devient un support pédagogique pour découvrir la complexité de l'histoire contemporaine.

Thomas PERRONO

 

1 L’Institut Saint-Jean Bosco – appelé également Coat-an-Doc’h – a accueilli, à Lanrodec (22),  entre 1935 et 2012, un établissement secondaire général et horticole. Aujourd’hui, un  l'Établissement public d'insertion de la Défense occupe une partie des locaux.

2 La chapelle de Lannion est inscrite sur la liste supplémentaire des Monuments historiques.

3 Paul Louis Denis Bellot et né à Paris né en 1876 et mort à Montréal en 1944.