« L’homme qui ne ressemblait à personne » : Emmanuel D’Astier de la Vigerie, aristocrate, député apparenté communiste d’Ille-et-Vilaine et prix Lénine de la Paix

Politiquement, l’Ille-et-Vilaine est une terre de modération, pour ne pas dire de tiédeur. Aussi, lorsque ce département élit un député communiste au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci, fut-il Compagnon de la Libération, ne tarde pas à s’éloigner de la ligne du parti. Il est vrai qu’Emmanuel d’Astier de la Vigerie est une figure singulière, et pourtant négligée par l’historiographie.

Par Jacques THOUROUDE

 

« Il détestait la société qui était le fruit d’une chrétienté et d’un capitalisme qui lui paraissaient dépassés. Il aimait le communisme et l’idée sommaire qu’il s’en faisait dans un monde sans argent et sans hypocrisie. Il admirait les communistes un à un.  Mais il redoutait leur dogmatisme, leur méfiance concertée, leur secret collectif, leur discipline, leur réticence et leur ruse à l’égard de ceux qui n’étaient pas des leurs. En fin de compte, il n’était pas prêt à sacrifier à une vie future cette part de bonheur et de morale qu’il cherchait à élaborer »

Emmanuel d’Astier de le Vigerie, Le  miel et l’absinthe, 1958.

Celles et ceux qui, dans le mitan des années soixante, possédaient un téléviseur —  période « de son irrésistible ascension et de sa transformation en véritable objet de consommation », 60% des foyers sont équipés en 19671 — se souviennent peut-être de ce personnage assez singulier, au langage châtié, portant beau, au visage en lame de couteau à l’instar de l’écrivain communiste Roger Vailland1, élégamment vêtu, parfois la pipe à la main, qui s’invitait une fois par mois à leur domicile par l’intermédiaire de « l’étrange lucarne », selon l’expression qui fit les beaux jours d’une rubrique du Canard Enchaîné3. L’émission, diffusée sur la seconde des deux chaînes de télévision qui existent alors, s’intitulait « Un quart d’heure avec… », elle changera ensuite de titre pour s’appeler « L’événement ». Le plus souvent dans le décor d’un salon avec bibliothèque, Emmanuel d’Astier de la Vigerie y commentait l’actualité du mois, nationale et internationale ; il répondait aux questions d’un journaliste sur le ton de la conversation courtoise, avec une élégance naturelle, l’assurance du grand bourgeois éclairé, cultivé et une indépendance d’esprit qui détonnait quelque peu dans le cadre de cette télévision très corsetée par la censure du pouvoir gaulliste. Il pouvait aussi bien aborder les questions les plus triviales, ainsi par exemple lorsqu’il prenait la défense des nouvelles méthodes de vente pratiquées par Édouard Leclerc à Landerneau, que de montrer l’importance de la visite d’André Malraux au président chinois MaoTsé-Tung, fustiger les États-Unis en raison de la guerre qu’ils menaient au Vietnam ou braver les ciseaux d’Anastasie quand il dénonça en 1967 la situation coloniale de la Guadeloupe4.

Emmanuel d'Astier de la Vigerie à la Radio-Télévision Suisse-Romande pour commenter, en 1969, la démission du général de Gaulle. Capture d'écran / Archives RTS.

Mais il est vraisemblable qu’en Ille-et-Vilaine peu de téléspectateurs, à l’exception de ses anciens électeurs et de ses détracteurs les plus virulents, se souvenaient que cet homme disert et  habile avait été un des sept députés du département pendant 13 ans, de 1945 à 1958, élu sur une liste communiste et de surcroît titulaire en 1957 du « Prix Lénine international pour le renforcement de la paix entre les peuples » − l’ancien prix Staline débaptisé en 1956 −, délivré par un comité présidé par un académicien soviétique assisté notamment des écrivains Louis Aragon, Pablo Neruda (Chili) et Anna Seghers (R.D.A.). Ajoutons enfin que cet anticonformiste absolu et provocateur, ce « Don Quichotte et mousquetaire »5, Compagnon de la Libération, déclarait au cinéaste Marcel Ophuls dans une des séquences de son documentaire Le chagrin et la pitié, à propos de son engagement dans la Résistance dès 1940 6 :

« Vous n’imaginez pas un vrai Résistant qui soit ministre plénipotentiaire, ou colonel ou chef d’entreprise. Ils ont réussi leur vie. Ils la réussiront avec l’Allemand, avec l’Anglais, avec le Russe. Mais nous — il insiste sur le nous — qui étions des ratés, eh bien nous avions les sentiments donquichottiens que peuvent avoir les ratés. Les marginaux sont plus facilement attirés par l’héroïsme que les gens bien intégrés dans le système […] Bien plus que les débats nébuleux sur le nombre de Résistants actifs par rapport à la population dans son ensemble, c’est cela qui s’inscrit en faux contre les mythes complaisant du peuple en marche, qui est le cliché de la gauche, et de la France victorieuse qui est le cliché de la droite. »

L’élection de d’Astier est elle aussi, comme le personnage, un fait pour le moins insolite dans un département acquis très majoritairement à la droite conservatrice et catholique. Pourquoi, dans quelles conditions historique et politique, d’Astier, qui n’avait pas d’attaches particulières avec la Bretagne et le département dans lequel il ne résidera d’ailleurs jamais, devint-il − avant 1945 le P.C.F. d’Ille et Vilaine n’avait jamais eu d’élu à l’Assemblée nationale et il n’en aura plus après lui, jusqu’à ce jour − un des représentants  du département à l’Assemblée  nationale pendant cinq mandats ?  Comment fut-il perçu par les communistes du département et, au-delà, par ses électeurs et ses adversaires ? Comment s’acquitta-t-il de son rôle de représentant d’une population qu’il ne connaissait pas, dans un département où il ne faisait que passer furtivement ?

 

Pourquoi D’Astier de la Vigerie ?

En introduction de la notice biographique consacrée à d’Astier dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, le rédacteur avoue d’emblée sa perplexité : « Rien de plus improbable, écrit-il, et de plus incongru que la présence d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie parmi les notices d’un dictionnaire dédié aux militants du mouvement social et du mouvement ouvrier. Les quarante premières années de sa vie relèvent, en effet, davantage du Bottin mondain que des joutes intellectuelles ou des luttes revendicatives »7. Mais sa « trajectoire résistante et son prolongement politique après-guerre » changent la donne.

Du mondain au militant : République et communisme

Né dans une famille de vieille aristocratie catholique et maurassienne propriétaires terriens en Ardèche, officier de marine dilettante rayé des cadres, opiomane, admirateur de l’antisémite Drumont et de Jacques Doriot dans les années d’avant-guerre, chroniqueur mondain, ce n’est qu’à la fin des années trente que d’Astier s’éloigne progressivement du conservatisme de son milieu d’origine. En janvier 1938 le magazine Vu publie sous sa signature un article intitulé « Ni fascisme ni communisme » dans lequel, face aux périls qui viennent, il plaide pour l’union sacrée8. Il écrit :

« La nation française gagnerait sûrement à se passer d’une dictature de droite ou de gauche mais elle ne peut se passer d’une autorité […] La France, si elle veut vivre en grande  nation, ne doit pas consacrer son temps aux seules préoccupations domestiques et mesquines […] Elle ne peut être sauvée que par un gouvernement de Salut public […] qui n’aurait que deux buts : éviter la guerre en la faisant craindre par la puissance diplomatique et militaire de la France, et restaurer l’économie française en sauvegardant sa supériorité sociale et en lui rendant son pouvoir sur le marché international.
Comme de telles fins supposent une politique de discipline et de pénitence il faut qu’elle soit menée avec les parties saines des forces ouvrières, paysannes et patronales, par des hommes qui ne peuvent être soupçonnés de représenter les intérêts patronaux ou les appétits syndicaux. »

C’est à la suite de la défaite de 1940 qu’il trouve son chemin de Damas. Démobilisé, très hostile à Pétain, indigné par les lâches renoncements des militaires, il est convaincu de la nécessité de lutter contre l’occupant nazi. Avec quelques amis, il fonde un premier groupe de résistants, puis en 1941 le journal clandestin Libération et le mouvement du même nom, « solidement arrimé au mouvement ouvrier » nous dit L. Douzou9. Il rencontre de Gaulle à Londres en 1942, est fait Compagnon de la Libération le 3 mars 1943 et accomplit des missions importantes auprès de Roosevelt et de Churchill.

Avec des Résistants du Mouvement de Libération nationale, Emmanuel d'Astier de la Vigerie est au centre. Sans date. Collection particulière.

Lors de la création du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) en juin 1944 il occupe le poste de ministre de l’Intérieur qu’il quitte en septembre 1944 pour prendre la direction du journal Libération10. C’est donc ce résistant prestigieux qui ne connaît ni le département ni ses problèmes que le Parti communiste décide de présenter en tête de la liste d’Union républicaine et résistante d’Ille-et-Vilaine lors des élections à la première Assemblée nationale constituante du 21 octobre 1945, ainsi que dans les suivantes jusqu’en 1958. En 1966, dans un livre d’entretiens, d’Astier présente dela sorte son parachutage dans le département11 :

« Comme parlementaire, je me suis vu proposer par le P.C.F., par Jacques Duclos et Maurice Thorez, un siège incertain en Ille-et-Vilaine. C’est grâce à la proportionnelle et à l’appui essentiel des voix communistes que j’ai pu enlever le siège dans une circonscription cléricale et réactionnaire. J’entrais dans la vie politique grâce aux voix communistes. J’étais engagé. »

Avant d’accepter, d’Astier a tenu à mettre les choses au point en les informant qu’il pense, à tort comme on le saura plus tard, qu’il existe au ministère de l’Intérieur un dossier relatif à son passé d’opiomane. Duclos aurait répondu qu’il le savait déjà, on en reste là12. Dans un contexte de reconstruction d’une France nouvelle, cet accord scelle donc la rencontre entre une conviction, une ambition personnelle, celles de d’Astier et une stratégie politique à plusieurs dimensions, celle du P.C.F.

