Le torpillage du Bretagne raconté par l’écrivain José Germain

La « drôle de Guerre » conduit souvent le lecteur du XXIe siècle, à retarder le début du second conflit mondial à l'offensive allemande du printemps 1940. Pourtant, la guerre est belle et bien effective depuis sa déclaration au mois d’août 1939. L’exemple du torpillage du paquebot Bretagne –  le premier sous pavillon français à subir ce triste sort – en octobre 1939 rappelle cette réalité. Quotidiennement, les Français découvrent alors les premières confrontations entre belligérants, le tout à haute dose de propagande. La relation de l'attaque du Bretagne par l'écrivain José Germain dans les colonnes de L'Ouest-Eclair témoigne de cette ambiance où l'ennemi est critiqué pour son cynisme1.

Un paquebot nazairien

L’histoire du paquebot Bretagne commence aux Pays-Bas en 1922. Armé sous le nom de Flandria, il est racheté en 1936 par la Compagnie Générale Transatlantique. Désormais rattaché au port de Saint-Nazaire, il est rebaptisé Bretagne, un nom qu’il porte bien puisque la majorité de son équipage est breton2. Sa nouvelle carrière se dessine alors sur l'océan Atlantique. Après une escale à Bordeaux, il met le cap sur les Antilles et l’Amérique du Sud.

En septembre 1939, le Bretagne s’apprête à regagner la France avec à son bord des mobilisés antillais ainsi qu'un passager célèbre : l’écrivain José Germain. Ce dernier, 55 ans, a tout d’un « chat noir ». Il a en effet survécu consécutivement à l’incendie de son appartement et au déraillement d’un train3 ! Cette fois il embarque à bord du paquebot sans naturellement se douter de l’issue du voyage. Tout du moins, il peut sérieusement l’envisager. En effet, la déclaration de guerre fait ressurgir l’angoisse vécue quelques années plus tôt par de nombreux matelots : rencontrer un sous-marin ennemi.

Malgré les tentatives infructueuses menées par les Britanniques pour interdire les sous-marins, ces derniers sont effet toujours en activité. Pire, ils se sont encore perfectionnés … On se rappelle ainsi qu'après l'échec de la conférence navale de Londres en avril 1930, qui avait pour but d'interdire les submersibles, l'amiral Jellicoe exprime son inquiétude pour « la sécurité de la Grande-Bretagne ».

Pour tenter de déjouer les U-Boots, les alliés se servent de l’expérience acquise lors de la Première Guerre mondiale : appuie aérien, voyage en convoi4 … Conformément à ce dernier procédé, le Bretagne rejoint la Jamaïque afin de se grouper avec des navires britanniques et français. Pour plus de sécurité, les bâtiments sont également camouflés. La coque et les cheminées sont ainsi peintes en gris. Mais ce subtile subterfuge ne suffit pas. La traversée nécessite une vigilance de tous les instants et le voyage s’effectue dès lors « lumières éteintes, hublots fermés, avec nos seuls appareils récepteurs de T. S. F., sur une même ligne; avec des changements constants de direction et une marche lente qui devait nous permettre d'être repris en charge par de nouveaux convoyeurs ».

Un ennemi dépourvu de moralité !

Près de deux semaines après avoir quitté la mer des Caraïbes, les navires s’approchent des côtes britanniques. Mais ce samedi 14 octobre, une sirène vient réveiller les passagers : un sous-marin allemand est en approche. Tel un redoutable prédateur, ce dernier se met à traquer sa proie qui tente, vainement, de se soustraire à l’affrontement :

« Nous essayons, d’abord, de lui échapper en forçant notre marche, puis nous lui présentons l’arrière en zigzaguant. Mais il est dans notre sillage, comme un requin, en surface. Il nous gagne de vitesse, nous double, nous barre la route et SANS UN ORDRE DE STOP. NI DE SOMMATION, TIRE DES COUPS DE CANON SUR NOUS, le premier sur le poste de T. S. F., blessant gravement le radiotélégraphiste. »

L’utilisation de majuscules par la rédaction du quotidien n'est pas laissée au hasard. Elle accentue l’immoralité des Allemands. En effet, pratiquer la guerre sous-marine implique une réflexion morale qui s’était déjà posée lors de la Première Guerre mondiale, notamment avec le torpillage du Lusitania : la guerre justifie-t-elle la mort de civils innocents  ? C'est pourquoi, les convenances imposent aux sous-mariniers de procéder à des sommations afin que l'équipage puisse se mettre hors de tout danger. Ce n'est qu'ensuite que le bâtiment doit être coulé. Or, tels qu’ils sont présentés dans le témoignage, les Allemands font preuve d'une immoralité d’autant plus grande qu’ils n’attendent pas l’évacuation totale du navire pour réitérer leur offensive :

