Il n’y a plus de chômeurs en France (selon Vichy….)

S’il est un poste ingrat au gouvernement, c’est bien celui de ministre du Travail tant ce maroquin s’apparente en réalité à celui du chômage. Tous les mois ou presque depuis la fin des Trente glorieuses, le titulaire est contraint d’annoncer le nombre des demandeurs d’emploi, chiffre dramatique qui augmente plus souvent qu’il ne baisse. Aussi est-ce avec le plus vif étonnement que l’on découvre le titre de cet encadré figurant en une de L’Ouest-Eclair : « Il n’y a plus de chômeurs en France ».

A Concarneau, dans le Finistère, le débarquement des thons. Carte postale (détail). Collection particulière.

Plutôt que de miracle, c’est bien de subterfuge, de propagande pure et simple, dont il faut parler ici. Le numéro dont il s’agit est en effet daté du 21 janvier 19441 et l’argumentation à l’appui de cette étonnante assertion ne laisse planer aucun doute : « C’est un fait : le service de la main d’œuvre en Allemagne a évité le chômage en France. » Autrement dit, c’est grâce aux lois du 4 septembre 1942 et du 16 février 1943, cette dernière instaurant le Service du travail obligatoire, ou STO, qu’il n’y aurait plus à cette époque en France de chômage2. L’argumentation ne manque ni d’originalité ni de culot quand on sait le caractère coercitif de ce qui s’appelait alors la « déportation du travail »3. Et le quotidien rennais d’enfoncer le clou en affirmant :

« Comparons notre situation à celle des libérés d’Italie et d’Afrique du Nord. On ne les embauche pas, on les mobilise, ce qui n’est pas tout à fait la même chose… Et le pays libéré, pompé par une intendance insatiable, ne mange pas à sa faim. »

Il est hors de doute qu’une telle outrance constitue une limite de la propagande du régime de Vichy puisque, trop visible, évidente, elle n’est pas en mesure de séduire d’éventuels indécis. Et encore, cet article parait relativement mesuré en comparaison de la nauséabonde tribune publiée par le même journal le 27 novembre 19434, diatribe collaborationniste et antisémite qui affirme :

« L’année prochaine, les ouvriers étrangers [comprendre les requis du STO] et leurs familles seront récompensés de leur participation à la lutte du travail honnête contre l’or juif. Que serait-il advenu de la France et du peuple français si Adolf Hitler n’avait pas été un homme d’Etat aussi magnanime ? Sans sa générosité et sa prévoyance, la France serait la proie de la ruine économique et du chômage. Des millions d’ouvriers français gagnent leur vie en Allemagne et sont ainsi préservés de la misère effroyable dans laquelle les juifs à la Blum, les Daladier et de Gaulle auraient voulu les jeter. »

Propagande pour la Relève, dispositif qui constitue l’ancêtre du Service du travail obligatoire. Collection particulière.

Le lecteur moyen de L’Ouest-Eclair ne peut pas être dupe, lui qui voit les files d’attente s’allonger devant des magasins d’alimentation toujours plus vides pratiquant des prix toujours plus élevés, lui qui a un ou peut-être plusieurs fils envoyés en Allemagne au titre du STO, lui qui enfin n’ignore rien des difficultés de l’occupation et de la terrible répression qui sévit. Et la conclusion s’impose, évidente, aux yeux de l’historien : c’est aussi sur le plan du chômage que s’est jouée la Seconde Guerre mondiale en France.

 

Erwan LE GALL

 

1 « Il n’y a plus de chômeurs en France », L’Ouest-Eclair, 45e année, n°17059, 21 janvier 1944.

2 Sur cette question on renverra à GARNIER, Bernard et QUELLIEN, Jean (avec la collaboration de PASSERA, Françoise), La Main d’œuvre exploitée par le IIIe Reich, Caen, CRHQ, 2003.

3 Après 1945, avec le retour des camps et la découverte de l’horreur concentrationnaire, cette expression laissera progressivement la place à autre toute aussi évocatrice, celle de « réquisitions pour le travail forcé ».

4 « Le Gauleiter Sauckel parle aux familles des travailleurs français en Allemagne », L’Ouest-Eclair, 45e année, n°17016, 27-28 novembre 1943.