La Bretagne, terre de mission

C’est d’abord parce que la Bretagne est pour eux une terre de mission que les dirigeants du P.C.F., Maurice Thorez et Jacques Duclos, font ce choix et l’imposent aux communistes d’un département réputé clérical, comme la région, avec un goût affirmé pour le conservatisme, la prudence, la modération ; on vote à droite, la gauche y est faible13. Il permet d’opposer un résistant prestigieux à un autre, le rennais Pierre-Henri Teitgen, lui aussi Compagnon de la Libération et candidat du M.R.P. soutenu par deux agents électoraux de poids, le quotidien Ouest-France et l’archevêque de Rennes14. Les communistes dénonceront d’ailleurs lors des élections de 1956, sur fond de guerre scolaire, ce qui leur apparaît comme une collusion particulièrement évidente. Le chrétien progressiste Henri Denis, directeur de Ouest-Matin, adresse une lettre ouverte au Cardinal Roques (numéro du 27 décembre 1955) dans laquelle il reproche à l’ecclésiastique de jouer les entremetteurs dans le but de monter une coalition des partis de droite – M.R.P., Indépendants et R.P.F. – qui pourrait empêcher la réélection de d’Astier. Ce que le prélat, toute en reconnaissant « que la plupart des candidats aux élections législatives m’ont fait individuellement, suivant la coutume dans la région, une visite avant l’ouverture de la campagne électorale », dément vigoureusement dans une déclaration publiée par le quotidien La Croix et reprise par Ouest-France (29 décembre 1955). Quoi qu’il en soit, l’option du P.C.F. s’inscrit avant tout dans une stratégie de conquête et de consolidation de l’implantation du Parti dans un département depuis toujours très réfractaire au communisme. C’est pourquoi, même dans un contexte national plus favorable en raison du rôle essentiel joué par le Parti dans la Résistance, il doit trouver des médiations susceptibles  de rallier le plus grand nombre en estompant les rugosités idéologiques. C’est ce que souligne une note d’information adressée au cabinet du préfet par les Renseignements généraux (RG). :

« La terre des prêtres n’est évidemment pas le terrain où le P.C. peut recruter aisément ses fidèles. Plus encore que partout ailleurs, il ne peut progresser sous son propre drapeau et ne peut en fait compter que sur la petite collectivité hétérogène qui s’abreuve spirituellement aux confins du progressisme et du communisme. »15

Le P.C.F. présente donc dès 1945 − il en sera ainsi jusqu’aux élections de 1956 dans des contextes toutefois fort éloignés du consensus né de la Libération − une liste placée sous les auspices de la République et de la Résistance, avec en position éligible D’Astier qui n’est pas communiste et affirme ne pas vouloir l’être. Bien plus tard, en 1966, faisant le bilan de cette période de sa vie il dira : « En renâclant, j’ai vécu aux côtés du Parti communiste. De grandes options me rapprochaient toujours de lui : guerre de Corée, guerre d’Indochine, injustices sociales, désordre d’un régime français que le communisme soutenait dans ses retards et ses excès comme la corde soutient le pendu »16. Cette stratégie place de fait au second plan, voire marginalise complètement les autres candidats désignés parmi les militants communistes du département pour compléter la liste.

Carte postale. Collection particulière.

La même ligne consensuelle de brouillage idéologique au service d’intérêts stratégiques − son caractère factice ne résistera pas longtemps aux affrontements de plus en plus violents de la Guerre froide − sera adoptée lors du lancement en 1948 de Ouest-Matin, quotidien « de défense républicaine », aboutissement d’une bataille pour la presse lancée dès la fin 1944. Le journal, communiste de fait par ses initiateurs, son encadrement, ses journalistes, son financement, est en effet présenté avant tout comme « chrétien progressiste ». Le Parti en confie la direction à un rennais non encarté, Henri Denis, professeur d’économie politique à la Faculté de droit, catholique pratiquant, ancien pétainiste, théoricien en 1941 du corporatisme, rallié aux chrétiens progressistes après 1944. Rendant compte de l’inauguration officielle au siège du journal le 27 octobre 1948 et de la présentation des objectifs du quotidien par Henri Denis, le fonctionnaire des RG ironisera en écrivant « qu’on avait beaucoup parlé du bon dieu » et « qu’il s’était vraiment cru chez le cardinal »17.

Du strict point de vue des intérêts politiques nationaux et internationaux du P.C.F., le choix de d’Astier s’avère judicieux dans la mesure où − la Guerre froide et ses affrontements manichéens venus −  il jouera, notamment dans le vaste mouvement pacifiste initié par les communistes, un rôle non négligeable dans la défense de l’U.R.S.S. et de sa politique internationale.

« Pourquoi je suis avec eux »

D’Astier qui professait avant-guerre un antiparlementarisme virulent, nous dit son biographe18, a quant à lui achevé sa mue politique. Il passe de l’anticommunisme à un  compagnonage avec les communistes qui se confond avec la durée de son mandat de député d’Ille-et-Vilaine. Après il reprendra sa liberté pour jouer à nouveau les francs-tireurs.  Conscient de son profil atypique et des questions que provoque son engagement, dans sa classe sociale mais aussi dans les milieux politiques, sans omettre les farouches oppositions qu’il suscite dans les rangs mêmes du Parti, d’Astier s’explique à de nombreuses reprises sur son évolution politique pour la justifier, dans des articles, lors de réunions publiques, au cours d’interventions à l’Assemblée nationale. Dans un éditorial qu’il signe à la une d’un numéro spécial du journal Le Réveil (30/10/1946) - on est à deux semaines des élections législatives du 10 novembre 1946 - hebdomadaire des communistes du département, intitulé « Pourquoi je suis avec eux… », il résume les raisons de son engagement. Il affirme d’abord avoir eu l’occasion de connaître et d’apprécier les communistes pendant le combat dans la clandestinité : « durs au combat, désintéressés, sachant sacrifier leur vie ou leur liberté à leur idéal ». Il leur sait gré par ailleurs d’avoir en 1945 appelé les travailleurs à  la « la bataille pour la production » afin d’« assurer la renaissance et garantir l’indépendance nationale », montrant ainsi que le P.C.F. était un parti d’ordre et de gouvernement ; il estime que l’on ne peut faire sans lui « une véritable République, saine et démocratique » ; enfin, il refuse la domination américaine et rejette l’anticommunisme. Il précise à ce sujet : « Il y a tout de même deux positions dans le monde : ceux qui veulent tuer les communistes, ceux qui veulent s’accommoder d’eux […] il faut s’accommoder d’eux, quitte à trouver avec eux — et c’est un terme qu’ils n’apprécient pas — une synthèse des sociétés futures »19. Il dit par ailleurs avoir toujours été

« assez désespéré de voir que la Résistance ne jouait pas en France le rôle [qu’il avait ] rêvé. Je considérais que le rideau tombait sur notre grande aventure, sur le programme du Conseil National de la Résistance, que nous redevenions un État strictement bourgeois, assez conservateur […] Et je me suis trouvé porté par le courant communiste, tout en restant réfractaire à son totalitarisme. »20

Enfin, la question fondamentale est celle de l’U.R.S.S. :

« Le grand conflit entre le capitalisme et le communisme avait été ouvert : les blocs, le rideau de fer. Un choix semblait nécessaire. La rupture et l’escroquerie que représentait pour moi l’asservissement de la sociale démocratie au capitalisme étaient telles qu’il fallait bien opter pour le bloc soviétique tout en gardant mes anxiétés. »21

Le pavillon de l'URSS lors de l'exposition universelle de 1958, à Bruxelles. Carte postale. Collecton particulière.

Cet engagement politique et idéologique prendra même en 1954 la forme d’un roman à clé d’inspiration autobiographique, L’été n’en finit pas — un des personnages principaux a rejoint les communistes, il se prénomme Emmanuel22. Recensé par Aragon, avec des réserves, dans Les Lettres Françaises23, le roman raconte, sur fond de IV ͤ  République inféodée aux intérêts politiques et financiers américains, comment et pourquoi un aristocrate s’est allié aux communistes parce qu’il estime que la classe qu’il représente est condamnée par l’histoire et doit laisser sa place au peuple. Le récit semble être une illustration, alors qu’il est vivement mis en cause, de ce que D’Astier, dans sa défense du député communiste Raoul Calas24, déclarait à l’Assemblée nationale le 29  novembre 1947 — des grèves très dures paralysent alors le pays — au cours d’un débat parlementaire particulièrement houleux comme l’Assemblée en connut beaucoup au cours de ces années d’affrontement politique violent :

« Il est des  hommes qui sortent de la classe ouvrière, qui sortent du peuple et qui s’en écartent chaque jour. Il y a, d’autre part, des hommes qui ne sortent pas de la classe du travail mais qui cherchent à rejoindre le peuple. Eh bien ! J’aime mieux être de ceux-ci que de ceux-là. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche25

Á cette occasion, d’Astier prend vigoureusement la défense des grévistes de son département d’élection. Le 3 décembre 1947, à la suite d’une manifestation de cheminots à la gare de Rennes et des affrontements qui les ont opposés à la police, le parlementaire interpelle les autorités dans un communiqué — suivi d’un télégramme adressé au préfet d’Ille-et-Vilaine — qu’il publie :

« Après ridicule et odieuse attitude des pouvoirs publics à l’égard des dirigeants syndicaux – apprend évènements tragiques survenus gare de Rennes – Proteste immédiatement Préfecture et gouvernement – Envoie mon salut fraternel aux grévistes et exprime toute ma vive sympathie aux victimes d’une répression menée avec les mêmes procédés et parfois les mêmes hommes qui étaient employés contre la Résistance par une police aux ordre des Allemands. »

Le préfet lui répond longuement pour justifier l’attitude des forces de l’ordre26.
Il reste que ces convictions et cette stratégie du P.C.F., si elles troublent le jeu politique local en raison de la personnalité de d’Astier, se trouvent confrontées aux réalités politiques et sociales d’un département très majoritairement à droite. D’Astier se heurte à de farouches adversaires politiques faisant feu de tout bois pour le  discréditer.

Lors du congrès du Partic communiste français en 1945. Carte postame. Collection particulière.

De « L’ennemi n°1 » au « marquis à talons rouges »

Le 6 octobre 1945, date d’expiration du dépôt des listes pour l’élection d’une Assemblée constituante le 21 octobre dont la durée du mandat est limitée à sept mois, le préfet d’Ille-et-Vilaine rend compte au ministre de l’Intérieur de l’entrevue qu’il a eue avec d’Astier, accompagné du secrétaire fédéral du P.C.F. d’Ille-et-Vilaine, Jean-Roger Perennez27. D’Astier avise le représentant de l’État de sa candidature à la tête d’une liste de gauche : l’Union Républicaine, Résistante et Anti-fasciste, soutenue par le Parti communiste. Le préfet lui fait valoir que les communistes n’ont aucune audience dans un département où la population est très attachée à la personne du général de Gaulle ; il lui assure qu’il ne dépassera pas les 25 000 voix. Tout en invoquant une stricte neutralité le haut fonctionnaire le met en garde car il a le devoir «  de défendre l’œuvre du gouvernement », il n’hésitera pas « en conséquence, soit directement, soit indirectement, à empêcher qu’une atteinte soit portée aux sentiments de l’immense majorité de la population d’Ille-et-Vilaine pour le général de Gaulle et son gouvernement par les passions d’une campagne électorale tendancieuse voire erronée ». Les milieux politiques du département ne comprennent pas ce que D’Astier vient faire dans cette élection, ils estiment qu’il n’y a pas sa place et le disent publiquement. Le 8 octobre, La Voix de l’Ouest, journal démocrate-chrétien, fait le point sur les cinq listes déposées :

«  La liste d’Unité Républicaine et des Résistants a à sa tête M. Emmanuel D’Astier de la Vigerie, ancien ministre de l’Intérieur du Gouvernement d’Alger ; elle compte un certain nombre de communistes notoires et deux indépendants de gauche. L’on comprend mal la venue de M. D’Astier de la Vigerie en Ille-et-Vilaine, où son élection demeure problématique, à moins qu’elle n’ait eu pour objet essentiel de faire une opposition personnelle à M. Pierre-Henri Teitgen, ministre de la Justice, dont la prise de position politique et religieuse a été particulièrement relevée par la presse d’extrême gauche. »28

Collection particluière.

