Les Hohenzollern ou le véritable ennemi héréditaire des Français

Il va sans dire que l’histoire est une précieuse source d’inspiration pour la propagande. Ainsi, en 1914, alors que la tension diplomatique née de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo plane écrase toujours plus l’Europe, les organisateurs des commémorations de la bataille de Bouvines n’hésitent pas à occulter volontairement les manœuvres politiques du roi d’Angleterre de façon à mieux faire porter la responsabilité de l’affrontement à l’empereur germanique. Rien ne vaut donc une bonne leçon d’histoire pour galvaniser les foules et peu importe si le récit est, par moment, falsifié.

Carte postale. Collection particulière.

Le 30 juillet 1915, dans les colonnes du Morbihannais, Georges Loire s’essaye à cet exercice afin de condamner, cette fois, la famille des Hohenzollern qui « humilie le monde et soufflette tant de victimes depuis 500 ans ? »1. Le journaliste réagit en fait à une information publiée quelques jours plus tôt dans la presse allemande. Cette dernière annonce en effet « que, le 21 octobre prochain, date de la prestation de serment de fidélité, tout l’empire, par ordre de Guillaume II, fêtera le cinquième centenaire de sa famille ».

Selon le rédacteur en chef de l’hebdomadaire « catholique et royaliste », l’initiative mémorielle du Reich est, pour l’ennemi, une nouvelle opportunité de travestir l’histoire afin de servir ses projets belliqueux. Souhaitant rétablir la « vérité », Georges Loire se fait historien. En remontant aux origines de la dynastie, il explique pourquoi les Hohenzollern sont héréditairement cupides et malhonnêtes. Selon ses recherches, les empereurs tireraient leur fortune « de la sécularisation des biens » au XVIe siècle, prétextant seulement embrasser « la Réforme pour donner une apparence légale et un vernis légitime à ce vol parfaitement caractérisé ».

En multipliant les exemples, Georges Loire tente ensuite de démontrer les princes allemands sont des spoliateurs. Et sur ce point, il n’y a à l’en croire aucun doute : Guillaume II est le « digne successeur de ses ancêtres » puisque il veut dépouiller la France de « [ses] collines, de [son] littoral, de [ses] plus belles provinces ». D’ailleurs, depuis 1888, la politique du dernier héritier de la couronne germanique a, comme celle de ses ancêtres, été une « œuvre de perfidie, de barbarie, de sang, d’horreurs, de ruines ».

Carte postale. Collection particulière.

En maniant l’histoire pour servir ses propres conclusions, Georges Loire parvient à « démontrer » que la famille des Hohenzollern est bien le véritable ennemi héréditaire de la France. Là n’est d’ailleurs pas un propos d’une grande originalité puisqu’en réalité le Breton s’inscrit dans la continuité de la violente propagande dont est la cible, depuis plusieurs mois, l’empereur allemand. Où l’on mesure que les usages publics de l’histoire ne sont pas chose récente… L’intention politique est en effet claire : détourner les regards de la perfide mais néanmoins alliée Albion, depuis la signature, en 1904, de l’Entente cordiale entre Paris et Londres, et ériger Berlin et les Hohenzollern en nouvel « ennemi héréditaire » de la France, pour mieux légitimer l’effort de guerre.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « Les Hohenzollern et l’Histoire », Le Morbihannais, 30 juillet 1915, p. 1.