Etienne Gautho : un héros ?

Pendant la Première Guerre mondiale, les prisonniers de guerre sont très mal considérés et la captivité est vécue par beaucoup comme un déshonneur. Le cas du jeune Charles de Gaulle est à cet égard connu. Aussi les cas d’évasion sont-ils alors considérés comme d’autant plus remarquables qu’ils tranchent singulièrement avec ce front infranchissable qu’est la guerre des tranchées, siège mutuel annihilant toute tentative de percée. C’est ce contexte qui permet de comprendre la gloire – bien éphémère – dont jouit un fantassin du 47e régiment d’infanterie dans la seconde moitié du mois de novembre 1915.

Carte postale. Collection particulière.

Né dans une famille de modestes paysans des environs de Quintin, dans les Côtes-du-Nord, Etienne Gautho est lui-même répertorié comme cultivateur lors de son passage devant le Conseil de révision1. Incorporé au 47e RI de Saint-Malo le 1er octobre 1910 en tant que soldat de 2e classe, il effectue son service militaire jusqu’au premier octobre 1912, date de son retour à la vie civile. Rien d’exceptionnel à cela, tout comme son retour au drapeau du fait de la mobilisation générale : arrivé au dépôt le 3 août 1914, il quitte Saint-Malo dans la nuit du 5 au 6 août. Viennent ensuite les hauts faits d’armes qui scandent les premières semaines de campagne du 47e RI : les longues marches de l’été, le baptême du feu à Charleroi, la terrible retraite, le choc de la bataille de Guise, le demi-tour de la Marne puis les redoutables assauts pour reprendre le fort de la Pompelle2.

Etienne Gautho compte donc  parmi les fantassins qui, dans les pantalons de moins en moins rouges du 47e RI, participent à la Course à la mer en octobre 1914. C’est d’ailleurs le 5 octobre, soit deux mois jour pour jour après avoir quitté Saint-Malo, qu’il est blessé dans les environs d’Arras, atteint à la cuisse droite par un éclat d’obus, et fait prisonnier. Là encore, compte tenu de ce que l’on peut savoir de ces combats, extrêmement meurtriers, de l’automne 1914, cette histoire n’a rien d’extraordinaire.

Ce qui l’est en revanche est de revoir quasiment un an plus tard resurgir Etienne Gautho, à la une du Salut, un bihebdomadaire de l’arrondissement de Saint-Malo. En effet, de longs propos du fantassin du 47e RI sont reproduits dans un article signé C. du Môle et intitulé « L’Odyssée d’un soldat breton du 47e évadé d’Allemagne »3. Il y narre son improbable départ avec deux autres compagnons d’infortune – malheureusement anonymes – de la ferme où il était détenu et assigné aux travaux des champs et les quatre semaines de marche à travers l’Allemagne, de nuit afin de mieux pouvoir se soustraire au regard des autorités, pour rejoindre la frontière néerlandaise et, de là, le dépôt de Saint-Malo, où il arrive le 11 novembre 1915.

Prisonniers de guerre français détenus en Allemagne. Carte postale photo, collection particulière.

C’est d’ailleurs selon toute vraisemblance avec l’accord du 47e régiment d’infanterie que cet entretien est réalisé et l’article publié. Il est vrai que l’exploit d’Etienne Gautho est de taille et ne peut que faire une publicité bénéfique pour l’unité. Pour autant, l’incroyable aventure de ce paysan breton ne doit pas leurrer : si rien ne prouve qu’elle ne soit pas retranscrite fidèlement par Le Salut, certains passages interpellent. Tel est notamment le cas du portrait qu’il donne de l’Allemagne en guerre :

« Dans les fermes, on ne trouve plus que des vieillards, des infirmes ou des femmes. Ils ne cachent pas leur lassitude et se plaignent amèrement de la durée de la guerre. Les journaux allemands leur cachent la vérité et assurent que la guerre finira bientôt, mais le peuple ne s’y méprend plus, et le moral baisse… »

Mais ce qui frappe au final le plus en lisant cet article est de constater que « l’Odyssée » d’Etienne Gautho n’est pas réellement héroïsée, comme si son acté était en quelque sorte « naturel » car relevant du « devoir » de tout « bon soldat ». Ce faisant, c’est bien la suspicion autour des prisonniers de guerre que souligne cet article, certains étant d’ailleurs à leur retour en France après l’Armistice inquiétés par quelques Conseils de guerre prompts à voir derrière une capture une reddition en bonne et due forme. Il est à cet égard intéressant de souligner qu’Etienne Gautho ne bénéficie d’aucun traitement de faveur après son évasion : classé service auxiliaire du fait des séquelles entraînées par sa blessure, il sert au dépôt de Saint-Malo jusqu’au 19 janvier 1918, date de son transfert à la 10e section de Commis et ouvriers d’administration. Au final ce n’est qu’en mars 1919 qu’il est démobilisé. Certes, on lui octroie la Croix de guerre avec palme, la Médaille militaire puis, plus tard, la Médaille des évadés. Mais si sa conduite suscite aujourd’hui l’admiration, rien ne dit qu’elle ait été considéré comme telle il y a un siècle. Ce faisant, ce sont bien les conditions de la fabrique du héros qui se dévoilent de la sorte.

Erwan LE GALL

 

1 Arch. Dép. CdA : EC Plaine-Haute et 1 R 1277.1251.

2 Pour plus de détails, on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.

3 « L’Odyssée d’un soldat breton du 47e évadé d’Allemagne, Le Salut, 34e année, n°89, 16-17 novembre 1915, p. 1.