Enfin, à une période où, déjà, l’unité de la Résistance forgée dans le combat se délite, Vent d’Ouest, l’hebdomadaire régional du Mouvement de Libération Nationale lance l’offensive dans son  numéro du 13 octobre 194529. Dans un  article court et virulent à la une, précédé d’un gros titre en encadré, il accuse d’Astier d’être « L’ennemi n°1 du général de Gaulle ». Le rédacteur écrit :

« Il y a un mois le Patriote de l’Ouest [hebdomadaire régional  du Front National (Résistants communistes)] reprochait à notre camarade Laboureur de s’appeler de Raulin. Il insinuait également que la République ne pouvait pas attendre son salut du général de Gaulle, homme de droite par son éducation, par son milieu, par ses idées. Aujourd’hui, nous sommes dépassés, ça n’est plus une particule mais une particule et demi qu’on nous offre, et sans pudeur.
Le F.N., le M.U.R., et le Parti communiste proposent à vos suffrages d’Astier de la Vigerie.
Ouvriers, qu’en pensez-vous ? »

Suit toute une série d’accusations : l’intéressé ne serait jamais élu s’il se présentait chez lui, il serait d’Action française, l’un de ses frères serait bonapartiste, l’autre monarchiste, D’Astier aurait saboté l’épuration, enfin, il serait un adversaire du général de Gaulle. Conclusion :

« Voilà l’homme qu’une liste communiste nous présente.
Ouvriers et paysans bretons, vous jugerez ! »

D’Astier juge l’article diffamatoire et injurieux, il attaque le journal devant le tribunal correctionnel de Rennes, mais il perd son procès en première instance puis en appel, les juges estiment que la bonne foi du journal est certaine et qu’au surplus les termes de l’article incriminé ne constituent ni une injure ni une diffamation, D’Astier s’étant montré dans ses écrits comme dans ses déclarations publiques très hostile à la politique du général de Gaulle30. Après les élections, Vent d’Ouest enfonce le clou et rappelle dans son numéro du  27 octobre 1945, pour le mettre face à ses contradictions, une déclaration de d’Astier au congrès du M.L.N.  en octobre 1944 :

« Si le Parti socialiste paraît souvent usé, embourgeoisé, sclérosé, inefficace, le Parti communiste ne s’est pas dégagé de son envoûtement oriental, il n’a pas changé ses méthodes d’avant guerre et ses méthodes de travail sont souvent contraires à notre idéal de civilisation et de respect de la personne humaine. »

Les socialistes ne sont pas en reste. Lors d’un meeting électoral de la S.F.I.O. sous les Lices, à Rennes, le débat tourne à l’aigre entre communistes et socialistes31. Le candidat Aubry s’étonne « de voir que les communistes n’ont pas proposé aux électeurs une liste homogène, purement communiste, avec le programme communiste. Au lieu de cela, on voit en tête de liste un monsieur d’Astier de la Vigerie, d’origine et de milieu réactionnaires, qui a nommé des préfets réactionnaires quand il fut ministre de l’Intérieur, qui n’a pas osé se présenter dans son pays et qui vient on ne sait pourquoi se présenter à Rennes sur l’ordre du comité central du Parti communiste […] singulière représentation pour un parti ouvrier ». Au cours des campagnes électorales suivantes, au plus fort de la Guerre froide, la charge gagne en violence et une affiche électorale de la S.F.I.O. en 1951 affirme : « Ne votez pas pour l’étrange marquis Emmanuel d’Astier de la Vigerie, ce serait voter pour Staline, pour les camps de concentration, pour l’esclavage ! […] le communisme stalinien, c’est la guerre civile, c’est la guerre étrangère ». L’extrême gauche trotskyste qui ne représente sans doute guère plus que ses quelques colleurs d’affiches ironise en 1946 :

« Les temps ont changé. Hier les ducs, marquis et autres étaient pendus par nos ancêtres de 89, mais aujourd’hui Mr. Le marquis d’Astier de la Vigerie, gros propriétaire de fermes et de châteaux en Lozère, est député par la grâce du P.C.F. […] Heureux prolétaires d’Ille-et-Vilaine qui avez un tel défenseur. »32

Rennes au début des années 1950. Carte postale. Collection particulière.

Outre ces prises de position hostiles, les campagnes électorales — une corvée pour d’Astier33 —  dans les petites communes du département ne sont pas non plus une sinécure. Jacques Mitterrand, un ami de d’Astier à l’Union progressiste venu le soutenir et l’aider dans ses tournées de réunions publiques, a raconté avec verve certains épisodes, sans toutefois les dater précisément (fin des années 1940, début des années 1950), de « cette intimité journalière du combat républicain »34 :

« En ce département d’Ille-et-Vilaine, les chouans étaient pratiquement les maîtres : au lendemain de la Libération tous les députés, sauf un, étaient du M.R.P. le plus réactionnaire possible. Á ce député, socialiste [Albert Aubry], il faut ajouter le progressiste d’Astier et les deux hommes ne s’entendaient pas car l’anticommunisme primaire de l’un et les origines nobiliaires de l’autre n’arrangeaient pas les choses. Systématiquement, je ne m’en prenais qu’aux candidats M.R.P. droitiers conduits par Teitgen, Garde des Sceaux. Dans Rennes, la lutte ouverte était facilitée par une participation ouvrière importante. C’est aux Lices, immense salle inconfortable que se déroulaient les réunions publiques où d’Astier et moi-même arrivions à l’emporter sur tous les autres. C’était en un temps où la réunion publique attirait la foule des électeurs et électrices, friands notamment de la contradiction portée au candidat.[…] Mais si la gauche l’emportait à Rennes, il n’en était pas de même dans les campagnes et les bourgs.
Un dimanche, nous nous étions réparti les tâches. Il m’incombait de tenir réunion en un pays perdu dans la lande puis de suivre toutes les réunions de Teitgen en lui portant la contradiction. Les communistes mieux que quiconque connaissaient l’action des chouans : les curés, les recteurs de l’école libre empoisonnaient l’opinion publique à tel point qu’il fallait assurer la sécurité des orateurs de gauche. Je partis dans une vieille Renault, flanqué de trois gardes du corps, militants communistes connaissant bien la région. Trois ouvriers solides, un maçon, un vannier et un chauffagiste.
Ils savaient qu’à la première étape dans un bourg perdu dans la forêt de Brocéliande il fallait arriver à la sortie de la messe, grimper sur une table en plein air et ameuter les gens qu’on ne pouvait saisir en masse qu’à ce moment précis. Ce qui fut fait, le bistrot voisin prêtant la table sans bien comprendre. Debout sur celle-ci, protégé par les trois gardes du corps, j’attendis que toutes portes ouvertes, l’église commença à dégorger ses fidèles.
D’une voix forte et assurée, j’interpellai la foule surprise de cette sorte d’agression. Mais à peine avais-je prononcé quelques phrases que les cloches de l’église se mirent à sonner à toute volée. Je me tus et attendis que les cloches se taisent. Je repris alors la parole et le curé remit en, marche ses cloches. Cinq ou six fois je tentai de parler et les cloches couvraient ma voix au milieu des rires et des quolibets des gens…  Il fallut renoncer et, sous les sarcasmes, s’engouffrer dans la vieille Renault pour une fuite sans gloire. »35

Jacques Mitterrand donne d’autres exemples des difficultés rencontrées dans des communes du département où, parfois, certains patrons de restaurant manifestent leur hostilité en refusant de leur servir à manger.

Et les communistes ?

Que pensent les communistes du département de celui qui est devenu leur candidat principal, seul en mesure d’être élu ? Dans un parti discipliné, le soutien est officiellement sans faille. Le Réveil — le quotidien Ouest-Matin sera à partir de 1949 beaucoup plus réservé sauf lors des campagnes électorales — joue sur tous les registres. Par exemple une rubrique régulière, « Le coin de notre député », est créée pour mettre en valeur le travail parlementaire de « notre ami d’Astier » voire parfois, dans les grandes circonstances, de « notre grand ami d’Astier », mais jamais le « camarade d’Astier » qui n’est pas, il est vrai, adhérent du Parti.Après sa première élection en 1945, le journal écrit (28/10/1945) :  

« Malgré une campagne odieuse contre notre ami d’Astier (…) les électeurs s’apercevront bientôt  que d’Astier a mérité leur confiance : homme de gauche malgré son nom, politique éclairé et dévouement sans borne à la cause du peuple, voilà notre ami d’Astier. L’Ille-et-Vilaine peut être fière d’avoir une tel représentant, bien décidé à prouver par son travail et le respect de ses engagements qu’il est l’homme de ses écrits, c’est-à-dire un bon Français, un bon républicain et un réalisateur. »

Dans la préface déjà cité, Lucie Aubrac note : « Après Churchill, ce sont les électeurs de Bretagne qu’il a su convaincre ».

Cependant, son origine aristocratique, le milieu politique et intellectuel dans lequel il vit à Paris, font qu’il est socialement très éloigné d’électeurs ouvriers qui peuvent difficilement se reconnaître en lui. Orateur médiocre, il ne sait pas comment leur parler, encore moins en tête-à-tête lors des permanences qu’il tient parfois ici et là. Mais celles-ci sont le plus souvent assurées par des militants qui transmettent les requêtes ou par son attaché parlementaire Jean Champsavoir, par ailleurs rédacteur au Réveil. Bon connaisseur du département, à l’écoute des électeurs, c’est lui qui fait l’essentiel du travail. Il confiera plus tard au biographe de d’Astier :

« D’Astier ne connaissait rien des interventions que nous étions amenés à faire en son nom […] Quand les gens venaient le remercier, il me demandait : Qui c’est ? »

D’Astier est par ailleurs un homme très occupé : directeur du quotidien Libération, écrivain  il publie deux romans et deux essais entre 1945 et 195836, il participe à la fondation du mouvement des Combattants de la liberté et de la paix, participe au lancement de l’appel de Stockholm contre l’arme atomique et à toutes les organisations qui sont le fer de lance des communistes dans la défense de la politique internationale de l’Union soviétique37 : le Mouvement de la Paix dont il est membre du bureau, le Conseil mondial de la Paix présidé par Frédéric Joliot-Curie. À ce titre, il siège dans de nombreuses conférences et congrès internationaux, il est délégué auprès de l’O.N.U. pour la défense des positions du Conseil mondial de la Paix ; il rencontre des chefs d’État et notamment le soviétique Khrouchtchev38

Krouchtchev à l'ONU. Collection particulière.

