L’inconnu John S. Wood, libérateur de la Bretagne

Coincé dans l’ombre – et quelle ombre ! – du mythique George S. Patton, John S. Wood est pourtant le grand artisan de la libération de péninsule armoricaine par les troupes américaines. Certes, il n’arbore pas les pistolets à crosse d’ivoire qu’affectionne son supérieur direct et qui ont indéniablement contribué à forger sa légende. Pour autant, le général Wood n’en demeure pas moins un officier charismatique, et dont la méthode, basé sur un sens profond de la pédagogie, continue d’interpeller.

Lors d'une prise d'armes à l'académie militaire de West Point, aux alentours de 1910. Carte postale, collection particulière.

Né le 11 janvier 1888, dans l’Arkansas, d’un père magistrat à la cour suprême de cet état, le jeune John Shirley Wood se distingue d’abord par d’évidentes qualités physiques. Elève officier à l’académie de West Point, le Saint-Cyr américain, il s’illustre dans les équipes de football américain mais aussi de lutte et de boxe. Est-il possible d’établir un lien entre ces sports et son style sur le champ de bataille, particulièrement agressif, privilégiant le mouvement incessant pour accentuer les chocs infligés à l’ennemi ? Il est d’autant plus difficile de le dire qu’à cela s’ajoute une tête bien pleine : notre homme est diplômé en chimie et se voit attribuer par ses camarades de promotion le sobriquet de « Professeur », élément qui en dit autant sur ses connaissances que son charisme.

Mais avant d’être un officier général commandant des milliers d’hommes face aux Panzers nazis, John S. Wood débute sa carrière en tant qu’instructeur, et accessoirement entraine l’équipe de football américain de West Point qu’il avait mené, alors qu’étudiant, à de grands succès en tant que quaterback. Ce n’est qu’en 1918 qu’il fait l’expérience du feu, en France, à l’occasion de l’offensive de Saint-Mihiel. C’est là également qu’il fait la connaissance d’un jeune officier prometteur : George Patton. La guerre gagnée, il retourne aux Etats-Unis et alterne enseignements dans diverses universités et formations en état-major. C’est ainsi par exemple qu’il retourne en France à la fin des années 1920, afin d’être breveté de l’Ecole supérieure de guerre.

Curieux clin d’œil de l’histoire d’ailleurs que ce passage sur les bancs de cette prestigieuse académie qui symbolise bien cette armée française des années 1920-1930 engoncée dans les certitudes acquises lors de la victoire de 1914-1918. C’est en effet à un de ses anciens élèves que revient l’honneur de laver l’affront de juin 1940, mais avec des méthodes qui lui sont propres. Placé à la tête de la 4e division blindée en mai 1942, il soumet ses soldats à un entraînement constant, dans toutes les conditions possibles, afin qu’ils soient prêts à réagir dans n’importe quelle situation. A la manière du brillant chimiste qu’il est aussi, il assemble patiemment les éléments qui lui sont confiés, se servant de son sens de la pédagogie pour assurer la cohésion indispensable entre les hommes. Il en résulte un style de commandement unique et direct contrastant singulièrement avec la position de stratège œuvrant loin en arrière du champ de bataille, tel un joueur d’échecs, qui sied parfois aux généraux. Plutôt que d’envoyer ses ordres par écrit, l’officier américain multiplie les déplacements sur la ligne de feu et communique lui-même, de visu, ses instructions à ses subordonnés afin de s’assurer qu’ils comprennent bien, d’une part la situation, d’autre part ses volontés.

Char Sherman de la 4e division blindée, sans date. Collection particulière.

Originale, la « méthode Wood » fait des merveilles : de juin à septembre 1944, la 4e division blindée détruit 400 tanks allemands, tue 5 000 hommes et en capture trois fois plus… et devient l’élément d’élite de la 3e armée commandée par Patton. Pourtant, John S. Wood demeure, encore aujourd’hui, dans l’ombre de son rocambolesque chef. La ville de Rennes en est d’ailleurs un bon exemple : si George Patton donne son nom dès juillet 1949 à une avenue du chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine, il faut attendre 1985 pour qu’un tel hommage soit rendu à John S. Wood. Et encore, il ne s’agit que d’un square…

Erwan LE GALL