Le sabordage de la flotte dans L’Ouest-Eclair

Le 27 novembre 1942, la flotte française se saborde dans la rade de Toulon. Seuls quelques bâtiments s’échappent, dont le Casabianca qui prendra une part très importante à la libération de la Corse. Il n’appartient pas à ces lignes de revenir sur le détail de cet évènement désormais bien documenté. Pour autant, toute question maritime ramenant en France nécessairement à la Bretagne, il a paru intéressant de se demander comment l’un des principaux quotidiens bretons, L’Ouest-Eclair, évoque cet épisode de la Seconde Guerre mondiale.

Le croiseur La Marseillaise sabordé à Toulon. Bundesarchiv: Bild 101I-027-1451-20.

Ce journal nie tout d’abord complètement le sabordage de la flotte. Dans son édition du 28 novembre 1942, le quotidien rennais titre sur le fait que « les troupes de l’Axe occupent Toulon » mais n’évoque jamais cet évènement. Au contraire, selon les termes d’une affiche de l’époque, l’Allemagne parait victorieuse sur tous les fronts puisque « de l’Océan arctique à l’Océan indien 19 navires anglo-américains [sont] coulés » et que « l’offensive soviétique [est] enrayée sur plusieurs points dans le secteur de Stalingrad », provoquant ainsi « une hécatombe de chars rouges ». Les pages intérieures ne diffèrent pas de cette ligne éditoriale puisqu’on y célèbre le retour de 31 prisonniers de guerre bretons libérés au titre de la relève1.

Ce n’est que le surlendemain, 30 novembre 1942, que L’Ouest-Eclair évoque le sabordage de la flotte à Toulon suivant une partition assez fine. Est tout d’abord publié un officiel et lénifiant communiqué de l’Amirauté2 : celui-ci impute le sabordage de la flotte à des instructions datant de l’armistice de juin 1940, instructions qui aurait été trop scrupuleusement respectées par les officiers. En d’autres termes, c’est parce qu’elle est parfaitement obéissante – valeur militaire suprême d’autant plus valorisante dans un régime tel que Vichy qui accorde une place si importante à l’ordre – que la flotte s’est sabordée. Il faudrait donc presque y voir une preuve de sa valeur…

Editorial publié dans le numéro du 30 novembre 1942 de L'Ouest-Eclair. Archives Ouest-France.

Mais c’est finalement un petit encart, non signé mais faisant manifestement office d’éditorial, qui parait le mieux résumer la position de L’Ouest-Eclair. Intitulé Les épreuves de notre Marine, cet article place le sabordage de Toulon dans la suite d’une série d’évènements particulièrement douloureux pour la Royale, du blocus d’Alexandrie à Mers-El-Kebir. Là encore, un tel propos n’a au final rien de surprenant. Mais plus étonnant est la vigueur avec lequel ce quotidien proclame que « la journée du 27 novembre est une nouvelle journée de deuil pour la marine française ». Rappelant en effet que la flotte est alors non seulement un étalon de la puissance mais un élément de fierté pour un peuple, L’Ouest-Eclair s’attriste de ces « carcasses démantelées » qui étaient auparavant de fiers navires de guerre. Bien évidemment, le journal ne manque pas d’attribuer le sabordage de la flotte à Charles de Gaulle : cet évènement est en effet « d’autant plus douloureux au cœur des français qu’il est la rançon de l’indignité de certains chefs qui ont trahi à la fois leur patrie et leur serment »3.

Même si on ne peut s’empêcher d’y voir un immense regret face au constat de l’évident délitement de la puissance française, la position de L’Ouest-Eclair reste attendue en ce que ce journal demeure fidèle au Maréchal Pétain et à Vichy. Pour autant, on ne peut qu’être frappé par le laps de temps avec lequel ce quotidien traite du sabordage de la flotte de Toulon. C’est en effet dès le 27 novembre au soir que le général de Gaulle se félicite au micro de la BBC de ce sabordage. Une position là encore bien optimiste puisque si l’Allemagne se trouve amputée d’un certain nombre de bâtiments, tel est aussi le cas de la France libre.

Erwan LE GALL

1 L’Ouest-Eclair, n°16 713, 28 novembre 1942.

2 « Un communiqué de l’amirauté sur le sabordage de la flotte », L’Ouest-Eclair, n°16 714, 30 novembre 1942, p. 1.

3 « Les épreuves de notre marine », L’Ouest-Eclair, n°16 714, 30 novembre 1942, p. 1.