La presse du Parti ne ménage pas sa peine pour mettre en valeur le travail du député qui est aussi un médiateur entre le citoyen et l’administration pour régler des problèmes très concrets. On imprime des extraits de discours de d’Astier, ils font parfois fonction d’éditorial, à un meeting ou à la tribune de l’Assemblée nationale ; on met en valeur, presque toujours à la une, telle intervention près d’un ministre, ses démarches en faveur des cheminots, des travailleurs de l’État, des retraités ou des chômeurs de Fougères ; on donne les lieux et les horaires de ses permanences. En contrepoint de cette promotion officielle du député d’Astier, il reste que pour certains militants d’Astier n’est pas leur candidat et ils le font comprendre. Ainsi par exemple, ils le laisseront poireauter une nuit complète en gare de Rennes sans envoyer quelqu’un pour le prendre39. Les crocs-en-jambe, voire les cabales ne manquent donc pas pour tenter de se débarrasser de d’Astier afin de le remplacer par un communiste authentique du département. La base électorale, elle, renâcle aussi beaucoup, semble-t-il, contre cet aristocrate député fantôme qui ne passe que rarement dans le département où il ne réside pas et le plus souvent pour des meetings consacrés aux questions internationales ou lors des campagnes électorales. Elle considère qu’il ne défend pas avec suffisamment d’ardeur les revendications de ses électeurs, lesquelles, vraisemblablement, ne l’intéressent que médiocrement, habitué qu’il est à rencontrer les grands de ce monde pour discuter des grandes questions de la paix et de la guerre.

C’est cette opposition larvée, réelle ou exagérée, qui ressort de la profusion de rapports des R.G.. En cette période de guerre froide les R.G. surveillent frénétiquement le P.C.F. Comme en témoigne un épais dossier des archives départementales d’Ille-et-Vilaine, pas un meeting, quelle que soit la notoriété de l’orateur, pas une seule réunion, même dans la plus insignifiante des communes du département avec seulement quelques participants, n’échappe à la suspicieuse vigilance de ses inspecteurs et indicateurs qui produisent autant de comptes-rendus d’un ou deux feuillets40. Même certaines réunions internes réservées aux adhérents, dont l’entrée est sévèrement contrôlée, font parfois l’objet d’un rapport. Un des thèmes récurrents de cette littérature est le degré de popularité de d’Astier dans l’électorat communiste du département. Les inspecteurs des R.G. interrogent, surtout les mécontents semble-t-il, ils supputent, soupèsent, analysent, extrapolent pour en conclure que le communiste du bas de l’échelle n’a jamais admis d’être représenté par celui qu’ils appellent par dérision « le duc » et que même les dirigeants de la fédération d’Ille-et-Vilaine multiplient les chausse-trappes dans l’espoir de s’en débarrasser. Mais on peut se demander si dans leurs spéculations ils ne surestiment pas les critiques à l’endroit du député breton et si elles ne correspondent pas au fait qu’ils prennent leurs désirs pour des réalités.

La direction fédérale du Parti est cependant consciente de ces difficultés et s’efforce d’y répondre. D’une part en de justifiant l’absentéisme de d’Astier. On reconnaît implicitement qu’il est effectivement trop souvent loin de son département d’élection et des préoccupations de ses électeurs, mais c’est pour la bonne cause. Il combat les fauteurs de guerre et mène une action au niveau international pour la défense de la paix ; en 1948, il est cofondateur du mouvement qui lance l'appel de Stockholm contre la bombe atomique américaine. Ainsi Ouest-Matin du 31 mai 1951, alors qu’il est candidat pour un troisième mandat de député, rapporte ses propos dans un article le présentant à nouveau sous ses meilleurs atours et justifiant son éloignement du département :

« J’aurais voulu être plus souvent dans mon département plutôt qu’à Paris, Berlin, Londres ou Moscou […] mais qu’adviendrait-il des adductions d’eau, des constructions de routes, de l’électrification qui sont déjà arrêtés par suite d’une politique de préparation à la guerre, si l’on ne gagne pas la paix. C’est pourquoi je crois que la tâche essentielle d’un parlementaire et de lutter pour le maintien de la paix qui sauvera la vie de tous les hommes et de toutes les femmes sur la terre, leur bonheur et leur bien-être. »

Il est également fait appel au soutien de personnalités extérieures au Parti. C’est le cas de Robert Merle, professeur d’université à Rennes,  prix Goncourt en 1949 pour Week-end à Zuydcoote, qui déclare :

« …je voterai pour d’Astier. Ce qui n’implique pas que je partage toutes ses idées. Simplement, je constate un fait : au cours de la précédente législature d’Astier est le seul député d’Ille-et-Vilaine dont un républicain pouvait approuver les votes : il a voté contre la C.E.D. Il a voté contre les accords de Londres et de Paris. Il a voté contre les lois antilaïques. Il a voté  pour la négociation en Tunisie et au Maroc. Il a voté pour la négociation en Algérie. Il a voté toutes les propositions favorables aux travailleurs […] Je lui fais donc confiance. Ses votes passés au Parlement me sont un garant de ses votes futurs. »41

Enfin,  lors des campagnes électorales de 1951 et 1956, la propagande distribuée et le journal Ouest-Matin mettent beaucoup plus en avant l’ancien ouvrier devenu permanent Émile Guerlavas et dressent le portrait élogieux d’un militant communiste exemplaire au service du peuple, au point que l’on peut croire à la lecture de ces documents qu’il est le principal candidat alors qu’il n’est que le second derrière d’Astier et n’a aucune chance d’être élu.

Carte postale. Collection particulière.

Quelques années plus tard, d’Astier reconnaîtra volontiers comprendre qu’ils auraient préféré avoir un des leurs pour député. Ainsi, dans ses entretiens avec Francis Crémieux42 :

« Les campagnes électorales se déroulaient à la fois dans une atmosphère d’exaltation idéologique et de démagogie écœurante. Heureusement, pour le chroniqueur que j’étais, il y avait de la drôlerie. […] Je devais parler devant des cheminots, dans la gare de Rennes. J’étais sur un fût d’essence, et je ne parlais pas… Il y avait des murmures parce que le prolétariat d’Ille-et-Vilaine ne trouvait pas très sage, de la part du Parti communiste, de lui imposer un Monsieur d’Astier de la Vigerie. Il aurait voulu un cheminot, c’était très légitime. Tout à coup, Cadieu, le camarade qui faisait campagne et que j’ai beaucoup aimé, voyant que j’étais en difficulté, est monté sur un autre fût d’essence43. Il a dit : N’oubliez pas que Lénine était noble et que Mirabeau était noble. Lénine, ça m’était égal parce que j’aimais beaucoup Lénine, mais Mirabeau me gênait, je considérais qu’il s’était écarté de la Révolution. Vous voyez l’atmosphère. J’étais imposé par le Parti communiste. J’avais un prestige de résistant. D’autres que les communistes votaient pour moi, mais je sentais une certaine irréalité. »

Une stratégie efficace

Tous ces obstacles n’empêcheront pas qu’il soit tête de liste — seule position permettant aux communistes d’obtenir un siège de député dans un scrutin de liste proportionnel à un tour avec répartition à la plus forte moyenne — et élu à cinq reprises. Il rassemble sur son nom de 40 à 50 000 voix (49 198 en novembre 1946 à quasi égalité avec la S.F.I.O. : 49 497 voix44). En pourcentage des suffrages exprimés, la liste conduite par d’Astier obtient : 12,93 % en octobre 1945, 16,84% en novembre 1946, 15,6% en juin 1951, 11,33% en janvier 195645. Le score est toujours inférieur de plus ou moins 10 points à la moyenne de celui du Parti au niveau national mais dès le 21 octobre 1945 le nombre des  votes communistes est multiplié par 3 par rapport à la situation du P.C.F. avant-guerre.

Dans un contexte politique et social très différent, la stratégie adoptée se révèle donc payante, le prestige de d’Astier permet d’augmenter le capital électoral. D’ailleurs lorsque les communistes se présentent sous leurs propres couleurs, la déperdition de voix se chiffre à plusieurs milliers. Ainsi lors de l’élection législative partielle de novembre 1951 provoquée par le décès du député socialiste Albert Aubry qui venait d’être réélu en juin 1951, le P.C.F. présente son secrétaire fédéral d’Ille-et-Vilaine Émile Guerlavas. Il n’obtient que 25 102 suffrages, soit 18 740 voix de moins que d’Astier élu en juin 1951 avec 43 842 suffrages en tête de la liste d’Union républicaine, résistante et antifasciste sur laquelle figure, outre Guerlavas à la seconde place, deux autres compagnons de route non encartés au P.C.F. : en quatrième position le chrétien progressiste Henri Denis, directeur du quotidien communiste Ouest-Matin et en troisième le socialiste dissident, Charles Foulon, exclu de la S.F.I.O. en 1948. Celui-ci partage l’analyse politique de d’Astier au sujet de l’U.R.S.S., de la paix dans le monde et de l’alliance indispensable avec les communistes46. Il écrit à l’un de ses correspondants le 24 juillet 1947 :

« Je pense que pour résister à la réaction qui a pour elle les capitaux, les armes et les petits et grands bourgeois, les curés, une bonne partie des femmes, et une bonne partie des paysans, il n’est pas trop de toute la gauche marxiste. Je crois que les capitalistes américains sont autre chose que des philanthropes ; je crois que l’Europe peut se relever avec des efforts mais sans eux. En somme, je trouve que nous avons fait trop d’anticommunisme, et pas assez d’anticapitalisme. »47

Profession de foi d'Emile Guerlavas en 1958 (détail). Archives du CEVIPOF.

Á l’Assemblée nationale, D’Astier ne fait jamais partie du groupe communiste, il siège au sein du groupe « Républicains et Résistants » du 21 octobre 1945 au 10 juin 1946 ; de « L’union républicaine et résistante »  entre 1946 et 1951, des « Républicains progressistes de 1951 à 195848. Après le coup d’État légal de mai 195849 et l’adoption par referendum d’une nouvelle constitution (28 septembre 1958) il se présente sous l’étiquette « candidat progressiste » soutenu par le P.C.F. lors des élections législatives des 23 et 30 novembre 1958 dans la circonscription de Saint-Malo. Dans les autres circonscriptions les candidats sont présentés par le P.C.F. en tant que tel. Toutefois, le découpage électoral — on ne parle plus d’arrondissements, le département est divisé en 6 circonscriptions regroupant plusieurs cantons : Rennes-Nord, Rennes-Sud, Vitré, Redon, Fougères, Saint-Malo ; la fin du système de scrutin proportionnel de liste et son remplacement par un scrutin majoritaire uninominal à deux tours ainsi que le recul général des forces de gauche dans tout le pays au profit des candidats gaullistes ne permettent pas à d’Astier de retrouver son siège de député. Au total le P.C.F. recueille dans les six circonscriptions 30 461 voix (10,17% des suffrages exprimés, moins 10 658 voix par rapport à 1956) et n’obtient aucun siège de député.

