Deux ans après : dénoncer pour mobiliser

Deux ans jour pour jour après le tocsin de la mobilisation générale, le député des Côtes-du-Nord Charles Meunier-Surcouf publie une tribune indignée en une du grand quotidien breton L’Ouest-Eclair. Si son propos et son intention demeurent classiques – dénoncer la « barbarie » du « boche » et (re)mobiliser les Français.e.s – la rhétorique employée mérite une certaine attention1.

Carte postale, collection particulière.

En effet, alors que la bataille de Verdun fait rage depuis plusieurs mois et que celle de la Somme, censément aboutir à la percée tant désirée du front ennemi, piétine au prix de milliers de morts depuis le 1er juillet 1916, c’est la grande déportation des femmes de Lille qui attire l’attention du parlementaire breton. En avril 1916, les autorités allemandes d’occupation procèdent à l’arrestation dans la cité nordiste de toutes les personnes âgées de plus de 14 ans, à l’exception des vieillards, soit essentiellement des femmes et des adolescents puisque les hommes sont mobilisés, afin de les envoyer dans des camps de travail. Ayant un grand retentissement, et suscitant une large indignation, cette déportation doit être replacée dans son contexte : pour dramatique que soit le sort des victimes, elle ne peut en aucun cas être assimilée à celle des déportés de la Seconde Guerre mondiale, les camps de travail de 1914-1918 ne relevant pas de politiques d’élimination ou d’extermination mais bien d’une concentration de main d’œuvre au service de l’effort de guerre2.

Pour autant, la plume de Charles Meunier-Surcouf présente cette déportation des femmes de Lille comme un stade inédit de l’horreur de la guerre, celle-ci étant par ailleurs immanquablement imputée à l’Allemagne. Après « les pillages, les viols dont l’horreur est mêlée à l’hystérie de la bataille », propos faisant selon toute vraisemblance référence aux atrocités allemandes3, le parlementaire rappelle la guerre sous-marine menée par les Allemands puis les destructions d’éléments importants du patrimoine tels que le beffroi d’Arras et, plus encore, la cathédrale de Reims. Mais la déportation des femmes de Lille se révèle être un événement d’une autre nature :

« Car froidement, administrativement, on a traqué nos fils, nos filles dans les rues, dans les maisons. On a fait de véritables rafles, arrachant des bras de parents qui déjà avaient tant souffert de l’invasion, leurs enfants pour les emmener en esclavage, au mépris de toutes les humaines, au mépris de toutes les lois divines. »

A Lille, officiers allemands. Juillet 1916. Collection particulière.

De tels mots ne doivent pas tromper. La violence du vocabulaire employé a autant pour objectif de dénoncer « la barbarie boche» que de (re)mobiliser des consciences françaises déjà sérieusement émoussées par deux ans de guerre. En d’autres termes, c’est bien d’un rappel du sens du conflit mené dont il s’agit ici, deux ans jour pour jour après le tocsin de la mobilisation générale. Reste toutefois à appréhender la portée et l’efficacité d’un tel éditorial : est-il compris ? Accepté ou au contraire rejeté comme relevant d’un « bourrage de crâne » ? Vaste débat qu’il est impossible de clore avec certitude faute d’archives.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 MEUNIER-SURCOUF, Charles, « Barbarie », L’Ouest-Eclair, 17e année, n°6208, 1er août 1916, p. 1.

2 WIEVIORKA, Annette, « L'expression camp de concentration au 20e siècle », Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°54, avril-juin 1997p. 4-12.

3 Sur cette question, se rapporter au classique HORNE, John et KRAMER, Allan, Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005.