Jean Robic ou la légende de Tête de cuir

Au Panthéon des cyclistes bretons, Jean Robic (1921-1980) occupe une place à part. Le Morbihannais de Radenac, né pourtant dans les Ardennes, est loin d’avoir une allure d’athlète sur son vélo. Son petit gabarit – 1,61 m pour 60 kg – lui vaut notamment le surnom de « Nain jaune ». Aux yeux du public, qui l’apprécie particulièrement, Robic représente une Bretagne rurale, paysanne. Il incarne une sorte de stéréotype du Breton.

Carte postale promotionnelle. Collection particulière.

Lors de sa victoire dans le Tour de France 1947 – le premier Tour d’après-guerre – Jean Robic court sous le maillot blanc à parements rouges de l’équipe de l’Ouest. Il a pour coéquipiers les Bretons Jean-Marie Goasmat, Pierre Cogan, Ange Le Strat, Raymond Guégan, André Mahé, Eloi Tassin, Roger Pontet et les Normands Gaston Rousseau et Louis Bocquet. Cela contribue à renforcer son ancrage de champion « du pays ». D’autant plus qu’il aurait dû courir ce Tour sous les couleurs de l’équipe de France, avant de n’être finalement pas sélectionné dans la formation dévouée à faire gagner René Vietto. Et quand en 1948 et 1952, Robic porte les couleurs tricolores sur le Tour de France, il n’y trouve jamais sa place. Il se plaint de devoir faire la course pour d’autres coéquipiers, notamment Louison Bobet ; ou bien de ne pas être suffisamment soutenu par l’encadrement quand il a l’opportunité de remporté une deuxième victoire finale. Si sa relation avec la prestigieuse équipe de France est contrariée, Robic tisse des liens forts avec la Bretagne, en témoigne l’offrande de son maillot jaune du Tour 1947 à la basillique de Sainte-Anne-d’Auray.

Jean Robic, c’est aussi un caractère bien trempé, en témoigne la paire de chaussures envoyée à la figure de son directeur sportif qui lui dit de se contenter, à l’issue du contre-la-montre Vannes – Saint-Brieuc et à deux jours de l’arrivée, de sa troisième place sur le Tour 1947. Le champion breton met un point d’honneur à attaquer dans la dernière étape entre Caen et Paris pour aller décrocher ce maillot jaune qu’il avait promis à sa jeune épouse Raymonde, faute de fortune à lui offrir… Mais Robic aime également se montrer railleur, ce qui lui vaut de nombreuses inimitiés dans le peloton. Son grand rival breton Louison Bobet est le premier à en faire les frais, puisqu’il le surnomme « Louisette Bonbon », lui trouvant un côté « précieux » et « pleurnichard ».

Tout ceci a contribué à construire la légende Robic. Celle d’un personnage à part dans le peloton. Comme lorsqu’il met du plomb dans ses bidons accrochés sur son guidon, afin de lester son vélo de quelques kilos supplémentaires dans l’espoir de descendre plus vite les cols de montagne. Ou bien l’histoire de son bidon rempli au trois-quart « d’ersatz de café » et le reste avec du calva lors du contre-la-montre Vannes – Saint-Brieuc et de la dernière étape de son Tour victorieux de 1947, ce qui, selon ses propres mots, lui a permis de « faire une belle performance » !1

Lors du Tour 1947. Carte postale commémorative publiée par le journal L'Equipe, sans date. Collection particulière.

Mais plus encore, Jean Robic est indissociable de la légende de « Tête de cuir ». Alors que les coureurs de l’époque portent des casquettes, le Morbihannais se distingue avec son casque fait de lanières de cuir, à la façon des des pistards sur les vélodromes. N’y voyons ici aucune coquetterie, puisque c’est bien par sécurité que Robic se protège la tête. Sa chute lors de l’édition 1944 du Paris-Roubaix lui a valu une fracture du crâne et un mois d’hospitalisation. Il connait le même coup du sort en 1946 lors de la même course. Toutefois, cette déguaine lui vaut les moqueries des autres coureurs et il y gagne un surnom. Raphaël Géminiani, brillant jeune coureur au parler haut – et par ailleurs futur entraîneur et ami de Jacques Anquetil –, aime raconter qu’il a mis en doute les capacités de protection du casque de Robic lors d’une étape. Ce dernier serait alors descendu auprès d’une moto de dépannage afin d’y trouver un marteau. Puis après s’être mis un violent coup sur le crâne, le Breton serait resté de marbre afin de faire taire ses moqueurs, alors qu’un filet de sang coulait le long de son visage. Et c’est là que la légende rejoint parfois le mythe, puisque l’on trouve des traces de cette même histoire mais dans un cadre différent, celui de l’atelier de sa propriété parisienne avec ses amis André Mahé et Bano Caffi.2 Mais au final, quoi de plus normal que les exploits des forçats de la route – selon l’expression d’Albert Londres – soient entourés d’une part légendaire, voire mythique dans ces années 1940-1950? La télévision ne retransmet par encore chaque fait et geste des coureurs. Ces derniers sont alors, à l’instar des navigateurs dans les mers du Sud, un peu comme lâchés à l’aventure sur les routes de France.

Thomas PERRONO

 

 

 

1 Témoignage de Jean Robic à voir sur le site de l'INA à partir de 4’30’’.

2 DE MONDENARD Jean-Pierre, Les grandes premières du Tour de France, Paris, Hugo Sport, 2013.