Un député sous surveillances

Si d’Astier est un parlementaire dont on parle beaucoup sous la quatrième République, il ne le doit pas à son statut d’élu de l’Ille-et-Vilaine mais à des questions bien éloignées des problèmes concrets du département. Il est d’ailleurs vraisemblable que, à l’exception des militants, les péripéties de sa vie  publique nationale de député n’intéressent que médiocrement. S’il fait parfois la une de l’actualité, c’est d’une part en raison de son implication dans quelques uns des grands débats qui ont marqué cette période de Guerre froide50 et de guerres coloniales menées par la France, d’autre part parce qu’il est mis en cause dans certaines affaires qui marquèrent ces années de la vie politique de la quatrième République particulièrement riche en coups tordus et basses manoeuvres montés par des officines et des personnages peu recommandables.

D’Astier est haï par nombre de responsables politiques et policiers qui ne lui pardonnent pas son alliance avec les communistes. Son biographe rappelle que les expressions pour le disqualifier ne manquent pas : « crypto-communiste », « paracommuniste » », « sous-marin du P.C. », « communiste camouflé »51. Le président de la République lui-même, le socialiste  Vincent Auriol, lui voue une rancune tenace. Il note dans son journal à la date du 6 juin 195052 :

« C’est un de ceux qui me dégoûtent le plus, car il est en réalité, sans oser le dire, un bon instrument du P.C. ; il paraît content ; il accepte tout. Je ne sais pas quel cadavre il y a entre lui et les autres. Qu’a-t-il à se reprocher pour se charger ainsi de toutes les besognes ? »

Il en est de même de Jules Moch, ancien ministre socialiste de l’Intérieur avec lequel d’Astier a déjà bataillé ferme au moment des grèves de 1947 et 1948. En 1950, lors d’un débat parlementaire à propos du scandale des vins qui empoisonne la vie parlementaire depuis quatre ans déjà, des élus y sont mêlés53, et sans que cela ait le moindre rapport avec le fond de la discussion en cours, Jules Moch met en cause d’Astier qui vient d’intervenir à la tribune de l’Assemblée nationale. Le député d’Ille-et-Vilaine réplique en le qualifiant de « fripouille » :

« M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Le juge d’instruction voulut l’entendre à Marseille. On lui répondit : Elle est partie. Elle a été envoyée en Amérique du Sud.
Lorsqu’on veut saisir la machine à écrire sur laquelle on a tapé la lettre, Me Gavoré répond : On nous l’a volée. Et vous n’avez pas porté plainte ? demande-t-on. Non répond-il.
Je pose alors la question suivante à M. Gouin : Est-il exact que Me Gavoré occupe, à Marseille, un cabinet qui est mitoyen de celui de M. Gouin ?
M. Gouin ne répond pas. Donc l’information est exacte.
M. Félix Gouin. M. Gringoire a été entendu deux fois par le tribunal et vous le savez parfaitement.
Demandez-le à vos amis.
A gauche. Il l’a oublié, comme bien d’autres choses.
M. Jules Moch. Comme la cause de sa démission de la marine. (Protestations à l’extrême gauche. – Mouvements divers.)
M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Je donne la parole à M. Jules Moch pour dire tout de suite, de son banc, quelles ont été les causes de ma démission de marine (Applaudissements prolongés à l’extrême gauche.)
Mme la présidente. Je vous rappelle, monsieur d’Astier de la Vigerie, qu’il appartient à la présidente seule de donner la parole à un orateur.
Nombreuses voix à l’extrême gauche. Répondez Jules Moch ! Répondez, provocateur !
M. Jean Pronteau. C’est un flic, mais un flic dégonflé.
M. Marc Dupuy. Un flic de bas étage.
M. Gabriel Roucaute. Une canaille !
M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Monsieur Jules Moch, votre silence me donne le plaisir de vous dire ce que je pense depuis déjà assez longtemps, à savoir que vous n’êtes qu’une fripouille. (Applaudissements à l’extrême gauche.)
Je vous mets au défi d’apporter à cette tribune un élément d’information contre moi, au sujet de mon départ de la marine, qui soit infamant, déshonorant, et je voudrais, dans tous les cas, que l’on puisse, de toute manière, en dire autant pour vous (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs.)
M. Virgile Barel. Jules Moch, vil diffamateur !
M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Je veux constater ici le singulier de l’ex-ministre de la police. Il n’aura été qu’un médiocre ministre de la police.
M. Daniel Mayer. Vous l’avez été aussi !
M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Moi j’ai essayé d’être le ministre de la résistance, et non le ministre de la police. (Applaudissements à l’extrême gauche.)
Un jour, monsieur Moch, j’ai apporté dans un article du journal Action des faits précis contre vous. Vous avez profitez d’une de mes absences pour monter à la tribune et dire que j’étais un diffamateur. Je vous ai sommé de me poursuivre. Vous n’avez pas osé le faire. Cela vous juge ? (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs.) »54

D’Astier, un espion ?

L’une des principales accusations, récurrente tout au long de sa vie de parlementaire, fortifiée selon ses détracteurs, outre ses engagements dans le Mouvement de la Paix et ses nombreux voyages en U.R.S.S. et dans les pays du bloc soviétique, par son mariage en 1947, en secondes noces, avec une citoyenne soviétique Lioubov Krassine (1908-1991) fille du révolutionnaire bolchevique, compagnon de Lénine, Leonid Krassine (mort en  1926), est d’être un espion au service de l’Union soviétique. Le contre-espionnage lui-même, la D.S.T., le poursuit de sa vindicte et enquête même en Ille-et-Vilaine55. En 1954, d’Astier va être mis au pilori car l’accusation est portée publiquement à la tribune de l’Assemblée nationale  quand est évoquée l’« Affaire des fuites ».

De quoi s’agit-il ? D’une sombre machination politique qui éclate en 1954 : « une haute personnalité aurait fait transmettre au P.C.F., et donc à Moscou, des procès-verbaux de réunions du Comité de défense nationale »56. Orchestrée par les milieux de la droite et de l’extrême-droite œuvrant dans les services de renseignement et la police — on y trouve même un journaliste pigiste du journal de d’Astier, Libération, communiste zélé et indicateur de police ! ainsi que des individus pour le moins douteux, anciens de la collaboration entre 1940 et 1944, elle est destinée à déstabiliser le gouvernement Mendès-France et son ministre de l’Intérieur François Mitterrand. À l’Assemblée nationale l’offensive est menée par un député de droite Jean Legendre, l'un des orateurs les plus en pointe dans cette « affaire des fuites ». Au fil de ses différentes interventions il met en cause pêle-mêle le comportement de François Mitterrand, de Simon Nora, d'André Pélabon ou d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie. Et à propos de ce dernier il accuse le 3 décembre 1954 sans apporter aucune preuve de ses allégations: « Ayant étudié l’affaire, j’ai la conviction que la plaque tournante de l’espionnage communiste, c’est M. D’Astier de la Vigerie ! »57. Ce dernier répond :

« C’est une imputation grave. On ne porte pas à cette tribune une telle imputation, on ne prononce pas à cette tribune le mot d’espion sans être capable de fournir une preuve. Je mets M. Legendre en demeure d’apporter une preuve. »58

Emmanuel d'Astier de la Vigerie en 1954. Photographie de presse. Collection particulière.

Lors du procès de cette affaire, qui ne sera d’ailleurs pas vraiment élucidée, en avril et mai 1956 au cours duquel d’Astier est entendu, l’accusation est reprise par le directeur de la D.S.T., Roger Wybot, sans qu’il apporte lui non plus la moindre preuve. Rendant compte dans Le Monde du 20 juin 1975 du livre d’entretien du patron de la D.S.T. avec Philippe Bernert, Pierre Viansson-Ponté écrit en conclusion de son article 59 :

« Policier, homme de tous les secrets, M. Roger Wybot n’a pas seulement tendance à voir des suspects partout, l’espionnage et la main du communisme dans chaque épisode qu’il est conduit à évoquer. Il a aussi ses rancunes qui sont tenaces, ses ’’intimes convictions’’ en acier trempé. À force de ne voir des hommes  et des événements que la face cachée et avec ses lunettes de policier, il perd de vue ou ignore parfois l’évidence. C’est le cas par exemple pour ses dénonciations furieuses d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie présenté comme le chef d’une sorte d’orchestre rouge aux ordres de Moscou. Nul n’ignore qu’Emmanuel d’Astier, commissaire à l’Intérieur de la Libération, fut un progressiste, compagnon de route du Parti communiste […] lui prêter une influence occulte qu’il n’a jamais eue ni d’un côté ni de l’autre et un rôle de maître espion, il y a un énorme fossé que M. Wybot, emporté par son élan, par son antipathie, par sa hantise professionnelle de l’ombre et du mystère, franchit allègrement, au risque de faire sourire tous ceux qui connaissaient d’Astier. C’est un peu le savant qui, ayant découvert des hiéroglyphes sur un obélisque dresse au milieu de la place de la Concorde, en déduirait que les Égyptiens ont jadis occupé la France et régné sur Paris. »

Revenant sur cette affaire dans ses entretiens avec Francis Crémieux, d’Astier se plaint de n’avoir été que mollement soutenu par les communistes. Ouest-Matin du 10 avril 1956 publie cependant un long plaidoyer du député d’Ille-et-Vilaine dans lequel il rejette les accusations portées contre lui et tire les enseignements politiques de cette cabale.

Le «  traître » Kravchenko

De la fin des années quarante au début des années cinquante, d’Astier a beaucoup donné pour, au nom d’un réalisme politique et d’intérêts stratégiques supérieurs — il estime que l’Union soviétique doit être défendue face à l’impérialisme des États-Unis — défendre inconditionnellement la politique stalinienne même s’il n’en partage pas tous les aspects, mais il n’en dit rien. C’est ce qu’il appelle dans ses entretiens avec  Francis Crémieux la période au cours de laquelle « le communisme lui est monté à la tête »60. Ainsi explique-t-il : « En 1951, par exemple, j’aurais perdu mon siège de député en expliquant à mes électeurs d’Ille-et-Vilaine que je ne pouvais souscrire aux tromperies de ceux qui affirmaient que l’U.R.S.S. était un paradis terrestre, que le niveau de vie soviétique était supérieur au niveau de vie français. ». C’est le même raisonnement qui l’amène à accepter de témoigner en faveur du P.C.F. lors du procès Kravchenko.

