De la nécessité de débusquer les « planqués » en 1940

« Il faut dépister planqués et planqueurs ». Le message est clair. Il émane de Louis Mourier, sénateur du Gard. Cet appel, publié au début de l’année 1940 dans le quotidien le Journal, est reproduit en une de son homologue  lorientais Le Nouvelliste du Morbihan le 2 avril1. De quoi mettre en garde le lecteur qui chercherait à échapper à ses devoirs patriotiques.

Carte postale de la Première Guerre mondiale. Collection particuière.

Si nous avons coutume de parler de « drôle de Guerre » pour évoquer cette période qui précède l’offensive allemande, il ne faut pas oublier que la France est bien en conflit, et ce de manière officielle, avec l’Allemagne. A ce titre, tous les hommes en âge de se battre sont censés assumer leur devoir patriotique. La présence de jeunes hommes maintenus à l’arrière suscite donc une incompréhension d’autant plus importante qu’elle renvoie à l’expérience de la Grande Guerre. Pendant près de cinq ans, l’idée que des hommes profitent des bienfaits de l’arrière alors que d’autres subissent les offensives ennemies devient toujours plus insupportable. Au premier rang des accusations « d’embusquage », on trouve alors les curés, le personnel administratif ou encore les ouvriers qui, comme le rapporte le sous-préfet de Pontivy en 1917, sont régulièrement insultés « par les poilus qui traversent la ville et considérés comme [embusqués] par la population »2.

Le terme « embusqué » symbolise donc plus que tout autre l’incompréhension face à certaines situations jugées comme relevant de privilèges injustifiés et, par extension, les divisions entre les Français lors de la Première Guerre mondiale3. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle, 20 ans plus tard, Louis Mourier fait le choix de ne pas employer ce terme et parle plutôt de « planqués ». En effet, l’enjeu est, en 1940, de ne pas voir réapparaitre cette incompréhension qui constitue une « menace pour la paix sociale ».

L’expérience de la Grande Guerre est fondamentale en 1940. Impliquée dans une guerre dite totale, la France doit tirer profit de toutes ses ressources. Le rôle de l’arrière est donc indispensable dans la réussite des opérations du front. Il faut bien nourrir les soldats et les canons, ce qui implique le maintien voire la hausse des productions agricoles et industrielles. Conscient de ce fait, Louis Mourier insiste sur la juste utilisation des hommes « au poste que lui assigne son âge, ses forces physiques et ses capacités intellectuelles ». Avec une grande pédagogie, Louis Mourier ne nie donc pas l’importance des hommes à l’arrière mais insiste sur la nécessité de faire la chasse aux « mal utilisés », ceux « qui cachent leur courage dans les usines, dans les bureaux des ministères ou des administrations publiques […] les soldats de l’active qui servent à Paris de plantons, d’ordonnances, de chauffeurs automobiles, de secrétaires ou de dactylographes ».

Carte postale satirique datant probablement de 1940. Collection particulière.

En 1940, ce discours prend une dimension d’autant plus particulière auprès des anciens combattants qu’il est celui de Louis Mourier. L’homme est en effet resté essentiellement connu pour être l’auteur en 1917 d’une loi qui porte son nom et qui, avec la loi Dalbiez (1915), symbolise le mieux la lutte contre les « embusqués ».  Or dès 1939, il dépose au Sénat un projet relatif à l'utilisation rationnelle des mobilisés. Adopté après de longues discussions en 1940, ce texte remet au goût du jour les principales dispositions de la loi de 1917. S’il se veut « moins sévère » que ces prédécesseurs de l’An II qui préconisaient la « déportation » à l’encontre des « muscadins – planqués de l’époque », il rappelle que la loi doit être appliquée à tous. La paix sociale et la victoire semblent alors en dépendre…

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Les jeunes à l’avant, les vieux à l’arrière », Le Nouvelliste du Morbihan, 2 avril 1940, 54e année, n°76, p. 1.

2  Arch. dép. Morbihan : M 4540, rapport de la sous-préfecture de Pontivy, 15 juin 1917.

3 Pour de plus amples développements on renverra à l’étude de référence de RIDEL, Charles, Les Embusqués, Paris, Armand Colin, 2007.