Cuisine de circonstance

Le week-end approche. Dans quelques heures se posera pour de nombreuses familles la question du traditionnel repas du dimanche. Choix cornélien, il se résume très souvent par un abandon de toute initiative, démarche qui explique d'ailleurs le succès du fameux poulet frites ! Trop de choix tue le choix me direz-vous et pourquoi innover quand on aime un plat ? Dilemme compliqué mais pas plus que de ne pas l’avoir...

Sous l'Occupation, entre 1940 et 1944, beaucoup de ménagères sont confrontées au problème. En effet, en raison des restrictions alimentaires, il est de plus en plus compliqué de trouver tous les éléments nécessaires pour les recettes traditionnelles, et surtout les quantités préconisées. Le recours au système D s'avère alors essentiel. La situation est encore plus critique en ville puisqu'à la campagne, les possibilités d'autosubsistance sont plus évidentes.

Tickets de rationnement. Collection privée.

Conscient de l'existance d'un marché spécifique, de nombreux éditeurs profitent de la situation et proposent des « recettes de restrictions ». Pour mémoire, on peut ainsi citer 200 menus et recettes conformes aux restrictions par une dénommée Agathe cuisinière en 1941. Mais l'auteur le plus célèbre est certainement le médecin et biologiste Edouard de Pomian. Ce dernier propose alors deux ouvrages : en 1940,  Cuisines et restrictions, puis en 1941, Manger quand même , tous deux parus aux éditions Corrêa.

Le phénomène est rentable et les marques alimentaires en profitent. Ainsi, Maïzena propose des « recettes culinaires spécialement adaptées aux possibilités actuelles ». Des recettes qui s'échangent ensuite dans les longues attentes des queues … L'historien E. Alary1 nous rapporte ainsi une recette précise et peu banale, celle du pâté sans viande :

Un œuf battu
Deux grammes de beurre
Deux grammes de levure de boulanger
Quatre biscottes de belle taille
Deux oignons moyens
Un cube de Viandox
Un bon verre d'eau
Sel
Poivre

« Bien mélanger le tout et laisser cuire pendant 20 minutes en remuant. Mettre en terrine – manger le lendemain. »

D'un point de vue historique, cette recette nous rappelle que même lors des périodes d'exception, la vie continue. La mode est de la même manière un parfait exemple de cette recherche à tout prix de normalité. Nous aurons d’ailleurs l'occasion de vous en reparler. Alors ce week-end, avec le retour de soleil (?) n’hésitez plus au moment de songer au menu du traditionnel déjeuner familial du dimanche midi. Proposez à votre tablée ce pâté sans viande !

Yves-Marie EVANNO

 

1 ALARY, Eric, Les Français au quotidien, 1939-1949, Paris, Perrin, 2006.