Le 1er avril 1944, un haut fonctionnaire soviétique en poste à Washington, Victor Kravchenko, demande l’asile politique aux États-Unis. Le 4 avril, il accorde un entretien au New York Times dans lequel il critique vivement l’U.R.S.S. En 1947 est publié en français, après avoir connu un grand succès en Amérique, son livre J’ai choisi la liberté, une longue dénonciation du système soviétique61. Violemment critiqué par les communistes français, Kravchenko est présenté dans Les Lettres Françaises du 13 novembre 1947 comme un traître pour son interview de 1944 publiée en pleine offensive contre l’Allemagne nazie, un espion à la solde des États-Unis, un escroc, un ivrogne et un menteur. Un procès est intenté au journal par l’intéressé. Dès son ouverture, il devient emblématique des joutes politiques et intellectuelles de la Guerre froide ; il occupe la une des journaux pendant près de trois mois (24 janvier-4 avril 1949), Ouest-France titre le 24 janvier 1949 : « Le procès Kravchenko contre ’’Lettres Françaises’’ s’est ouvert hier à Paris dans une atmosphère passionnée ». Il dépasse son objet initial, l’accusation de diffamation, pour devenir le procès en défense ou en accusation de l’U.R.S.S. ; il porte à la connaissance du grand public la question du système concentrationnaire soviétique, de ce que l’on n’appelle pas encore le Goulag. À cette occasion, le Parti communiste mobilise le ban et l’arrière ban de tous ses soutiens. D’Astier — parmi d’autres témoins non communistes cités par la défense tels l’écrivain Vercors, le journaliste et écrivain catholique Louis Martin-Chauffier, le catholique Pierre Debray — apporte sa contribution, il fait sa déposition au cours de la troisième audience du 26 janvier 1949. Le lendemain, Ouest-Matin et L’Humanité publient de larges extraits de ses propos ainsi que Ouest-France62. D’Astier soutient que Kravchenko est un ennemi de la France, de la paix et surtout un traître, le quotidien communiste breton titre d’ailleurs son article avec un extrait de la déclaration de d’Astier : « Si Kravchenko avait été à Alger en 1944 [D’Astier y est alors Commissaire à l’intérieur du gouvernement provisoire du général de Gaule], je l’aurais fait arrêter ». Le Monde du 28 janvier 1949 note à ce propos qu’Emmanuel d'Astier « mince, blond cendré, distinction parfaite […] eut beaucoup de classe en attaquant la fameuse déclaration donnée par M. Kravchenko en temps de guerre au New York Times ».

Le 4 avril 1949, le journal Les Lettres Françaises est condamné pour diffamation car ses représentants n’ont pu démontrer ni que le soviétique n’était pas l’auteur du livre, ni la fausseté de ses allégations. Par la suite, à deux reprises, en 1966, lors du suicide de Kravchenko aux États-Unis et lors de ses entretiens avec Francis Crémieux,  d’Astier porte un regard critique sur cet épisode de sa vie politique. Il écrit dans le numéro 2 de son journal L’Événement de mars 1966 : « Je considérais son livre comme un tissu de diffamations. Je me trompais, le livre était vrai. Pourtant malhonnête. Kravchenko ne faisait pas la part des choses, de la grandeur de son pays et du communisme. » Puis, évoquant ce qu’il dit avoir été sa découverte des réalités soviétiques il précise que ce sont ses voyages en U.R.S.S. qui lui ont ouvert les yeux :

« J’ai fait, à partir de 1949, de fréquents séjours en U.R.S.S. J’avais là-bas des amis, de la famille ; peur, silence, gêne… bribes de révélations. Et c’était pour la plupart des communistes ou des révolutionnaires. Je me suis aperçu que beaucoup d’informations, dénoncées comme mensonges — celles de David Rousset, de Kravchenko, d’X ou de Z, dont les mobiles pouvaient être malsains — énonçaient des faits parfois au-delà de la réalité. »

Avortement et contrôle des naissances

Mais, en dépit de son soutien affiché aux communistes, d’Astier n’est pas une potiche. Comme l’écrit  Madeleine Chapsal dans L’Express du 20 février 1958 à propos d’un roman de d’Astier qui vient de paraître : « Les grands bourgeois l’appellent le communiste, les communistes l’anarchiste » car il sait aussi prendre ses distances avec le P.C.F. et mettre les pieds dans le plat lorsque, selon lui, les circonstances l’exigent. Deux exemples permettent de le démontrer.

Carte de membre du Parti communiste français. Collection pariculière.

Sur le plan intérieur d’abord, à propos de l’avortement63. En octobre 1955, le journal de d’Astier, Libération, fait placarder sur les murs de Paris une affiche : « 500 000 naissances par an, 500 000 avortements : les femmes sont-elles coupables ? ». Suit une série d’articles du journaliste Jacques Derogy, pendant deux semaines.

« L’enquête, dit le biographe de d’Astier, a été sérieusement faite : en Angleterre, Derogy a étudié le birth control avant d’aller voir ce qui se faisait en Suisse ; en France, il a visité des cliniques, interrogé des femmes, interviewé des médecins, des juristes. La conclusion du reportage : il faut libéraliser la législation française sur l’avortement. C’est le sentiment du journaliste Derogy ; c’est aussi celui de nombreux médecins communistes qui se sont exprimés ensuite dans les colonnes de Libération. »

Dans un livre publié aux éditions de Minuit en janvier 1956 : Des enfants malgré nous, Derogy approfondit sa réflexion et propose que l’on modifie la loi de 1920 qui interdit l’avortement et la contraception. La presse nationale s’empare du sujet, le débat est très vif. C’est dans ce contexte que l’élu breton dépose le 23 janvier 1956 sur le bureau de l’Assemblée une « proposition de loi tendant à prévenir la multiplication des avortements criminels par la prophylaxie anticonceptionnelle, n° 715 »64. Non seulement l’initiative ne reçoit aucun soutien de la part du P.C.F. mais en mai 1956 une offensive est  lancée. Le 2 mai 1956 L’Humanité publie une lettre ouverte de Maurice Thorez à Jacques Derogy qui lui a adressé son livre:

« Tout en stigmatisant les lois répressives de la bourgeoisie qui frappent surtout les malheureux et en réclament leur abolition, les communistes condamnent les conceptions réactionnaires de ceux qu préconisent la limitation des naissances et cherchent ainsi à détourner les travailleurs de leur bataille pour le pain et le socialisme. Le « birth control » n’assure pas un logement aux jeunes ménages ; il ne donne à la mère de famille les moyens d’élever convenablement ses enfants »

D’autres articles suivent expliquant que les propagandistes du contrôle des naissances servent « consciemment ou non » les « intérêts de classe de la bourgeoisie »65 et Jacques Derogy précise66 :

« Le surlendemain de l’oukase du secrétaire général, son épouse, Jeannette Vermeerch, repart à l’attaque : Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient-elles le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais ! Les  vices de la bourgeoisie ? Sans expliquer ce qu’elle entend par là, Jeannette se contente de me fusiller de son beau regard bleu, me prenant apparemment, dans son ignorance des moyens contraceptifs, pour une adepte de la sodomie…»

Au-delà de cette interpellation du journaliste de Libération par la direction communiste, c’est un désaveu cinglant de l’initiative du député breton. Ouest-Matin, déjà très discret sur les activités du député d’Ille-et-Vilaine, s’est tenu à l’écart de ce débat et n’en a pas soufflé mot, sauf pour publier, sans aucune explication pour le situer dans son contexte, l’article de Thorez (Ouest-Matin, 3 mai 1956), en page 4, dans la rubrique « Pour vous madame ». Il ne reviendra pas sur le sujet par la suite.

Maurice Thorez, fin des années 1950. Collection particulière.

Aujourd’hui, les historiens s’interrogent sur le fait de savoir si l’intervention communiste dans ce débat sur le contrôle des naissances et l’avortement ne fut pas une simple diversion destinée à détourner l’attention de la publication par la presse du rapport Khrouchtchev, dénonçant les crimes de Staline et dont l’existence est niée par les dirigeants communistes67. Jacques Derogy quant à lui n’exprimait aucun doute quant aux objectifs de cette campagne :

« Sur le coup, écrit-il, je n’ai pas compris le sens de cette colère puritaine. Pourquoi se battre avec tant de violence et d’inhumanité contre l’avortement ? La réponse me vint de Dominique Desanti, grande intellectuelle du P.C., qui me cita une confidence Jeannette Vermeersch : ‘Tant qu’on discutera règles et fausses couches, on laissera Staline tranquille. »68

Du rapport Khrouchtchev à Budapest

C’est d’ailleurs à l’occasion d’autres événements de cette tragique année 1956 que d’Astier prend également ses distances avec le P.C.F. S’agissant du rapport Khrouchtchev, « comme beaucoup de résistants » d’Astier « se méfie des révélations du New York Times : elles font très bien le jeu des anticommunistes »69, mais une entrevue avec Khrouchtchev le 9 mai 1956 à Moscou avec d’autres parlementaires lui ôte toute illusion. Son ami Jacques Mitterrand qui faisait partie de la délégation en a rendu longuement compte dans ses mémoires :

« D’Astier et ses amis étaient atterrés par les déclarations de Khrouchtchev. Le Parti communiste savait et se taisait ! Nous avions le plus vif désir de converser avec des rescapés des camps. Non sans difficultés, nous avons obtenu les entretiens souhaités. »70

Lorsqu’en novembre 1956, les soviétiques écrasent dans le sang la révolte hongroise, avec l’approbation sans réserve du P.C.F., d’Astier prend à nouveau ses distances et signe un texte dans lequel les auteurs se déclarent

« conscients des dangers qu’aurait représenté pour la paix l’instauration d’un régime fasciste en Hongrie. Mais, fidèles tant à leurs traditions neutralistes qu’aux principes de la non-ingérence d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État, ils déclarent qu’ils ne sauraient pour leur part approuver les interventions de l’armée soviétique en Hongrie. Toutefois, ils élèvent une ferme protestation et mettent en garde l’opinion publique à l’égard des manifestations anticommunistes. »71

La dernière phrase prend tout son sens alors que les locaux de ses camarades du Parti communiste d’Ille-et-Vilaine viennent d’être saccagés par des militants d’extrême-droite et le siège du journal Ouest-Matin à Rennes mis à sac par des émeutiers forcenés sous les yeux passifs de la police.

Ces divergences n’empêchent pas les dirigeants soviétiques de lui faire attribuer en janvier 1958, en sa qualité de vice-président du Conseil mondial de la Paix, le prix Lénine de la Paix. À cette occasion, l’écrivain soviétique Ilya Ehrenbourg salue le lauréat :

« Travaillant au Mouvement de la Paix, je sais combien aux moments difficiles, d’Astier de la Vigerie fit beaucoup pour conserver l’unité de ce mouvement et lui garder sa vigilance. […] Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour féliciter mon grand ami Emmanuel d’Astier de la Vigerie de ce prix qu’il a bien mérité. »72

L’information fait la une de L’Humanité ainsi qu’en février 1958 lors de la remise officielle du prix à l’hôtel Lutetia à Paris en présence de très nombreuses personnalités ; récompense que célèbre la fédération communiste d’Ille-et-Vilaine avec le lauréat par un banquet payant auquel participent 250 personnes dans une atmosphère de très chaleureuse sympathie si l’on en croit la police. Mais l’année 1958, c’est aussi la crise politique du mois de mai, le retour de celui que d’Astier nomme « le Symbole », le général de Gaulle, et cela change la donne.

