Rennes et sa filleule

Une rue de Rennes porte le nom de Vouziers, situation qui sans doute pourra dérouter certains promeneurs. En effet, s’il existe en cette cité une rue de Verdun, en référence à la bataille du même nom, les voies publiques dénommées d’après une commune renvoient généralement à une direction et reprennent, habituellement, le tracé des anciens faubourgs de la ville. Il en est ainsi de la rue de Saint-Malo, de Fougères, de Nantes… mais quid de Vouziers, commune des Ardennes située à 500 kilomètres de la Bretagne ?

Si une rue de Rennes est dénommée d’après cette petite commune de 4 000 habitants, c’est parce que Vouziers est adoptée pendant la Première Guerre mondiale par le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine. C’est en cela que Vouziers est la filleule de Rennes.

Les destructions à Vouziers. Carte postale. Collection privée.

Vouziers est une ville très marquée par la Grande Guerre, tant du point de vue des destructions que de l’occupation allemande,  et elle figure à ce titre dans maints souvenirs de combattants. Pour ne prendre qu’un exemple, c’est dans le secteur de Vouziers que débarquent au début du mois d’août 1914 les éléments du 10e corps d’armée en partance pour la Belgique et la bataille de Charleroi. Peut-être est-ce cela qui a conduit Rennes à adopter cette commune plutôt qu’une autre ?

En tout état de cause, ce lien entre les deux communes est la source de nombreuses opérations de solidarité. Le 6 janvier 1919, le conseil municipal de Rennes décide d'une subvention exceptionnelle de 25 000 francs pour sa filleule. Six mois plus tard, le 25 juillet 1919, les Américains organisent au théâtre une grande manifestation populaire au profit de Vouziers. Cette manifestation est un grand succès. L’Ouest-Eclair rapporte notamment que le « programme a répondu en tous points à l’attention des spectateurs, qui ont applaudi tour à tour la souplesse, le courage des boxeurs et la virtuosité des artistes américains »1. Malheureusement, une fausse note est à déplorer, à savoir la performance « d’un duo comique qui excita l’enthousiasme des nombreux Américains présents [mais] fut malheureusement perdu pour l’assistance française… qui ne put, et pour cause, apprécier le sel des calembours qui se débitaient devant elle… en anglais ».

A Vouziers pendant l'occupation allemande. Carte postale. Collection privée.

Quelques jours plus tôt, le 6 juillet, une grande fête en l’honneur de Vouziers est donnée dans le parc du Thabor, bien connu des Rennais. Reçu par le maire de la ville, Jean Janvier, le député-maire de Vouziers, Maurice Bosquette, remercie chaleureusement son hôte pour cette adoption symbolique. Son discours est d’ailleurs intéressant en ce qu’il montre combien ce genre de symbole est, dans la perspective de l’après-guerre, perçu comme important :

« L’initiative prise par M. Janvier restera pour nous comme le plus agréable souvenir. Au milieu de nos désastres, dans nos ruines, nous y pensons avec une reconnaissance émue. Nous savons que nous ne sommes pas abandonnés, et cette assurance nous aide à supporter les durs tourments  et les difficultés du relèvement. »2

Sans doute déroutante au premier abord, cette rue de Vouziers n’en constitue pas moins une belle porte pour entrer dans l’histoire de l’après Première Guerre mondiale.

Erwan LE GALL

1 « La fête américaine au profit de Vouziers », L’Ouest-Eclair, n°7257, 26 juillet 1919, p. 4.

2 « Le maire de Vouziers transmet à Rennes les remerciements de la filleule », L’Ouest-Eclair, n°7237, 6 juillet 1919, p. 3.