Mariette et Poupette en Résistance : les sœurs Simone et Marie Alizon

L’engagement en Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, et plus encore dans les premiers mois de l’occupation, ceux des « bricolages héroïques » pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Azéma, n’est pas un objet historique qui s’étudie aisément1. Comment expliquer ainsi que deux sœurs, dont la plus âgée n’a pas 20 ans et la cadette, plus jeune de 3 ans, pâtit d’une santé fragile, deviennent dès 1941 deux agents importants d’un réseau de renseignement de la France libre ?

La place de la gare à Rennes, dans les années 1940. L'Hôtel d'Arvor est situé dans une rue adjacente, à droite. Carte postale. Collection particulière.

La première piste d’explication réside naturellement dans le milieu familial des deux jeunes femmes. Simone, surnommé Poupette, et Marie, Mariette, Alizon naissent dans une famille de modestes hôteliers qui tiennent à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale un petit établissement près de la gare : l’Hôtel d’Arvor. Si cet emplacement est un indéniable avantage commercial, cette localisation n’est par ailleurs pas sans inconvénients. Les nœuds ferroviaires sont en effet une cible privilégiée et les deux sœurs sont envoyées pendant quelques semaines par leur père se réfugier à la campagne.

Revenues à Rennes une fois l’armistice signé, les deux jeunes femmes aident à l’entreprise familiale lorsqu’un jour d’octobre 1941, un client entend la mère de Simone et Marie se plaindre de la présence de l’occupant en des mots ne laissant place à aucune ambiguïté. Or cet homme n’est ni plus ni moins que Robert Alaterre. Fondateur et chef du réseau de renseignements Johnny, il comprend immédiatement qu’il peut disposer avec l’Hôtel d’Arvor et les deux filles Alizon d’une base discrète mais idéalement située. C’est le moment qui scelle l’entrée en Résistance des deux jeunes femmes, la décision étant d’ailleurs prise de manière unilatérale par l’aînée.

On voit donc qu’ici l’engagement en Résistance découle d’éléments très disparates. Il y a bien entendu des éléments aisément objectivables comme les sentiments patriotiques de la famille Alizon et la localisation de l’Hôtel d’Arvor. En effet, si l’établissement familial avait été situé en lisière de Rennes, il n’est pas certain que Marie et Simone aient pu aussi aisément intégrer les rangs de l’armée des ombres. Et puis il y a aussi des éléments qui relèvent du pur hasard, comme cette parole entendue par Robert Alaterre ou les forts sentiments amoureux qui ne tardent pas à unir Marie Alizon et Marcel Le Roy, un opérateur radio du réseau Johnny.

Marie Alizon photographiée à Auschwitz I le 3 février 1943. Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.

Mais la Résistance n’est pas une histoire de fleurs bleues puisque la répression est omniprésente, impitoyable. Entré rapidement dans le collimateur de l’Abwehr, Johnny est privé au début de l’année 1942 de plusieurs de ses membres, arrêtés par les Allemands. Se sachant en danger, Marie et Simone refusent pourtant de quitter leur famille et l’Hôtel d’Arvor. C’est là d’ailleurs qu’elles sont à leur tour arrêtées en mars 1943 par la Feldgendarmerie. Internées d’abord à la prison de la Santé puis au fort de Romainville, elles sont déportées à Auschwitz dans le fameux transport dit des 31 000 – en référence à leur numéro d’immatriculation – dans lequel on retrouve des femmes telles que Charlotte Delbo, Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier. Si Marie Alizon décède le 3 juin 1943 à Auschwitz, Simone parvient survivre à l’enfer concentrationnaire. Revenue à Rennes, elle épouse Jean Le Roux, un important membre du réseau Johnny.

Erwan LE GALL

 

 

1 AZEMA, Jean-Pierre, « Des résistances à la Résistance », in AZEMA, Jean-Pierre et BEDARIDA, François, La France des années noires, T2, De l’Occupation à la Libération, Seuil, Paris, 2000. Pour un cadre général d’analyse, on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « L’engagement des Français libres : une mise en perspective » in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Erwan (Dir.), Pour une histoire de la France libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 29-47.