Profession de foi d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie en 1958 (détail). Archives du CEVIPOF.

Fin de partie : « un mauvais souvenir »

Le 14 mai 1958, la Direction de la Surveillance du Territoire signale à ses collègues des R.G. d’Ille-et-Vilaine que, selon ses informations, les rapports entre d’Astier et les dirigeants communistes du département « seraient tendus. Des incidents auraient eu lieu récemment entre eux, les militants critiqueraient ouvertement le député progressiste qui aurait refusé à plusieurs reprises de soutenir leurs revendications ou de recevoir des délégations »73. Un rapport est demandé afin d’évaluer si ces allégations ont un quelconque fondement. Il vaut d’être cité dans son intégralité car il présente un bilan synthétique sans doute assez proche de la réalité des différents mandats exercés par d’Astier dans le département :

« Le 22 mai 1958
Les renseignements de la Surveillance du Territoire émanent d’un informateur dont les dires – selon ceux-là même qui les recueillirent – s’avèrent incontrôlables.  Il est prudent, par conséquent, de ne leur accorder qu’un crédit extrêmement limité.
Au demeurant, tout le monde sait en Ille-et-Vilaine et depuis fort longtemps que le communiste du bas de l’échelle n’a jamais très bien admis d’être représenté au parlement par un aristocrate. Au sein du Parti Communiste, on appelle du reste M. D’ASTIER de la VIGERIE avec une certaine dérision « le Duc ».
De là à prétendre que des incidents auraient eu lieu entre le député progressiste d’Ille-et-Vilaine et ses mandants, sous prétexte qu’il aurait refusé de soutenir leurs revendications ou de recevoir leurs délégations, il y a un pas qui ne saurait toutefois être franchi sans faire intervenir une certaine part d’affabulation.
En vérité, M. d’ASTIER de la VIGERIE vient peu souvent dans le département et c’est là surtout le reproche essentiel que lui adressent les communistes d’Ille-et-Vilaine. Au surplus, lorsqu’il vient dans le département, à Rennes par exemple, il met, c’est certain, plus d’empressement à rencontrer ses amis intellectuels, ou les quelques dirigeants valables de la Fédération communiste, que le militant de base. Aussi bien, la durée de ses permanences n’excède-t-elle que rarement deux heures. Et si d’aventure quelqu’un s’avise de lui faire respectueusement remarquer ce que son attitude paraît avoir de désinvolte, son regard plissé, un peu absent, s’éclaire d’un sourire malicieux, et il répond gentiment mais avec hauteur quand même « qu’ils n’ont pas un député comme tel ou tel de ses collègues » dont il cite alors le nom (généralement celui de l’un ou l’autre des députés d’Ille-et-Vilaine).
La rareté de ses visites, son désintéressement pour les questions banales ressortissant à la vie d’une fédération, son attitude de grand seigneur, son titre affectif de noblesse, et également et surtout cette grande liberté d’esprit qui lui fait dire et répéter « qu’il n’est pas communiste » font de M. d’ASTIER de la VIGERIE un député plein « d’ambiguïté ». Il est incontestable que pour le militant de base ce n’est pas le « camarade » idéal, celui avec lequel on peut discuter de marxisme local.
Comment d’ailleurs le militant de base pourrait-il comprendre son député quand les critiques littéraires eux-mêmes n’arrivent pas toujours à saisir sa pensée politique ? Lors de la sortie du dernier livre de MM. D’ASTIER de la VIGERIE « Le Miel et L’Absinthe », le critique de « L’Express » n’hésita pas à écrire que le député d’Ille-et-Vilaine se détachait des communistes. Alors que, dans le même temps, les critiques des « Lettres françaises » et de « L’Humanité » saluaient ce roman comme un ouvrage très attachant.
M. d’ASTIER de la VIGERIE n’a jamais emboité automatiquement le pas aux communistes. Au moment des évènements de Hongrie, il a, très crânement, avec un certain nombre d’autres personnalités progressistes, désapprouvé l’intervention de l’armée soviétique à Budapest. Et ce n’est là qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. C’est sans doute ce qui permettait à M. Laurent CASANOVA de dire récemment : « Mon ami d’ASTIER, avec lequel je ne suis pas toujours d’accord en politique…… ».
Il n’en reste pas moins que M. d’ASTIER de la VIGERIE, s’il est quelquefois critiqué par des buveurs de cidre impénitents, demeure la fierté des communistes d’Ille-et-Vilaine. Lauréat du prix Lénine de la Paix, cette distinction a été en effet l’occasion pour ses électeurs de lui témoigner cette fierté le 16 Mars dernier. Un banquet payant organisé par la Fédération pour fêter cet évènement a réuni deux cent cinquante personnes. Une chaude atmosphère de sympathie a marqué cette manifestation.
Un jour, M. d’ASTIER a, paraît-il, dit : « Ma grande force, c’est la ruse… ». Cette déclaration, si elle est vraie, le député progressiste d’Ille-et-Vilaine l’a justifiée parfaitement. Et rien jusque-là, ne prouve que cette ruse lui ait aliéné une parcelle de la confiance des communistes de son département. »

La nouvelle constitution, celle de la Cinquième République, adoptée le 28 septembre 1958, modifie le mode d’élection des députés qui sont désormais élus dans des circonscriptions regroupant plusieurs cantons au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. D’Astier se présente en novembre 1958 dans la circonscription de Saint-Malo avec le soutien du Parti. En dépit des multiples réserves des communistes à son égard, c’est la seule dans laquelle ils peuvent espérer faire un bon score. Dans un contexte de recul général de la gauche, il n’est pas élu. C’est aussi la fin de sa présence en Ille-et-Vilaine. Son mandat de député ne fut pour la direction du P.C.F. qu’un pion dans un jeu d’échec national et international dans lequel l’électorat communiste du département ne comptait que pour peu de chose. Mais, au-delà de son élimination lors des élections de 1958, d’Astier a échoué dans son projet politique :

« Là réside tout le drame de d’Astier : dans un monde déchiré par la guerre froide, il cherche à concilier l’inconciliable : rester l’allié loyal des communistes tout en s’efforçant de bâtir, entre le parti et les socialistes, une force d’appoint, un mouvement charnière qui réconcilierait les deux familles la gauche française. C’est vouloir résoudre la quadrature du cercle. »74

Il dit cependant ne pas regretter son engagement au côté des communistes :

« L’expérience auprès du communisme m’a enrichi. Pour la méconnaissance et l’aveuglement, je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même. »75

Sa défaite de 1958 confirme son éloignement des communistes, politiquement et idéologiquement ; il polémique avec eux à propos, par exemple, de sujets sensibles tels que la date d’entrée du Parti dans la Résistance. En 1964, le P.C.F. décide de ne plus soutenir financièrement son journal, Libération cesse de paraître. En décembre 1964, d’Astier prend position en faveur du général Gaulle, candidat à l’élection présidentielle. La rupture est consommée.

Profession de foi d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie en 1958 (détail). Archives du CEVIPOF.

Dans ses entretiens avec Francis Crémieux, il confie que son expérience de parlementaire est celle qui lui laisse les plus mauvais souvenirs ; qu’il a l’impression, sans doute fausse précise-t-il, d’avoir perdu son temps au Parlement. L’Humanité du 13 juin 1969 semble lui donner raison. Peut-être inspiré par la maxime d’un moraliste selon lequel « L’ingratitude est la porte par où sortent ceux que la reconnaissance embarrasse »76, le journal expédie en quelques froides petites lignes du bas d’une page intérieure l’annonce de la mort de d’Astier qui vient de succomber à une crise cardiaque ; soit quatre fois moins de lignes que pour, le même jour,  un banal accrochage de voiture survenu au comique Fernand  Raynaud ! Si le rédacteur indique qu’il fut député d’Ille-et-Vilaine, il ne précise même pas que ce fut sur des listes communistes et ne rappelle pas non plus son long compagnonnage fidèle de près de treize ans et le rôle important qu’il joua à la tête du mouvement pacifiste initié par les soviétiques et les communistes français. Le jour de ses obsèques officielles le 16 juin 1969 à l’hôtel des Invalides, en hommage au grand résistant qu’il fût, aucun représentant accrédité du P.C.F. n’était présent77. En voyage en Irlande, le général de Gaulle envoya un télégramme pour saluer la mémoire de « l’homme qui ne ressemblait à personne » :

« La mort d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie m’émeut profondément. Il fut dans le combat pour la France l’un de mes plus courageux et efficaces compagnons. Il était resté mon ami. En lui disparaît un grand talent et un cœur généreux. »

Jacques THOUROUDE

 

 

 

 

 

1 GAILLARD, Isabelle,  « De l’étrange lucarne à la télévision, Histoire d’une banalisation (1949-1984) », Vingtième siècle, revue d’histoire, n°91, 2006/3, p. 9-23.

2 KRIEGEL, Annie, Ce que j’ai cru comprendre, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 511.

3 Nous empruntons l’expression « L’homme qui ne ressemblait à personne » qui forge le titre de cet article au portrait en forme d’hommage dressé par Pierre Viansson-Ponté  publié dans Le Monde le 14 juin 1969 lors du décès de D’Astier.

4 Des extraits de certaines de ces émissions sont consultables sur le site http://www.ina.fr/. Voir Le Monde des 21,22 et 29 septembre 1967.

5Selon l’expression de Lucie Aubrac, membre du réseau de résistance Libération-Sud fondé par d’Astier, dans la préface de la seule biographie de d’Astier par TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier, la plume et l’épée, Paris, Arléa, 1987.

6 Marcel Opuls, Le chagrin et la pitié, documentaire (France-Suisse-R.F.A.), a également fait l’objet d’une publication papier sous le même titre aux éditions Alain Moreau en 1980. Les propos de d’Astier  sont rapportés à la page 218. Parce que, au fil de nombreux entretiens, il remettait en cause le mythe de la France unie dans la Résistance à l’occupant et rappelait la collaboration petite et grande, celle des dirigeants de vichy mais aussi par exemple des Français engagés volontaires sous l’uniforme allemand Waffen-SS, ce documentaire n’obtient le visa de censure cinématographique qu’avec difficulté. Il fallut attendre dix ans de plus pour qu’il soit diffusé à la télévision, les 28 et 29 octobre 1981 sur FR3.

7 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr, notice rédigée par Laurent Douzou. TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit. analyse  la période au cours de laquelle d’Astier est député d’Ille-et-Vilaine aux pages 211 et suivantes.  Voir également D’ASTIER DE LA VIGERIE, Geoffroy, Emmanuel d’Astier de la Vigerie : combattant de la Résistance et de la Liberté (1940-1944), Paris, France-Empire, 2010 et CREMIEUX, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier,  Paris, éditions Pierre Belfond, 1966 (intéressant par rapport aux informations qu’apporte d’Astier relativement à la période qui nous concerne, Francis Crémieux (1920-2004) était un journaliste communiste de stricte obédience — voir sa notice dans le Maîtron).

