1er juin 1916 : le 71e RI attaque sur le Mort-Homme

C’est en février 1916 que le 71e RI rejoint la zone que l’on qualifie de « région fortifiée de Verdun », la RVF, avec les autres régiments de la 19e DI. Dès le 20 février au soir, le régiment reçoit l’ordre de se tenir prêt à faire mouvement le 21 à 1h00. Et c’est alors que, ce 21, l’attaque allemande se déclenche contre Verdun que le 71e prend la route : le jour même, avec le 48e RI de Guingamp, il rejoint le secteur de la forêt de Hesse, près d’Avocourt, aux limites est de la RFV. Débute ainsi une période passée de manière continue dans le secteur de Verdun jusqu’à la fin du mois d’août 1916, ce qui vaudra à la 19e DI le surnom de « division record de Verdun ». Ce nom ne signifie pas grand-chose en fait, tant peuvent être fort variables les conditions d’un séjour en première ligne à Verdun – comme ailleurs.

Ainsi, ce premier séjour sur le front de Verdun qui dure jusqu’au 2 mai se révèle plutôt tranquille : certes, plusieurs soldats sont tués dans les premiers jours par les tirs de l’artillerie ; mais le hasard fait que le 71e RI n’est pas concerné par l’offensive allemande dans les bois de Malancourt fin mars, non plus que par celle dans le secteur d’Avocourt courant mai. Il n’a par ailleurs pas eu à participer à des opérations offensives au cours des deux premiers mois passés ici. Avec une soixantaine de morts, le régiment s’en sort bien mieux que les 48e, 70e ou 270e RI, ce dernier ayant perdu un bataillon complet ou presque.

Fin mai, une nouvelle phase de la bataille débute pour la 19e DI : celle qui conduit le 71e RI et, de manière plus large, les autres régiments de la division dans le secteur du Mort-Homme.

Un secteur particulièrement actif

Ce secteur du Mort-Homme et de la cote 304, au nord de Chattancourt, est le plus agité de la rive droite de la Meuse : le fait que le sommet du Mort-Homme, à 295 m d’altitude sur les cartes d’état-major de 1916, ne culmine plus qu’à 285 m aujourd’hui du fait des bombardements le dit implicitement.

Le 71e RI, en repos depuis le 2 mai, gagne Blercourt en autos-camions le 29 mai. De là, il rejoint le secteur situé entre le Mort-Homme et Cumières après avoir transité par le Bois Bourrus. A peine en ligne, le 31 mai, les compagnies du 2e bataillon reçoivent l’ordre de participer à « un nouvel effort » mené par les troupes tenant déjà le secteur : « non plus attaque à la grenade dans les boyaux, mais [une] attaque véritable à travers champs et cherchant à prendre des deux côtés le boyau de Valence jusqu’au-delà de 265 » ordonne le général commandant le secteur1.

Chattancourt. Vue panoramique sur le Mort-Homme, le Bois des Caurettes et Chattancourt. BDIC: VAL 185/057.

Cette attaque est déclenchée le 31 mai à 20h00, malgré le feu de l’artillerie allemande sur les premières lignes françaises depuis 19h30. Alors que les soldats sortent de leurs tranchées, quatre mitrailleuses allemandes se dévoilent à l’ouest, tandis que le tir de barrage ennemi se fait particulièrement intense, causant « d’assez fortes pertes » selon les JMO, empêchant la section du 71e qui participe à cette attaque d’atteindre le boyau de Valence, son premier objectif, d’autant qu’il est occupé par une compagnie ennemie : alors que l’attaque des poilus bretons a « été poussée jusqu’à 50 mètres environ du coude que fait le boyau de Valence sur la pente nord du Mort-Homme », le commandant de la section aperçoit « à la lueur d’une fusée allemande 150 soldats ennemis environ déployés entre le boyau de Valence et nos lignes et cherchant à encercler » ses hommes. Malgré le tir de barrage, il n’y a d’autre solution que de se replier vers les positions de départ, entre autres l’ouvrage dit des Zouaves. Les pertes de cette première action restent limitées : le 71e RI ne compte qu’un mort, 22 blessés, mais aussi six disparus.

