Revisiter l’Union sacrée avec Nicolas Mariot

Nicolas Mariot était hier, à l’invitation d’Emmanuel Droit, à l’Université Rennes 2 pour présenter son prochain ouvrage intitulé Tous unis dans la tranchée ? 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple. Deux heures de conférence et d’échange avec le public pendant lesquelles ce directeur de recherche au CNRS a pu exposer les objectifs de cet ouvrage, ainsi que sa méthode.

Au départ de la démarche de Nicolas Mariot se trouve – comme souvent en France, ce que l’on peut d’ailleurs regretter tant la dichotomie simpliste de ce débat nous parait à bien des égards dépassée – une critique du consentement patriotique tel que peuvent le définir A. Becker et S. Audoin-Rouzeau dans 14/18, retrouver la guerre1, ouvrage au moins aussi célèbre par la controverse qu’il a suscité que par les avancées historiographiques qu’il propose. Pour ce spécialiste de socio-histoire, la notion de culture de guerre fait en effet disparaitre les groupes sociaux et les corps intermédiaires, ce qui amène à une histoire assez irréaliste du point de vue sociologique.

Barbier dans les tranchées. Library of Congress, LC-B2- 4468-5 [P&P].

L’intention principale de ce livre est donc de revisiter l’Union sacrée. Le pari de l'enquête est de s'emparer d'un corpus qui est celui généralement utilisé par les historiens de la culture de guerre pour y repérer non pas ce que le conflit peut avoir d'anthropologique, ou d’universel, mais saisir au contraire les décalages entre les élites et le peuple. C’est donc d’une socio-histoire interactionniste qu’il s’agit ici, d’un examen de la distance sociale qui sépare les intellectuels du peuple.

En effet, pour l’auteur, loin d'une osmose entre les groupes sociaux, l’expérience combattante de la Première Guerre mondiale tend plus à accroitre les fossés sociaux qu'à les réduire. Ainsi, Nicolas Mariot entend démontrer l’existence, dans les tranchées, d’un certain ethnocentrisme de classe qui, trop souvent, est assimilé injustement à de la misanthropie. Pour ce faire, il transpose au premier conflit mondial l’appareil conceptuel du Savant et le populaire, ouvrage classique de sociologie publié par Jean-Claude Passeron et Claude Grignon2.

Le livre de Nicolas Mariot est donc très ambitieux puisque le propos de l’auteur est ni plus ni moins d’introduire une rupture historiographique sur l’Union sacrée, thème central pour quiconque s’intéresse à la Première Guerre mondiale. Or il n’est pas possible de juger de la pertinence d’une telle démonstration en seulement deux – passionnantes – heures. Il est indispensable de lire, et de la manière la plus scrupuleuse qui soit, cet ouvrage qui promet d’être important. Cette précaution nous semble ici d’autant plus justifiée que le talent de l’orateur ne permet malheureusement pas de transmettre en 120 minutes toutes les subtilités méthodologiques de la démarche employée. Là encore, le recours à ce livre se révèle d’autant plus obligatoire que Nicolas Mariot étant aussi politologue et sociologue, il introduit dans sa réflexion des éléments de méthode qui ne sont pas nécessairement très prisés – et maîtrisés – des  historiens. Ce sont toutes ces raisons qui nous conduisent à ne vous donner ici qu’un résumé très succinct de cette conférence et à vous annoncer que ce Tous unis dans la tranchée comptera parmi les recensions d’ouvrage de la troisième livraison d’En Envor, Revue d’histoire contemporaine en Bretagne, prévue pour cet hiver.

Erwan LE GALL

 

1 AUDOUIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Annette, 14/18, retrouver la guerre, Paris, Folio, 2003.  

2 PASSERON, Jean-Claude et GRIGNON, Claude, Le Savant et le Populaire : misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Seuil, 1989.