Alfred Roth, préfet mort au combat

En octobre 1919, la préfecture du Morbihan adresse au ministère de l’Intérieur le tableau récapitulatif des professions des « décédés ou disparus » lors de la guerre. Dans cette liste, une profession interpelle : préfet1. Chose rare, si ce n’est unique, Alfred Roth, préfet du Morbihan en 1914, trouve la mort quelques mois plus tard dans la Somme. Une tragédie qui brise soudainement une carrière fulgurante et méconnue.

Le préfet Roth, au cenre, sur les marches de l'Hôtel de Ville de Vannes, à l'occasion de la remise du drapeau des Médaillés militaires, le 15 août 1913. Archives municipales de Vannes.

Alfred Roth naît à Paris le 1er août 1879. Ses parents, Alsaciens, ont quitté quelques années plus tôt leur terre natale, refusant l’annexion allemande. Elève studieux, Alfred Roth entre à l’Université pour y suivre des études de Lettres. En 1905, alors qu’il n’a que 26 ans, il est engagé comme chef de cabinet du préfet du Pas-de-Calais. Peu de temps après avoir pris ses fonctions, il doit gérer la catastrophe de Courrières. Le 10 mars 1906, plus de 1 000 mineurs succombent dans l’éboulement d’une galerie. S’en suit un important mouvement de grève qui nécessite l’intervention du ministre de l’Intérieur Georges Clémenceau. Ce dernier est alors séduit par les compétences d’Alfred Roth, au point de le débaucher pour en faire son chef de de cabinet en 1907.

La chute de Clémenceau en 1909 ne vient pas rompre sa belle ascension. Alors qu’il n’a que 30 ans, d’Alfred Roth est nommé préfet du Morbihan. Pendant plus de six ans, il coordonne de nombreux projets visant à moderniser le département. L’Ouest-Eclair insiste sur ce point en précisant qu’il « stimula avec le zèle des commissions départementales pour  la construction des ligues de chemins de fer, l'extension du réseau téléphonique, la réorganisation des services d'assistance, etc »2. Mais Alfred Roth s’est surtout distingué pour avoir lutté avec véhémence contre l’alcoolisme en « limitant le nombre des débits de boissons par l'interdiction d'ouverture de nouveaux établissements dans une zone déterminée, suivant l'importance des localités »3.

En 1914, lorsque le conflit éclate, il est le plus jeune préfet en fonction. Loin du front terrestre, il est pourtant rapidement affecté par la mort de l’un de ses frères en octobre 1914. S’il n’y a pas de lien de causalité avéré, il démissionne quelques mois plus tard, en 1915. Il regagne le département de la Seine pour s’engager volontairement dans l’armée. Mais le 5 juillet 1916, peu de temps après avoir découvert le feu des combats, il est tué dans la Somme. La préfecture du Morbihan, déjà affectée par la mort d’Henri Collignon, ancien secrétaire général, perd l’un de ses plus illustres préfets.

Très vite, Alfred Roth devient un symbole, celui d’un fonctionnaire qui aurait pu rester un embusqué. Les éloges pleuvent alors dans la presse qui salue avec insistance son courage. Dans une lettre adressée à Clémenceau le 6 juillet 1916 et très largement diffusée dans la presse locale, son ami et camarade, le capitaine Walter, insiste sur l’exemplarité de l’homme :

« Je tiens à vous demander surtout de dire bien haut comment il est parti de Vannes et comment il est mort. Il faut que tant de grandeur, qu’une si belle et si claire volonté d’homme ne soient pas perdues en un instant de combat. Il faut qu’elles servent au pays qui en a besoin. »4

Carte postale. Collection particulière.

Les pouvoirs publics se préoccupent également de rendre hommage à l’ancien préfet. En 1917, une souscription est lancée afin de réaliser un buste en bronze à son effigie. Un sculpteur mobilisé au 148e régiment d’infanterie caserné à Vannes est chargé de sa réalisation5. L’œuvre est inaugurée à l’issue de la session du Conseil général du 16 septembre 1918 en présence du préfet Pierre Guillemaut et de Louis Nail, ministre de la Justice, présent en sa qualité de président du Conseil général6. A la suite de cette présentation, l’assemblée décide de lancer une souscription pour rendre un hommage similaire à une autre figure du département disparue dans des conditions semblables le 13 juillet 1916, le député Josselin de Rohan-Chabot : le buste est inauguré le 24 avril 1923. Aujourd’hui encore, les deux statues sont conservées à la préfecture de Vannes. Elles témoignent de la tragédie d’une guerre qui a touché tous les strates de la société, même les élites.

Yves-Marie EVANNO

 

1 Arch. dép. du Morbihan : R 1289. Statistique par professions des décédés et disparus au cours des hostilités, 15 octobre 1919.

2 « La mort du préfet Roth tué à l’ennemi », L’Ouest-Eclair, 17 juillet 1916, p. 1.

3 Ibid.

4 « Alfred Roth », Le Progrès du Morbihan, 15 juillet 1916, p. 1.

5 Il s’agit d’un dénommé Vannier. Pourtant rien ne permet de confirmer s’il s’agit du sculpteur parisien Paul Vannier.

6 Rapports du préfet et délibération du Conseil général du Morbihan, 16 septembre 1918.