L’attaque est cependant renouvelée dès le lendemain, sur une plus large échelle – les 6e et 8e compagnies sont cette fois concernées –, alors que les lignes françaises sont sous le feu permanent des canons de 150 et 210 mm allemands. Prises à nouveau sous le tir des mitrailleuses de l’ennemi, les deux vagues d’assaut des 2e et 3e bataillons du 71e RI doivent rapidement « s’arrêter » puis « s’accrocher au terrain, décimées progressivement par le tir de barrage allemand et les mitrailleuses » écrivent les JMO2. Elles finissent, une nouvelle fois, par se replier du fait de l’intensité des tirs ennemis. Le bilan de cette nouvelle attaque se ressent de ce déluge de feu : l’on compte cette fois 14 tués (dont trois officiers) et une soixantaine de blessés.

Le 71e RI change alors de posture, abandonnant toute velléité offensive. Dans les jours suivants, l’on se contente de patrouilles entre les lignes, de nuit, alors que les pertes s’accumulent du fait des tirs de l’artillerie lourde allemande… mais aussi de ceux des 75 français qui, régulièrement, tirent trop court. Le 2 juin, ce sont à nouveau trois morts et 37 blessés, quatre tués et 20 blessés le 3 – dont trois du fait d’obus de 75 français… –, 10 tués, 10 blessés et un disparu le 4 juin, deux tués et 15 blessés le 5, avec une fois encore des tirs trop courts. Peu à peu cependant, les pertes se font moins nombreuses, malgré les bombardements…

« Sous les obus allemands qui pleuvent »

Le bombardement est ici incessant, dominé par les tirs de l’artillerie lourde, jusqu’au 280 mm le 6 juin. Ce jour-là, les JMO indiquent que « des pièces à longue portée […] nous écrasent plusieurs abris de la 2e position » 3. « Nous passons ainsi bien tristement la fête de l’Ascension sous les obus ennemis qui pleuvent à la lisière du bois » se souvient l’abbé Le Levier, aumônier au 3e bataillon du 71e RI4.

Dans ce conditions, « toute communication avec l’arrière est impossible le jour, très difficile la nuit par deux boyaux et un mauvais chemin reliant le Bois Bourrus à Chattancourt ». Les conditions de vie des soldats s’en ressentent, d’autant que les possibilités offertes aux poilus pour se protéger restent limitées, que ce soit dans les premières lignes ou plus loin, à l’arrière-front. « Nous n’avons pas d’abris, les hommes sont couchés dans des éléments de tranchées à peine creusées ; seul le poste de secours pourrait peut-être garantir d’un 105 » écrit Le Levier.

L’abbé Le Levier, aumônier au 71e RI, ici en Argonne en novembre 1915 (coll. A. Crochet)

Rapidement, la fatigue s’accumule, d’autant qu’en raison du bombardement, « les hommes […] ne peuvent se reposer de jour et travaillent la nuit ». On est là au cœur de la bataille de Verdun telle qu’on se l’imagine, bien loin des conditions connues dans le secteur d’Avocourt de février à début mai. Au poste de secours de son bataillon, l’abbé Le Levier explique qu’ici, « tous les jours se ressemblent et l’emploi du temps est ainsi composé » :

« Lever à 12 ou 13 heures, déjeuner, correspondance, visite aux tranchées. 19 ou 20 heures, dîner, pain et viande de conserve ; 21 heures, les blessés commencent à arriver. Je les vois tous, fais leurs fiches d’évacuation, aide aux pansements, fouille les morts, dresse l’inventaire de leurs objets ; ensuite, réfection des dégâts causés par le bombardement dans notre boyau jusque 2 heures du matin, heure à laquelle les derniers blessés peuvent encore partir. Tout le travail est terminé vers 4 heures du matin. On peut alors prendre le principal repas, apporté dans la nuit par le ravitaillement : pain, viande froide, deux quart de vin, un quart de café et l’eau de vie. »5

A ce rythme particulier de vie, faisant de la nuit la phase la plus active, il faut ajouter les effets de la faim et de la soif, le ravitaillement ne parvenant que difficilement en première ligne du fait des tirs de barrage ennemis : « le ravitaillement se fait si difficilement que les hommes préfèrent ne pas aller chercher leurs distributions et se contentent de biscuits et de singe. Aucune boisson, pas même d’eau » écrit Le Levier début juin… Le bombardement « nous empêche tout ravitaillement » confirme-t-il mi-juin, après une période de repos et un retour en ligne. « Il faut se contenter des vivres de réserve ; nous n’avons même pas d’eau. Le soleil brûle et nous sommes incommodés par les grosses mouches qui abondent sur les cadavres couvrant la plaine ». « Quand il pleut, ces mouches forment des essaims collés aux parois des boyaux, on y met le feu pour en détruire le plus possible » conclut le prêtre.

