Chansons du temps de guerre : Botrel et les autres

Dans son n° 12, daté du 20 mai 1915, L’Echo des tranchées, le journal du 17e RIT, le régiment territorial de Bernay, dans l’Eure, publie un texte de Théodore Botrel. A en croire la feuille militaire, le chansonnier breton, « auteur de tant de chansons populaires remarquables par la simplicité savante de leur forme et par la sincérité de leur accent, a bien voulu composer pour le 17e territorial les beaux vers » publiés. Est-ce vraiment le cas ? Difficile de le dire. Certes, le « barde aux armées » fait montre tout au long de la guerre de capacités hors-normes en matière de composition. C’est, par exemple, lors d’une visite au 41e RI, le régiment rennais dans lequel il s’est engagé en août 1914, qu’il compose ce qui va devenir le chant de ce régiment, conservé jusqu’à sa dissolution en 1999, On m’assassine…

Au camp de prisonniers de Dinan. Dessin de Maurice Orange. Collection particulière.

Mais, en évoquant « les gâs bretons du dix-neuvième », comprendre du 19e RI de Brest, qu’il « bonjoure » en « brezonnek » dans le secteur de La Boisselle, dans la Somme, Botrel laisse entendre qu’il a replacé auprès des territoriaux de l’Eure une chanson plus ancienne.
19e ou 41e RI ne sont pas les seules unités bretonnes qui, au cours de la Grande Guerre, se dotent de chants de ce type. L’on connait, par exemple, une chanson composée pour le 73e RIT de Guingamp, une autre à la gloire de la 87e DT, la division territoriale dite « division de granit », associant aux 73e, 74e et 76e RIT (Guingamp, Saint-Brieuc, Vitré) deux régiments normands, tandis que deux gwerziou rappellent – en breton – le parcours du 248e RI (Guingamp).

Il y en a d’autres encore sans doute, souvent difficiles à repérer ou identifier, poèmes ou chansons publiés dans la presse locale bretonne ou dans les journaux de tranchée. On connait ainsi les circonstances qui président à la création de la musique du 78e RIT, unité dont le dépôt se trouve à Saint-Malo. Aussi cet article se veut-il avant tout un appel aux lecteurs d’En Envor avec l’espoir que l’on puisse mettre en ligne sur ce site, d’ici quelques semaines, le texte de ces chansons évoquant la Grande Guerre des régiments bretons.

Yann LAGADEC

 

Le 41e RI, régiment de Théodore Botrel. Carte postale. Collection J.-Y. Coulon.

Une croix dans la tranchée

Nous suivions la tranchée à vingt mètres des Boches,
Silencieux, le dos voûté, le pied glissant.
Et les canons « tapaient » là, près de nous, si proches
Que le vent des obus nous fouettait en passant.

Nous voyions, à travers les créneaux, La Boisselle,
Son petit cimetière et son ilot brumeux :
Paysage banal qu’un frôlis de ton aile
A fait sublime – Ô Gloire ! et pour jamais fameux.

Nous bonjourions les gâs bretons du dix-neuvième
A leurs postes d’écoute au bout des longs boyaux :
On se disait deux mots – « brezonnek » parfois, même –
Les « Tiens bon ! » se croisaient avec les « Kénavos ».

Quand, tout à coup, je vis au ras de la tranchée
Une petite croix faite avec deux roseaux :
Croix sans date et sans nom, timidement cachée
Comme en font les enfants sur les tombes d’oiseaux.

Qui donc était ce mort ? Quand tomba-t-il ? Mystère !
Il était de ceux-là qu’on note « disparus »
Et qui, devant les yeux des remueurs de terre,
Sous un coup de leur pic, un soir, sont reparus.

On ne dérange pas le corps du camarade :
On salue, on se signe et le travail reprend ;
Si bien qu’il reste encor (là sous la fusillade
Soldat jusqu’au-delà du tombeau) dans le rang !...

…Et devant l’humble croix, saisi d’un trouble étrange,
Je me sentis jaloux de ce mort radieux
Qui, face à l’Ennemi, dans son linceul de fange
Dormait le grand sommeil des héros et des dieux !

Théodore Botrel