Quand Harry (Truman) rencontre la Bretagne : un futur président américain de Brest à Coëtquidan (1918-1919)

C’est à Brest que le lieutenant Harry Truman débarque en France, le 14 avril 1918, après avoir traversé l’Atlantique sur le George Washington : « I have been seeing this town, which is quite wonderful to me » écrit-il dans la première lettre qu’il poste le jour même, faute d’avoir pu envoyer un « câble », « les fils étant tellement utilisés » qu’on ne laisse guère aux soldats américains – ou à leurs officiers – la possibilité « d’informer nos relations que nous avons débarqué sains et saufs ». Truman passe deux semaines dans le port breton, logé dans une chambre de l’Hôtel des Voyageurs, rue de Siam, « a beautiful place » qui ressemble plus, à en croire sa première lettre, « à la chambre d’un conte de fée qu’à celle d’un hôtel », notamment parce que la vaste pièce qu’il occupe, meublée d’acajou, accueille une cheminée en marbre, des tableaux, une superbe horloge hollandaise. Certes, le sol est « aussi froid que la surface d’un lac lorsqu’il gèle », mais les soirées au cinéma ou à l’opéra semblent appréciées par le lieutenant, promu capitaine d’ailleurs à quelques jours de son 34e anniversaire.

Caricature représentant le capitaine Harry Truman chargeant les Allemands. Harry S. Truman Library & Museum.

Dès la fin du mois d’avril, il quitte Brest pour Chatillon-sur-Seine où, durant quelques semaines, il complète sa formation d’officier d’artillerie auprès d’instructeurs français : il s’agit de tout savoir, rapidement, du canon de 75 mm qui équipera désormais les Américains. Début juin 1918, il rejoint le 129th Field Artillery Regiment, l’un des trois régiments d’artillerie de la 35th Division, cantonné à Angers – qualifiée de « beautiful old French town » –, avant de gagner Coëtquidan, « a large artillery camp » précise-t-il dans la première lettre qu’il y rédige. Il y séjourne un mois, du 8 juillet au 10 août 1918 : c’est là que la 60th Field Artillery Brigade doit parfaire son entraînement, à l’instar de nombreuses autres unités d’artillerie qui ont transité par le camp breton dans les semaines et les mois précédents.

Alors qu’il avait tout d’abord été affecté comme « adjudant » au 2nd Battalion, Truman y prend le commandement de la batterie D du 129th dès le 11 juillet, à sa plus grande satisfaction : sa « seule ambition », écrit-il alors qu’il est en Bretagne, était en effet d’être « battery commander » ; c’est le cas désormais. Recrutée l’année précédente à Kansas City1, cette batterie a pour particularité d’être pour l’essentiel composée d’Américains catholiques irlandais. Il faut à Truman gagner la confiance de ses hommes qui, pendant plusieurs semaines, s’entraînent à la mise en œuvre des canons de 75. « Ils semblent plutôt m’apprécier » confie-t-il au bout de quelques jours au sujet de ces 194 hommes, dont il souhaite faire, lors de ce séjour en Bretagne, « la meilleure batterie de la brigade », celle qui aura l’honneur d’être la première engagée sur le front. La chose n’est pas gagnée cependant explique-t-il dans un courrier du 22 juillet : la batterie D du 129th « avait toujours des ennuis et allait mal » jusqu’alors. Les choses s’améliorent rapidement cependant à l’en croire, et pas seulement parce que le capitaine-adjudant du bataillon a placé un « O » devant le nom de Truman, pour faire plus irlandais. Le 31 juillet, « O’Truman » peut se réjouir dans une nouvelle lettre que sa batterie est la « meilleure du bataillon » selon le major le commandant. Ses hommes sont fin prêts, mi-août, lorsque la D Battery et, au-delà, le 129th Field Artillery et la 35th Division montent en ligne dans les Vosges, dans le secteur de Gérardmer, avant de participer courant septembre à l’offensive américaine contre le saillant de Saint-Mihiel2.

Dans sa correspondance avec celle qui est encore sa fiancée, Bess3, le capitaine Truman évoque à plusieurs reprises le camp de Coëtquidan et la Bretagne, parfois explicitement, le plus souvent implicitement : c’est de « quelque part en France » que sont situés les quatre courriers qu’il envoie du camp au cours de l’été 1918, appliquant à la lettre les consignes reformulées début juillet par l’officier en charge de la surveillance des correspondances, sans grande conviction d’ailleurs ; en juin et encore début juillet, c’était explicitement d’« Angers », où il passe quelques semaines, que le capitaine Truman datait ses lettres et, le 13 août, dans le dernier courrier envoyé de Coëtquidan, il parle d’un voyage à Rennes le dimanche précédent, l’occasion de revoir des amis, dont un certain William Bostian, instructeur dans les mitrailleuses. 

Lettre écrite par Harry Truman le 31 juillet 1918. Harry S. Truman Library & Museum.

Soyons franc : Truman parle plus de ses activités à Coëtquidan que du camp lui-même, précisant simplement être « à une journée de cheval du lieu où le grand Cardinal a publié le fameux édit contre les Hugonots », référence – erronée – à Nantes et au texte, favorable aux huguenots, dû à Henri IV et non à Richelieu… Début septembre, il rappelle cette fois explicitement qu’« à Coëtquidan », avec sa batterie, « nous avons toujours gagné toutes les compétitions qu’il y a eu à gagner ». En décembre surtout, cantonné près de Bar-le-Duc, il est vrai alors que l’armistice a été signé, il dit avec quels regrets il sait devoir bientôt abandonner ses « 75 français » : « Tu sais que je t’avais dit dans une lettre de Coëtquidan que si je pouvais seulement donner l’ordre de tirer une salve sur les Boches je reviendrais volontiers à la maison et serais satisfait ». Ce sont en fait « dix mille obus – où s’ils ont été tirés par salves, plus de deux mille salves – » qu’il s’enorgueillit d’avoir fait tirer en trois mois de campagne.

C’est donc sans doute « satisfait » mais non sans un certain plaisir que Truman rembarque le 9 avril 1919 à Brest, avec la plupart des autres combattants de la 60th Field Artillery Brigade, alors que les autres unités de la 35th Division sont dirigées vers Saint-Nazaire. 11 jours plus tard, il regagne New York, sans avoir écrit d’autre lettre de Bretagne, tout juste un court télégramme pour annoncer son départ prochain.

Yann LAGADEC

 

1 L’ensemble de la 35th Division est en fait formé à partir de troupes issues des Gardes nationales du Kansas et du Missouri à partir du mois de juillet 1917. La concentration des différentes troupes se fait à Camp Doniphan, dans l’Oklahoma, à compter du début du mois d’août 1917.

2 Notons que l’entraînement en France des fantassins de la 35th Division est pris en charge, pour une part, par la 22e DI, une division bretonne du 11e CA, entre le 20 juin et le 26 juillet 1918, dans le secteur de Wesserling en Alsace. La 69th Infantry Brigade, entre autres, est engagée en première ligne, dans un secteur relativement calme il est vrai : la 22e DI et le 11e CA y sont envoyés afin de se reconstituer, après leur quasi-anéantissement lors de l’offensive allemande sur le Chemin des Dames, le 27 mai 1918.
Par ailleurs, début septembre 1918, la 35th Division, afin de rejoindre l’Argonne, est relevée par la 131e DI française appartenant au 10e CA de Rennes. Cette division associe deux régiments toulousain et cahorsin au 41e RI.

3 Leur mariage a en effet été reporté en raison de l’engagement de Truman dans la Garde nationale du Missouri, suite à l’entrée en guerre des Etats-Unis, en 1917.