Le Labyrinthe et le communiqué officiel

S’il est un lieu du front occidental qui dit bien la complexité des combats de la Première Guerre mondiale, c’est le Labyrinthe, au nord d’Arras, entre Ecurie et Neuville-Saint-Vaast. Aujourd’hui, cette portion du champ de bataille se situe sous une gare de péage autoroutière et seule la proximité de deux nécropoles militaires semble indiquer au conducteur que, sous ses roues, il y a un siècle, se déroula un véritable drame. Mais en 1915, le Labyrinthe est tellement connu que les combats qui s’y déroulent ont les honneurs de la presse nationale, à commencer par le quotidien Le Temps et l’illustré Sur le Vif qui reproduisent, à quelques jours d’intervalle, le même communiqué officiel.

Photographie du Labyrinthe, dans le secteur de Maison Blanche, publiée dans Le Miroir en juin 1915. 1418, Documenti e immagini della grande guerra.

En tant qu’objet d’histoire, ce haut-lieu de la Grande Guerre rappelle efficacement l’impasse que constitue la guerre de positions et la formidable complexité des réseaux de tranchées creusées par les poilus. Comme dans le fameux palais de Cnossos où Thésée affronte le Minotaure, c’est dans un véritable dédale qu’évoluent les poilus. Le Labyrinthe est en effet décrit comme un enchevêtrement « de blockhaus, d’abris, de tranchées et de boyaux, dont nos avions nous avaient rapporté l’impressionnante image ». Quel contraste avec août 1914 où les tranchées de Charleroi ne sont que de simples « couverts », de vulgaires « trous de protection », et où l’Armée française ne dispose d’aucun moyen aérien pour reconnaitre le terrain ! Ce décalage, qui a été étudié à l’échelle du 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo, est caractéristique de l’entrée en guerre, c’est-à-dire du passage du conflit tel qu’il est anticipé à la Belle époque au conflit tel qu’il survient réellement.

Il est vrai que les combats du Labyrinthe sont aux antipodes des grandes manœuvres du temps de paix calquées, ne serait-ce que quelques semaines encore avant l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand, sur le modèle napoléonien. Dans ce dédale, c’est en effet pas à pas, boyau par boyau que l’on se bat, comme dans une préfiguration de la bataille d’Alger. Loin des héroïques charges à la baïonnette d’antan, c’est à la grenade, au mortier, à coups de pétards et entre des barricades que l’on se bat.

C’est en cela que le communiqué officiel publié par Le Temps en juin 1915, est intéressant. En magnifiant la conquête du Labyrinthe et en saluant ces « trois semaines d’héroïsme », ce texte rappelle toute l’ambiguïté des grignotages de Joffre. En effet, que sont deux kilomètres de fortification à l’échelle du front de la Grande Guerre ? De plus, si le communiqué insiste sur les pertes allemandes, le recours aux archives permet de mettre en évidence les pertes françaises, tout aussi immenses mais passées sous silence. Ainsi, à l’échelle du 47e régiment d’infanterie, ce ne sont pas moins de 400 poilus qui trouvent la mort lors de ces épouvantables combats. Autant de victimes de cette dramatique, mais ô combien passionnante et stimulante, entrée en Première Guerre mondiale.

Yves-Marie EVANNO