Jacques Stosskopf, une mémoire au service de la Résistance

Le 24 octobre 1942, l’officier français Jacques Stosskopf accompagne un contingent d’ouvriers lorientais désignés pour partir travailler en Allemagne. Au passage du convoi, il entend clamer sur le bord de la route « Laval au poteau », « A bas les boches » ou encore « A mort Stosskopf »1. Et pour cause, deux ans après le début de l'Occupation, le sous-directeur de l'arsenal de Lorient incarne le parfait traître et ce, même lorsqu'il vient en aide aux ouvriers français2. Les Lorientais sont alors loin de s'imaginer le double-jeu mené par l'ingénieur parisien.

A Lorient, la base de sous-marins de Keroman, principal théâtre d'opération du Résistant Jacques Stosskopf. Bundesarchiv: Bild 101II-MW-3935-02A .

Jacques Stosskopf naît en effet le 27 novembre 1898 dans la capitale. Incorporé au 22e régiment d’artillerie en 1917, il participe aux derniers mois de la Grande Guerre et obtient la Croix de guerre. En 1920, il intègre l'école Polytechnique dont il sort diplômé en 1924. Il entame dès lors une brillante carrière dans le Génie maritime, parcours récompensé par la Légion d'honneur3. Le 2 octobre 1939, un mois après la déclaration de guerre, il est promu ingénieur en chef de 1e classe à l'arsenal de Lorient.

L'élan de cette brillante carrière est brusquement interrompu en juin 1940 lorsque les Allemands arrivent dans le Morbihan. Après plusieurs semaines d'incertitudes sur leurs sorts, les officiers de l'arsenal de Lorient sont maintenus sur place afin d'y poursuivre l’entretien des installations et des navires en service. Jacques Stosskopf devient alors sous-directeur de l’arsenal dirigé par le général Antoine. Dans le cadre de ses fonctions, il se rend à Vichy en septembre 1940 et rencontre le capitaine de vaisseau Henri Trautmann, chef du secteur Nord du deuxième bureau de la Marine. Ce dernier informe Jacques Strosskopf qu'il est en train de constituer un réseau d’agents en zone occupée et lui propose d'en faire partie. L'officier accepte et rentre à Lorient.

D'origine alsacienne, il profite de maîtriser la langue de l'Occupant pour créer des familiarités et ne pas éveiller les soupçons lorsqu'il traîne aux abords de la base des sous-marins, dont il suit avec attention la construction. Rien ne lui échappe et notamment les mouvements dans la passe de Port-Louis, cet étroit bras de mer qui ouvre l’accès de la rade Lorient l’accès à l’océan. Si les U-Boote ne sont pas visiblement numérotés, tous portent en revanche un signe distinctif unique : une tête de taureau, 4 as, un cupidon… Tous rentrent également à la base avec des bandeaux accrochés à leurs périscopes. Leurs nombres et leurs couleurs permettent d'en déduire leurs victoires en mer : un pavillon blanc correspond à un cargo coulé, un rouge à un navire de guerre, un blanc et rouge à un croiseur de 2e catégorie… Mais en l'état, ces informations sont insuffisantes si elles ne sont pas recoupées avec des données plus concrètes. Jacques Strosskopf croise donc ses observations avec les bons de commande adressés à l’arsenal français (vis, serrurerie…), mais également avec les sacs de linge déposés à la blanchisserie puisque les numéros des sous-marins y apparaissent. Enfin, il réunit un groupe d’indicateurs discrets dont l’un des grutiers chargés d’enlever les périscopes des U-Boote. Pour se protéger, Jacques Strosskopf n’écrit rien. Il mémorise les renseignements et les restituent oralement à Henri Trautmann lorsqu'il se rend à Vichy, tous les deux ou trois mois.

Lorsque l’invasion de la zone sud met fin au service de renseignement de la Marine, Jacques Stosskopf rejoint le réseau Alliance (décembre 1942). Par ses services, Londres découvre notamment que les Allemands équipent les U-Boote de matériel permettant de naviguer dans les mers chaudes. Il révèle également le contenu des mystérieux colis apportés par les sous-marins japonais (essentiellement des produits pharmaceutiques dont de la quinine).

A Lorient, la plaque apposée en mémoire de Jacques Stosskopf Crédits: Wikicommons. En médaillon, photographie anthropométrique de Jacques Stosskopf détenu dans son dossier au tribunal militaire du Reich de Fribourg. Crédits: Résistances-Morbohan.

Au début de l'année 1944, son nom apparaît sur une liste détenue par un agent du réseau. Dans le doute, le commandant allemand de l’arsenal demande à ce que l’officier français soit immédiatement écarté de la base et Jacques Stosskopf est arrêté le 21 février 1944. Tombant sous le coup de la procédure Nuit et Brouillard (NN), il est dirigé sur les prisons de Vannes puis de Rennes avant d’êtyre transféré à Strasbourg le 20 mai 1944. D’abord interné au sein du block 10 du camp de Schirmeck, en Alsace, il est exécuté le 1er septembre 1944 au camp du Struthoff, où son corps est livré au four crématoire.

En octobre 1945, Jacques Stosskopf est élevé à titre posthume au grade de Commandeur de la Légion d'Honneur par le général de Gaulle. Le 6 juillet 1946, Lorient lui rend hommage en baptisant de son nom la base de Keroman.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 ESTIENNE, René, « Jacques Stosskopf », Les Cahiers du Faouëdic, n°3, juillet 1992, p. 3-18. Pour aller plus loin sur Jacques Stosskopf, voir également  LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre 1939-1945, Mayenne, Joseph Floch Editeur, 1978, p.  427 ainsi que GERHARDS, Auguste, Tribunal de guerre du IIIe Reich. Des centaines de Français fusillés ou déportés, Résistants et héros inconnus, 1940-1945, Paris, Ministère de la Défense / Cherche Midi, 2014, p. 737-738.

2 Alexis Jaffrezic témoigne en 1995 que J. Strosskopf est intervenu pour l'innocenter des suspicions de sabotage. Il confirme avoir été surpris de l'aide de celui qu'il considérait comme un collaborateur. « L’ingénieur Stosskof m’a sauvé ! », La Libération de la poche de Lorient, Rennes, Ouest-France, 1995, p. 15.

3 Il est fait chevalier le 9 juillet 1930, puis officier le 1er janvier 1939.