Accident meurtrier au 3e RAP

Ce 5 octobre 1915, c’est un accident tragique qui va frapper de plein fouet la 53e batterie du 3e régiment d’artillerie à pied, composé principalement de Bretons. Depuis le mois d’août, le 3e RAP se met en place afin de faire parler le canon lors de la bataille de Champagne, fin septembre. Pour la batterie, 4 pièces de 270mm de côte, ces gros canons qui défendaient nos côtes et que l’on a démontés, sont mises en place entre Perthes-lès-Hurlus et Souain. Ce sont des mortiers quelque peu désuets, datant de 1889, mais qui rempliront parfaitement leurs missions, faute d’artillerie lourde plus moderne. Rappelons qu’en août 14, la France disposait de 308 pièces contre plus de 2.000 aux Allemands. D’un calibre français de 155 maximum contre du 420 allemand, d’où le « démontage » de toutes ces pièces.

Artilleurs s’afférant autour d’une pièce. Collection Michel Delannoy.

Durant la préparation d’artillerie précédant l’attaque du 25 et les jours qui suivirent, les 4 pièces du capitaine Blot se montreront efficaces. Tout comme celles des capitaines Gateau et Martin qui l’entourent, formant le 2e groupe de 270. Mais ce 5 octobre, contre toute attente, la mort va venir frapper de plein fouet la batte-rie Blot. Destin tragique qui ne sera pas dû à l’ennemi comme on pourrait s’y attendre, mais bien à la défaillance de notre propre matériel. De plus, en période de tir, les servants sont nombreux autour de la pièce, une quinzaine si nécessaire. Et ce 5 octobre, nous sommes à la veille d’une nouvelle offensive, le commandement ordonnant alors les tirs de réglage nécessaires.

Survient l’accident rapporté par un extrait du journal des marches et opérations : une des deux pièces de la batterie L14 éclate au cours du réglage sur le point i, l’autre pièce est mise hors de service1. Position L14, entre le bois des Bouleaux et le bois des Sapins, 400m au nord du chemin de Perthes à Souain. Déjà, 2 jours avant, une autre pièce avait éclaté, provoquant la mort du canonnier Gaillardeau, ainsi que quatre autres blessés. Mais là, le bilan est beaucoup plus lourd : 5 morts et 13 blessés.

Cinq canonniers aux parcours et origines bien différents, quelque peu surprenants même. Joseph Louis Perfézou, né à Brest, mais qui s’est marié sur Paris en 1909, lui l’ingénieur civil. Jules Monnier, né à L’Île Tudy, qui exerce la profession de frappeur (celui qui martèle à la forge) à Belle-Île, Chantenay, ou Nantes en fonction des époques. Yves-Marie Boustouler, né à Kermaria-Soulard, près de Perros-Guirec, cultivateur à Jersey, au vice-consulat de France depuis 1908. Jean-Marie Laudrin, né à Kerléguen dans le Morbihan, cultivateur. Enfin, Martin Antoine Ormières, né à Fangeaux dans l’Aude, lui aussi cultivateur. Agé de 18 ans, il s’engage le 19 août 1914 à Carcassonne au titre du 3° RAP. Suite à son décès, un secours de 150 francs sera d’ailleurs envoyé au père, le 3 décembre 1915. Trois cultivateurs, un frappeur et un ingénieur civil, tous soldats-canonniers, tous tués autour de leur pièce. N’oublions pas les 8 autres blessés suite à cette explosion complètement accidentelle.

Là où reposent les victimes de ce 5 octobre 1915. Collection Michel Delannoy.

De cet évènement, le lieutenant Longuet, de la 11e batterie du capitaine Gateau, aura immortalisé les cinq tombes et ce tube meurtrier qui trône au centre de cet enclos improvisé. A l’abri, derrière ces barbelés, ces cinq carrés de planche sur lequel on aura déposé une gerbe et le casque Adrian. Plus en arrière, au centre du dispositif, cette grande couronne portant l’inscription : le lieutenant-colonel commandant la fraction du régiment à ses braves de la 53e batterie. On remarquera sur la gauche ces 5 bouteilles vides dans lesquelles on disposait ce bout de papier portant le nom et les conditions du décès des intéressés. Elles n’ont d’ailleurs pas encore rejoint leurs destinataires.

Michel DELANNOY

 

1 SHD-DAT : 26 N 1085/16.