Sarah Bernhard et ses Poulains

S’évader. Quitter pour quelques instants le monde, le stress, les représentations et la folie médiatique. Tel est en ces années 1890 d’une époque que l’on dit Belle le vœu de Sarah Bernhard, immense actrice à la renommée internationale, vedette excentrique qui n’hésite pas un temps à dormir dans un cercueil pour se rappeler « la fatalité de son destin de mortelle ».

Carte postale. Collection particulière.

Il est difficile de s’imaginer aujourd’hui le degré de popularité de celle qui joua aussi bien Racine ou Victor Hugo que Victorien Sardou. En 1923, la nouvelle de sa mort fait la « une » de la presse bretonne, de L’Ouest-Eclair au Nouvelliste du Morbihan en passant par L’Ouest républicain qui rappellent que « sa bonté et sa charité y étaient proverbiales ».

Bien entendu, de telles hagiographies ne sont pas rares lors du décès d’une vedette mais on ne peut pas nier les liens qui lient Sarah Bernhard à la Bretagne et inversement. C’est en 1894 que l’idylle – le mot ne parait pas trop fort – se noue entre la célèbre actrice et Belle-Île, qu’elle découvre en compagnie du peintre Georges Clarin. Subjuguée par la pointe des Poulains, elle achète – en une heure ! – un petit fort militaire qu’elle fait restaurer mais qui, bientôt, devient trop petit. Qu’à cela ne tienne ! L’actrice fait construire deux maisons – la Villa Lysiane, du nom de sa petite fille, et Les cinq parties du monde, en souvenir d'une tournée planétaire – pour recevoir ses nombreux invités. Car Belle-Île n’est pas une lubie pour Sarah Bernhard. Il s’agit plutôt d’une sorte de port d’attache, comme en témoignent les 29 étés qu’elle passe jusqu’en 1922, année où, la mort dans l’âme, elle doit se séparer de son immense propriété. Elle l’a d’ailleurs magnifiquement expliqué en des propos aujourd’hui célèbres :

« La première fois que je vis Belle-Île, je la vis comme un havre, un paradis, un refuge. J'y découvris à l'extrémité la plus venteuse un fort, un endroit spécialement inaccessible, spécialement inhabitable, spécialement inconfortable. et qui, par conséquent, m'enchanta. »

Aujourd’hui encore, aller à Belle-Île c’est partir prendre le bateau à Quiberon pour une traversée d’une quarantaine de minutes donnant une infime idée de ce que peut être le bout du monde. Mais en cette toute fin du XIXe siècle, c’est une véritable expédition qui donne bien l’idée du profond désir de retraite éprouvé par la tragédienne. Il ne faut en effet pas moins de 12 heures pour relier en train Paris à Auray puis prendre une chaloupe qui peut parfois mettre plusieurs heures pour atteindre Le Palais ou Sauzon.

Carte postale. Collection particulière.

Contre toute attente, l’île adopte l’actrice et ses idées parfois saugrenues : elle importe ainsi des grenouilles du continent pour les entendre croasser dans des bassins qu’elle fait spécialement creuser à leur attention ! Bien entendu, une telle villégiature est un coup de projecteur sans égal, dimension qui n’est pas à négliger à une époque où se développent les stations balnéaires. Aujourd’hui encore, l’image de marque de l’actrice est d’ailleurs solidement arrimée à Belle-Île. Mais la relation entre ce véritable monstre sacré des planches et les iliens va au-delà de cette dimension marketing. C’est ce que rappelle le redoutable hiver 1911, constellé de nombreux coups de vent qui empêchent les pêcheurs de sortir en mer et plongent de nombreuses familles dans une grande gêne. Or, loin d’être sourde à ces difficultés, la tragédienne se mobilise et leur vient en aide en organisant à Paris une matinée de gala avec de nombreux amis artistes dont les bénéfices sont reversés aux Bellilois et affectés à la construction d’une boulangerie coopérative.

Erwan LE GALL