L’opinion bretonne face au torpillage du Danton en 1917

Le 24 mars 1917, les Bretons découvrent avec stupeur, dans la presse, le torpillage du cuirassé Danton cinq jours plus tôt, le 19 mars1. La France pleure alors la mort de 296 marins. L’émotion est d’autant plus vive en Bretagne que l’histoire de ce bâtiment semble intimement liée à celle de la région. Mis en chantier à Brest en 1906, il y est également inauguré le 4 juillet 1909, un mois après une première tentative infructueuse imputée aux ouvriers de l’arsenal2. Si le navire de 145 mètres de long est désormais amené à naviguer loin des côtes armoricaines, il conserve néanmoins un fort accent local puisque la Bretagne, grande pourvoyeuse de matelots, fournit à elle seule près de 80 % des effectifs de la Royale3.  Ainsi, lorsque le 18 février 1913, l’explosion d’une tourelle provoque la mort de trois membres d’équipage, il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il s’agit de trois Bretons4.

Carte postale. Collection particulière.

Lorsque la guerre éclate, le Danton rejoint rapidement la Méditerranée où est concentrée la flotte française. C’est d’ailleurs dans le canal d’Otrante que le cuirassé évite de justesse une première torpille ennemie le 21 décembre 1914. Cette dernière atteint en revanche le Jean Bartdreadnought également inauguré à Brest – sans toutefois parvenir à le couler. Deux ans plus tard, en mars 1917, le Danton est chargé d’effectuer un convoyage entre Toulon et Corfou avec, à son bord, 1 101 personnes. Le 19 mars, alors qu’il longe les côtes de Sardaigne, un sous-marin allemand lui adresse deux torpilles. Le navire français est irrémédiablement touché et entraîne dans sa perte 296 marins.

Si le nombre de victimes est inférieur aux torpillages du Bouvet, du Léon Gambetta, du Provence II ou encore du Suffren ; le naufrage du Danton n’en demeure pas moins douloureux en Bretagne5. Et pour cause, comme le suggère les statistiques évoquées plus haut, la tragédie touche bien en majorité des marins bretons et principalement des Finistériens. De surcroît, elle renforce chez les Bretons la rancœur à l’égard de la guerre sous-marine qui sévit également sur les côtes bretonnes6. L’éditorial d’Emmanuel Desgrées du Loû dans L’Ouest-Eclair le 25 mars 1917 est particulièrement éclairant sur ce point7. Ce dernier s’insurge :

« Ils ont coulé le Danton. Cela, c’est la guerre. Nous ressentons cruellement la perte de ce beau navire, et plus cruellement encore la mort de ces 300 braves qui se sont enfoncés dans l'abîme, sans avoir eu le temps de combattre. (Si l'on peut dire que  ce n'est pas un continuel combat, et peut-être le plus héroïque, que de tenir la mer depuis deux ans et demi, sous la menace quotidienne de l'ennemi invisible, qui vous guette, et qui soudain, d'un seul coup, vous frappe et vous tue !) »

L’éditorialiste met également en lien le naufrage du Danton avec « l'œuvre de haine et de destruction qui vient de s'accomplir en Picardie et dans le Soissonnais », là où « les Allemands se sont vengés par l'incendie et par la ruine ». Il conclut alors que les Allemands sont des « misérables chez qui rien d'humain ne subsiste, chez qui tout est bestial ».

Torpillage du cuirassé Danton le 19 mars 1917 en mer Méditerranée. Le navire commence à se coucher sur bâbord. Photographie publiée par l’hebdomadaire français Le Miroir du 8 avril 1917. Wikicommons.

Aujourd’hui, le Danton repose toujours à plus de 1 000 mètres de profondeurs. En 2007, alors qu’elle mène une étude en vue de la construction d'un gazoduc entre l'Italie et l'Algérie, la société de géotechnique néerlandaise Fugro découvre par hasard, à plusieurs milles marins de la position reconnue par les autorités française, l’épave du cuirassé. Deux ans plus tard, Rob Luijnenburg, directeur opérationnel et de la communication de Fugro, évoque une découverte  « spectaculaire, notamment en raison du très bon état de conservation ». Et s’il « ne pense pas que les dépouilles puissent être extraites » en raison de l’extrême profondeur, il se montre toutefois rassurant : le tracé du gazoduc a été dévié d'une centaine de mètres pour respecter la mémoire des marins du Danton8.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Le cuirassé Danton torpillé en Méditerranée », L’Ouest-Eclair, 24 mars 1917, p. 1.

2 « Hier, deuxième lancement du Danton », L’Ouest-Eclair, 5  juillet 1909, p. 1.

3 BOURLET, Mickaël, LAGADEC, Yann, LE GALL, Erwan, La Grande Guerre des Bretons – Vécu (s), Expérience (s), Mémoire (s) (1914-2014), appel à communication publié en février 2013.

4« Une explosion sur le Danton : trois morts – trois Bretons – deux blessés », L’Ouest-Eclair, 19 février 1913, p. 1.

5 Bouvet, coulé le 18 mars 1915, 648 disparus ; Léon Gambetta, 27 avril 1915, 684 disparus ; Provence II, 26 février 1916, 930 morts ; Suffren, 26 novembre 1916, 648 disparus.

6 Sur ce point voir par exemple RICHARD, René, et ROIGNANT, Jacques, Les navires des ports de la Bretagne provinciale coulés par faits de guerre, 1914-1918, Plessala, Association Bretagne 14-18, tome 1, 2010.

7 « Frappez fort », L'Ouest-Eclair, 25 mars 1917, p. 1.

8 « Le Danton, un cuirassé français de la Première Guerre mondiale découvert au large de la Sardaigne », lemonde.fr, 20 février 2009, en ligne.