L’or et les prisonniers

Dans son édition du 21 novembre 1914, L’Eclaireur dinannais, hebdomadaire conservateur publié dans la sous-préfecture des Côtes-du-Nord, fait part d’une nouvelle étonnante : « Des prisonniers allemands découvrent un trésor »…

Paradoxalement, il ne s’agit pas de quelques-uns des centaines de prisonniers de guerre détenus à Dinan depuis fin août, des prisonniers dont l’accueil avait d’ailleurs été pour le moins agité : l’arrivée de plus de 400 prisonniers de guerre et autant d’« évacués civils », en fait des civils allemands « considérés comme suspects et qui ont été envoyés prisonniers en France au lieu d’être dirigés sur l’Allemagne où ils auraient pu être appelés à […] combattre » conduit « une foule énorme » à se masser sur la place de la Gare et dans les environs, sur le chemin que doivent prendre les captifs en direction du quartier Beaumanoir laissé vacant par le 10e RAC ce 29 août. Comme il se doit dans les descriptions du temps, empruntant nombre de topoï à la plus mauvaise littérature nationaliste, un des officiers de l’armée du Kaiser se fait alors « remarquer [par] sa morgue et sa raideur ». De ce fait, lorsque le cortège quitte la gare, « précédé d’un peloton de hussards » du 13e régiment, cantonné à Dinan, et « encadré de coloniaux », ce fut, à en croire les témoins, « une émouvante clameur : Vive la France ! A bas l’Allemagne ! A bas Guillaume, qui dura, entremêlée du chant de La Marseillaise ». Plus loin, « les prisonniers s’entendirent dire même en leur langue des choses peu tendres »1. Le fait n’est pas isolé : l’on trouverait des descriptions d’événements en tous points comparables fin août ou courant septembre 1914 à Vitré ou Lamballe par exemple.

Au camp de prisonniers de Dinan. Dessin de Maurice Orange. Collection particulière.

Pourtant, deux mois plus tard, en novembre, l’atmosphère semble avoir pour une part évolué. Certes, les prisonniers évoqués par le rédacteur de L’Eclaireur dinannais ne sont pas retenus ici, mais à l’abbaye de Montfort-sur-Meu, en Ille-et-Vilaine, là même où, quelques semaines auparavant, avaient été logés, dans la précipitation, jusqu’à 1 500 réfugiés, belges pour la plupart, avant qu’ils soient répartis entre les différents communes de l’arrondissement2. Ces prisonniers font déjà, pour une part, partie du quotidien des habitants du pays de Montfort qui les croisent sans doute régulièrement sur les routes à la réfection desquelles ils sont affectés pour certains, dans quelque forêt où d’autres effectuent des travaux forestiers, peut-être déjà dans des exploitations agricoles même si, dans la commune voisine de Bédée, ce n’est par exemple qu’à compter d’août 1915 que certains sont employés : ici, 35 fermes profitent parfois de l’équivalent de dizaines de journées de travail à un moment crucial de l’année.

Carte postale. Collection particulière.

Les prisonniers évoqués par L’Eclaireur dinannais travaillent en fait en ce mois de novembre 1914 dans une carrière, celle du Meu ­– et non « du Mer », comme l’écrit le journal –, propriété de M. Frasgnier, maire de Breteil depuis 1908 – il le restera jusqu’en 1919. C’est alors qu’ils s’affairent à extraire des pierres, sans doute pour empierrer les routes, que « la pioche de l’un d’entre eux fit voler en éclat un vieux pot de terre, assez profondément enfoui, d’où s’échappèrent des pièces de monnaie variée ». Ce fut, on l’imagine aisément, « parmi les travailleurs et leurs surveillants, une minute d’émotion », d’autant que, les comptes faits, figureraient là pas moins de 179 écus d’argent à l’effigie de Louis XIV et Louis XV datés pour la plupart de 1716, « en parfait état », 114 demi-écus du même métal, une pièce d’or – peut-être un louis, difficilement identifiable cependant –, enfin plus de 30 kg de monnaie de billon à en croire le journal de Dinan.

La loi prévoit une répartition de toute trouvaille de ce type pour moitié entre le propriétaire du terrain – le maire de Breteil – et l’« inventeur ». Il ne semble jamais avoir été question de remettre la moindre portion de ce trésor au prisonnier allemand auteur du coup de pioche à l’origine de l’affaire, un prisonnier dont les archives ne semblent pas même avoir retenu le nom. Dans une lettre au préfet, le sous-préfet de Montfort rend compte de la découverte, indiquant que, de son côté, « M. le commandant d’armes de Montfort […] a adressé à M. le Général commandant la 10e Région une demande à l’effet d’opérer le partage dudit trésor », après bien entendu en avoir fait dresser un procès-verbal en bonne et due forme3. Quelques semaines plus tard, il peut rendre compte du partage par tirage au sort des deux lots constitués, l’un revenant au maire de Breteil – celui contenant la pièce d’or –, l’autre… à l’Etat, et non au piocheur. Il fallut cependant plus de deux années pour que le Musée de la monnaie, dépendant du ministère des Finances,  puisse récupérer – en fait racheter… – au ministère de la Guerre une partie de ce qui revenait à l’Etat, alors que certaines pièces, confiées au général commandant la 10e Région militaire, ont semble-t-il déjà disparu4.

L’étude du trésor n’en est que plus compliquée, d’autant qu’à côté de pièces datant du XVIe siècle (règnes d’Henri III ou d’Henri IV et période de la Ligue, propice à la dissimulation d’espèces), en figurent d’autres des années 1716-1718 mais aussi des centimes émis sous Napoléon Ier et Napoléon III5. Plus de 100 ans après son invention, le trésor de Montfort reste ainsi encore largement un « mystère » pour les numismates comme pour les historiens.

Yann LAGADEC

 

 

 

1 « Arrivée de prisonniers »,  L’Eclaireur dinannais, 12e année, n°35, 29-30 août 1914, p. 2.

2 Sur ce point, nous renvoyons à la communication de Claudia Sachet et Yann Lagadec au congrès de la SHAB à Montfort-sur-Meu le 4 septembre 2015.

3 Arch. départementales d’Ille-et-Vilaine, 9 R 2.

4 Sur le devenir de ce trésor, voir ce qu’en dit MONVOISIN, Bertrand, Breteil et son histoire. II. XXe et XXIe siècles, Rennes, autoédition, p. 50-58.

5 Notons aussi la présence de pièces frappées dans l’espace germanique, en Ecosse, en Espagne, aux Provinces-Unies, ou encore en Norvège et même en Chine et Annam ! Voir sur ce point l’article que consacre au trésor de Montfort Frédéric Droulers dans la revue Numismatique et change, 2009, février, n° 401.