Chattancourt, au pied du Mort-Homme, le 16 juin 1916, au moment où le secteur est tenu par le 71e RI et les autres régiments de la 19e DI.

BDIC: VAL 185/067.

La mort est omniprésente en effet : aux pertes plus importantes qu’en temps normal, s’ajoutent les cadavres restés entre les lignes, que l’on ne peut aller chercher, pour certains présents depuis la nouvelle organisation des lignes suite aux offensives allemandes de mars-avril dans ce secteur. En cela, Les fantassins du 71e RI retrouvent, par bien des points, les conditions qui étaient les leurs un an auparavant, en pleine offensive d’Artois, à la fin du printemps 1915. Ici cependant, les attaques laissent rapidement la place à de simples coups de main.

Des coups de main, faute de véritable attaque

A défaut de pouvoir repousser l’ennemi, les troupes françaises qui se succèdent dans le secteur, soumises aux bombardements permanents, limitent leurs actions à des coups de main aux objectifs très limités, aux résultats tout aussi réduits, mais qui contribuent à amplifier les pertes. Ainsi de celui déclenché par les 7e et 8e compagnies le 6 juin, dont l’objectif principal est de ramener des prisonniers.

Deux groupes d’une soixantaine d’hommes chacun sont constitués, commandés l’un et l’autre par un officier. Chaque groupe est renforcé par des grenadiers, la grenade étant l’arme par excellence des opérations d’infanterie à Verdun. Les JMO rappellent que les soldats adaptent leur équipement à cette mission : « les hommes étaient sans sac et avaient des outils portatifs, eau, vivres de réserves, grenades et 2 sacs à terre au ceinturon » précise le compte-rendu de cette attaque, laissant entendre que s’il ne s’agit pas, a priori, de s’installer dans les tranchées allemandes, on s’en donne les moyens si l’occasion s’en présentait.

L’attaque est lancée à l’heure prévue. L’officier qui commande la section d’attaque, le sous-lieutenant Boishardy, parvient à atteindre la première ligne ennemie avec une partie de son groupe. Il est cependant blessé au cou, tandis que ses trois sous-officiers ont été tués. Une contre-attaque allemande contraint ce premier groupe à se replier, son chef étant tué d’une balle à la tête. La 2e section réussit elle aussi à avancer jusqu’à la tranchée allemande, à s’y installer, malgré les pertes dues au tir de barrage. Rapidement cependant, elle se trouve « encerclée par une contre-attaque violente ». Selon les JMO, « une lutte à la grenade, à la baïonnette s’engagea et la section ne pouvant se dégager, disparut en partie en tués, blessés ou prisonniers »…

Le bilan de cette attaque est révélateur : si quatre prisonniers allemands peuvent être ramenés, l’on compte au total au soir du 6 juin, 17 tués (dont un officier), 17 blessés et 60 disparus.   

 

 

« Aucune période de tranchée ne mit autant à l’épreuve la ténacité et la solidité du soldat breton » écrit de manière très significative l’abbé Le Levier dans les carnets de route qu’il a rédigés après-guerre. Jusqu’à la relève du 21 juillet, les bataillons du 71e RI alternent en effet périodes en ligne – avec les pertes qui cela implique –, en général pendant 6 jours, et période de repos un peu à l’arrière, là encore pendant 6 jours.

Les pertes du 71e RI lors de son séjour en ligne sur le Mort-Homme d’après les JMO (mai-juillet 1916).

Certes, le niveau de violence diminue partiellement à compter du 19-20 juin, alors que le centre de gravité de la bataille rebascule sur la rive droite, autour de Fleury et Thiaumont. Il n’y a d’ailleurs qu’une demi-douzaine de morts en juillet 1916 au 71e RI. Même sur le Mort-Homme….

Yann LAGADEC

 

1 SHD-DAT: 26 N 659/2, JMO du 71e RI, 31 mai 1916.

2 SHD-DAT: 26 N 659/2, JMO du 71e RI, 1er juin 1916.

3 SHD-DAT: 26 N 659/2, JMO du 71e RI, 6 juin 1916.

4 Carnets de l’abbé Le Levier, coll. part.

5 Carnets de l’abbé Le Levier, coll. part.