« Soudain, une secousse plus forte ébranle le navire qui vibre tout entier, comme si ses hélices sortaient de l’eau : la torpille. Elle est entrée dans la cale. Elle explose dans un chargement de café et de tabac. »

Preuve ultime du cynisme de l’ennemi, cinq hommes d’équipage et deux passagers sont portés disparus6. Les rescapés, quant à eux, prennent place dans les canots qui rejoignent progressivement ceux du pétrolier Emile-Miguet et du cargo Louisiane, également victimes de l’offensive sous-marine.

Des alliés solidaires et efficaces

Cet article de L’Ouest-Eclair est un véritable cas d’école. Les codes de la propagande y sont parfaitement respectés. Après avoir condamné l'ennemi, le témoignage porte en triomphe l'alliance avec l'ami britannique, ce qui, encore une fois, compte tenu du passé naval de ces deux Nations, n’est pas une évidence absolue. En effet, après quelques heures de dérive, les rescapés sont secourus par des navires de la Royal Navy. Ils gagnent alors Plymouth, « où les Anglais nous firent le plus touchant des accueils, distribuant des vivres, des vêtements chauds, des cigarettes » selon José Germain. Une convivialité sur laquelle insiste également l'équipage breton qui regagne Saint-Nazaire le 17 octobre7.

Cette alliance avec l’ami britannique est redoutablement efficace selon les communiqués de presse qui affirment que : « 21 sous-marins allemands auraient été coulés  depuis début des hostilités »8 ! W. Churchill estime même le 17 octobre, devant la Chambre des Communes, qu’un tiers des sous-marins allemands aurait été rendu inactif9 ! Cette efficacité est relayée dans le témoignage de José Germain puisqu’il affirme qu’à bord du bateau de guerre qui le repêche, se trouve « le commandant et l'équipage d'un sous-marin allemand, capturés la veille, alors qu'il venait de couler un cargo anglais ». Un rendement confirmé par L'Ouest-Eclair qui prétend le 17 octobre que l’un des sous-marins responsable de l’attaque du 14 octobre « est à l’heure actuelle par le fond »10.

José Germain. histoire-memoires.com.

Le conflit est donc bel et bien présent dans le quotidien des Français de l'automne 1939. Bien plus que le récit d'un simple torpillage, le témoignage de José Germain s'inscrit parfaitement dans la propagande anti-allemande du début de la Seconde Guerre mondiale. Chose d'ailleurs assez ironique lorsqu'on sait que cet écrivain devient quelques mois plus tard l'une des plumes les plus partisanes de la collaboration11.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Le torpillage de la « Bretagne » raconté par un rescapé », L’Ouest-Eclair, n°15681, 18 octobre 1939, p. 2.

2 « Le torpillage des trois bâtiments français a fait huit victimes », L’Ouest-Eclair, n°15680, 17 octobre 1939, p. 3.

3 GERMAIN, José, Mes catastrophes : souvenirs, Paris, La Couronne Littéraire, 1948.

4MASSON, Philippe, « La guerre sous-marine » in AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Jean-Jacques, Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004, p. 437-451.

5 MASSON, Philippe, art. cit.

6 « Le torpillage des trois bâtiments français a fait huit victimes », L’Ouest-Eclair, n°15680, 17 octobre 1939, p. 3.

7 « Des rescapés de la « Bretagne » arrivent à Saint-Nazaire », L’Ouest-Eclair, n°15681, 18 octobre 1939, p. 1.

8 « 21 sous-marins allemands auraient été coulés depuis le début des hostilités », L’Ouest-Eclair, n°15679, 16 octobre 1939, p. 3 et dans Le Nouvelliste du Morbihan, 53e année, n°289, 17 octobre 1939, p. 1.

9 « Un tiers des sous-marins allemands en service au 1er septembre aurait été coulé», L’Ouest-Eclair, n°15681, 18 octobre 1939, p. 2.

10 « Le torpillage des trois bâtiments français a fait huit victimes », L’Ouest-Eclair, n°15680, 17 octobre 1939, p. 3.

11/ SAPIRO, Gisèle, « La collaboration littéraire », in BETZ, Albrecht et MARTENS, Stefan, Les intellectuels et l’Occupation, 1940-1944, Paris, Autrement, 2004, p. 39-49.