L’ascension fulgurante du résistant Roger Le Hyaric

Le 14 avril 1944, la petite commune de Naizin, dans le Morbihan, est en alerte. Une innocente Traction vient d’ouvrir le feu sur des Allemands. A bord de l’automobile, il y a deux jeunes hommes : Jean Kesler et Maurice Devillers. Connus sous les pseudonymes de Jim et Michel, ils sont tous deux d’importants responsables de la résistance morbihannaise. Le premier est  commissaire aux opérations du Comité militaire régional du Morbihan tandis que le second est commissaire-adjoint en charge des effectifs. Leur mort bouleverse l’organisation des FTPF, les francs-tireurs et partisans français. Mais ces derniers se restructurent immédiatement à Réguiny lors d’une réunion secrète qui voit l’émergence d’un homme : Roger Le Hyaric.

L'arsenal de Lorient, lieu d'investiture pour Roger Le Hyaric. Carte postale. Collection particulière.

Du haut de ses 24 ans, Roger Le Hyaric fait presque figure d’homme d’expérience. Et pour cause, la majorité des dirigeants FTPF sont des réfractaires au Service du travail obligatoire et certains ont à peine plus de 20 ans à l’image de Maurice Le Tutour, commissaire-adjoint en charge du matériel pour le Comité militaire régional du Morbihan. De son côté, Roger Le Hyaric s’est plutôt montré discret depuis le début du conflit. Il est pourtant passé à côté d’une importante sanction en septembre 1941. En effet, alors qu’il est dessinateur à l’arsenal de Lorient, il se fait prendre avec deux camarades après avoir substitué le portrait de Pétain, exposé dans la grande salle de dessins des constructions navales, par une carte postale de Charles de Gaulle agrémentée d’un V et d’une croix de Lorraine. Si le geste ne plaît pas aux Allemands, les trois jeunes inconscients obtiennent malgré tout leur clémence grâce à l’intervention de l’ingénieur général Antoine1.

Près de trois ans plus tard, en février 1944, Roger Le Hyaric, surnommé Pierre, se rapproche des FTPF. Il y connaît une ascension fulgurante puisqu’en avril, il remplace Maurice Devillers au Comité militaire régional du Morbihan comme commissaire-adjoint en charge des effectifs. Un mois plus tard, le 1er juin, ses qualités militaires lui valent d’être promu chef interrégional aux opérations pour l’ensemble de la « région M », vaste entité qui représente les 14 départements de Normandie, de Bretagne et d’Anjou2. Ses fonctions lui permettent de jouer un rôle fondamental lors de la Libération de la Bretagne et de la poche de Lorient.

Bien entendu, une telle trajectoire ne manquera pas de faire sourire les esprits prompts à se gausser des fantasques grades accordés au sein de la résistance communiste, tel ou tel colonel de maquis n’ayant au final pas grand-chose à envier à un général d’armée mexicaine. La réalité est pourtant probablement plus complexe et prend sans doute sa source en septembre 1941, au moment de la rocambolesque substitution du portrait de Pétain par celui de Charles de Gaulle dans la salle des dessins de l’arsenal des Lorient. On connaît ces gestes qui ont tout des « bricolages héroïques » des temps pionniers de la Résistance3. Sans doute anecdotique du point de vue la lutte contre l’occupant, cet acte n’en atteste pas moins d’une entrée très précoce en Résistance, quand bien même celle-ci serait alors peu structurée. Et c’est justement au moment où celle-ci s’organise que cette antériorité de l’investiture au sein de « l’armée des ombres » joue à plein pour Roger Le Hyaric, étant donné qu’il est acquis que les responsabilités viennent avec l’expérience, y compris dans une organisation clandestine4. Autrement dit, l’âge des artères n’est pas nécessairement égal à l’ancienneté dans la Résistance et c’est justement celle-ci qui lui confère la légitimité permettant d’accéder à ces hautes fonctions.

Carte de membre des anciens FTPF.

Sans surprise, à la Libération, Roger Le Hyaric s’engage au Parti communiste français et devient le secrétaire de la fédération morbihannaise jusqu’en 1962. Il est également élu au conseil municipal de Lorient au début des années 1950. Jusqu’à sa mort, le 21 décembre 2010, il n’a de cesse de témoigner son expérience aux nouvelles générations et se déplace, malgré son âge, dans les écoles du département. Roger Le Hyaric est également l’auteur de trois ouvrages sur la résistance bretonne5.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre (1939-1945), Mayenne, Ed. régionales de l’Ouest, 1977, p. 156.

2 LEROUX, Roger, op. cit., p. 313.

3 AZEMA, Jean-Pierre, « Des résistances à la Résistance », in AZEMA, Jean-Pierre et BEDARIDA, François (dir.), La France des années noires. (Tome 2 De l’occupation à la Libération), Paris, Seuil, 2000, p. 277.

4 Pour de plus amples développements se rapporter à LE GALL, Erwan, « Le maquis de Plainville ou l’antériorité de l’investiture comme principe de hiérarchisation », Résistance en Touraine et en Région Centre, n°3, septembre 2008, p. 27-36.

5 Les Patriotes de Bretagne, Paris, Ed. Sociales, 1966 ; Maquisard ! 1939-1944, Bannalec, Imp. Régionale, 1992 ; et Les FTP de Bretagne. Maquisards-Terroristes-Patriotes ou Bandits ?, Bannalec, Imp. Régionale, 2000.