8 Créé en 1928 par un homme de gauche, pacifiste convaincu, Lucien Vogel, le magazine Vu prend fait et cause pour les Républicains espagnols. La principale caractéristique du journal est de donner à la photographie un  nouveau rôle. Elle est utilisée massivement pour tout illustrer − du plus sérieux au plus futile −, de manière originale, mais aussi parfois politique en raison des choix opérés. L’image prime sur le texte. Voir FRIZOT, Michel  et DE VEIGY, Cédric, Vu, le magazine photographique (1928-1940), Paris, Editions La Martinière, 2009.

9 Emmanuel d’Astier est également l’auteur, en 1943, sur une musique d’Anna Marly, des paroles de La complainte du partisan que la compositrice interprète et que la BBC diffuse sur ses ondes à destination de la France occupée, à ne pas confondre avec l’universel Chant des partisans composé presque simultanément, paroles de Joseph Kessel et Maurice Druon, musique et interprétation d’Anna Marly également ; voir MARLY, Anna, La troubadour de la Résistance, Paris, Tallandier, 2000. Reprise par différents chanteurs dans les années cinquante, La complainte du partisan connut un regain de succès lorsqu’elle fut réinterprétée dans les années soixante par Joan Baez et Léonard Cohen. En 2015, lors de la cérémonie d’entrée au Panthéon de Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette, le chœur de l’Armée française exécute La complainte du partisan en la sifflant au moment où les cercueils sont déposés sur le parvis du Panthéon. 

10 Il convient de  faire la distinction entre le  Libération de 1944 qui paraît jusqu’en 1964 et ne subsiste que grâce aux subsides du P.C.F., et le Libération fondé par Jean-Paul Sartre et Serge July en 1973 ; la veuve de d’Astier les autorisa à reprendre le titre.  Dans ses entretiens avec Crémieux, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier …, op.cit. p. 122, D’Astier déclare :« Je suis devenu directeur de Libération, ce journal dont j’avais été le fondateur dans la Résistance. J’ai repris mon action politique sous le couvert d’un journal pluraliste, avec quelques communistes, beaucoup de non communistes, quelques anti-communistes. Cela a été une expérience, comme vous le savez, assez malheureuse, assez dramatique. »

11 CREMIEUX, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier…, op. cit., p.122-123.

12 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 212.

13 MONNIER, Jean-Jacques, Géographie de l’opinion politique en Ille-et-Vilaine, Rennes, Thèse de 3° cycle, 1971.

14 Relativement au M.R.P., à l’Église et aux communistes, SERGE, Victor, Carnets, Paris, Julliard, 1952, écrivain et militant révolutionnaire exilé au Mexique, a une réflexion intéressante alors qu’il commente (p. 212) les événements de  l’immédiat après-guerre en France dont il est informé par la presse et ses correspondants : « Il faut s’attendre à une polarisation pro-communistes contre anti-communistes au détriment du Parti socialiste. Le malheur, me dit-on, c’est que le M.R.P. catholique, s’il a des leaders d’esprit révolutionnaire a surtout des masses conservatrices − et le Vatican derrière, cette inconnue. Il n’est pas exclu que le Vatican ait assez appris des événements pour encourager un christianisme social qui pourrait être en France de très bonne qualité ; mais il est plus probable que de vieux bonzes y rêvent d’une France imitant le Portugal de Salazar. La catholicité est tellement moyenâgeuse ! A l’autre bout de l’horizon − d’un horizon étroit et plombé − quelle symbolique de voir un Thorez, déserteur du premier jour de la guerre, prétendre à la succession de de Gaulle… ».

15 Arch. dép. I&V : 1175 W 7, « Revue de l’opinion politique départementale un an avant les élections générales de 1956 », note du 13 juillet 1955, Cabinet du Préfet.

16 CREMIEUX, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 137.

17 THOUROUDE Jacques, Ouest-Matin un quotidien breton dans la Guerre froide, 1948-1956, Apogée, 2006, p. 58-59.

18 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 211.

19 CREMIEUX, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 128.

20 Ibid., p.123. Dans un roman publié en 1958, Le miel et l’absinthe, d’Astier fait dire à son personnage principal : « C’était le commencement du reflux. Parmi les hommes qui s’étaient jetés dans la clandestinité après la défaite et qui croyaient avoir fait une révolution en 1945, se glissaient les revenants, administrateurs ou vaincus d’hier. Si les vainqueurs, encore adulés par ceux qui se préparaient à profiter de leur inexpérience et à se substituer à eux pour refaire la société de 1939, péroraient encore, ils en étaient déjà aux souvenirs et aux regrets. »

21 Ibid., p.131. Dans ses mémoires, RAISKY, Adam, Nos illusions perdues, Paris, Balland, 1985, p. 294 (journaliste communiste, responsable pendant la Résistance de la Section juive de la Main d’œuvre immigrée, voir le Maîtron) note à propos de D’Astier : « Sur le plan des idées, il considérait l’Union soviétique comme une puissance progressiste et estimait que les relations d’amitié avec elle valaient bien une messe ».

22 D’ASTIER, Emmanuel, L’été n’en finit pas, Paris, Julliard, 1954. Au tout début du roman, au cours d’un dîner, l’auteur fait dire à un de ses personnages : « Votre cousin Emmanuel est toujours bien avec les communistes ?... Il a le goût du paradoxe … Quand il les connaîtra mieux, ça lui passera… », p. 19.

23 Les Lettres Françaises, 21 octobre 1954. Aragon écrit notamment : « Il y a plusieurs communistes dans L’été n’en finit pas, il ne leur pas donné moins de place qu’à d’autres personnages […] mais je dois dire que les communistes d’Alençon [D’Astier situe une partie de l’action dans le département de l’Orne] ne me paraissent que des esquisses et sans doute y en a-t-il de comme ça, ils doivent être d’après nature […] Ils ne m’expliquent rien et j’avoue que par eux je n’ai rien appris […] de ce qui fait du député d’Alençon cet homme honnête et ferme, pas marxiste pour un sou qu’il soit, qui me réconforte de tout ce qu’il m’a montré rien que d’exister, rien que d’être ce démocrate, de partisan de la paix, ce Français. Ce n’est là qu’un manque à gagner. Qui me fait attendre maintenant le roman du député de Rennes ». Créé dans la clandestinité en 1941 par Jacques Decour et Jean Paulhan, le journal Les Lettres Françaises, devient après guerre une prestigieuse publication intellectuelle qui bénéficie du soutien financier du P.C.F., Aragon en est le directeur à partir de 1953.

24 Au dernier trimestre 1947, la situation sociale est très tendue. Les Français font la queue pour le ravitaillement quotidien, ils ont encore besoin de tickets d’alimentation pour s’approvisionner, le froid précoce aggrave les choses. Les grèves dans de nombreux secteurs tournent à l’affrontement. Le gouvernement décide de rétablir l’ordre en envoyant l’armée. Il veut par ailleurs faire voter des mesures de « défense républicaine » et garantir la « liberté du travail ». C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale s’embrase au fil de six jours de débats sur ces questions. Le député communiste Raoul Calas dénonce ces mesures à la tribune et clôt son intervention par un avertissement : « Prenez garde, l’armée d’aujourd’hui n’est pas l’armée d’hier, encore que le glorieux régiment du  17ͤ  ait refusé de tirer sur le peuple, à Béziers, en 1907 ». Le rédacteur parlementaire note : « Les députés siégeant à l’extrême gauche se lèvent et chantent l’hymne aux soldats du 17ͤ ». Scandale, pugilat, demande de sanction contre le député. Raoul Calas est finalement expulsé de l’Assemblée après avoir occupé la tribune une nuit entière. Journal officiel de la République française — Débats parlementaires (JORF-DP), séance du 29 novembre 1947, p. 5334, il peut être lu en ligne sur le site officiel www.assemblee-nationale.fr

25  JORF-DP,  p. 5386.

26 Arch. dép. I&V : 518 W 1.

27 Arch. dép. I&V : 518W 1 (d’Astier), rapport du 6 octobre 1945. Le préfet indique en introduction  que Perennez (voir sa fiche biographique dans le Maîtron) a été « convoqué  à Paris pour recevoir les directives de dirigeants communistes ».

28 Le 19 septembre 1944, Le Nouvelliste de Bretagne qui a continué à paraître entre 1940 et 1944 et dont les biens ont été mis sous séquestre est remplacé par La Voix de l’Ouest, démocrate-chrétien, dirigé par un résistant de la première heure, l’abbé Chéruel.

29 Fondé en décembre 1943, le Mouvement de Libération Nationale (M.L.N.) fédère les forces de résistance non communistes, voir l’article M.L.N. dans MARCOT, François (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Paris,Robert Laffont/Bouquins, 2006, p. 1036-1037.

30 Arch. dép. I&V :518W 1, rapport des R.G. du 15 octobre 1945 rendant compte du procès ; Ouest-France 16 et 18 octobre 1945.

31 L’Aurore (hebdomadaire de la S.F.I.O.), 20 octobre 1945.

32 Arch. dép. I&V :518W 1, rapport du 10 février 1946.

33 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 215.

34 Jacques Mitterrand, sans aucun lien de parenté avec l’ancien président de la République, était secrétaire général de l’Union progressiste, un groupement politique très lié au Parti communiste et conseiller de l’Union française depuis 1947. Voir son livre Á gauche toute citoyens ! (Paris, Ed. Guy Roblot, 1984) au chapitre : « Sept fois sept jours  en Ille-et-Vilaine. En souvenir d’Emmanuel d’Astier », p. 83-90. « Sept fois sept jours » fait allusion au titre du livre autobiographique de d’Astier sur la Résistance entre 1940 et 1944 publié par les Editions de Minuit en 1947. Le Réveil, organe de la fédération d’Ille-et-Vilaine du P.C.F., du 24 août 1947, n°140, en publie une recension très élogieuse sous la plume d’Antoine-Pierre Mussat, ancien capitaine F.F.I. (voir sa biographie dans le Maîtron), il écrit notamment : « Me sera-t-il permis […] de dire à tous nos camarades et amis quel profit et quel plaisir ils auront à lire ces très belles pages. Á une récente émission de Ce soir en France, Jean Marcenac évoquait Stendhal à propos du style concis et sans fioritures.  […] Ici, rien d’inutile mais toujours le trait juste, le mot qui frappe. Point de grandes phrases sur les morts ! seulement l’émotion contenue parce qu’elle a été vraiment vécue. […]  Enfin, si l’auteur se réserve avec une pudeur d’homme sensible, le lecteur n’aura guère de peine à entrer en communion avec le héros de cette extraordinaire aventure qui, des quais de Saint-Nazaire en 1940, partit avec la volonté lucide de ne pas désespérer  […] un Français parmi tant d’autres qui sut montrer selon la parole de Renan que même aux plus tristes époques il y a toujours des vocations pour les hautes intelligences et des devoirs pour les nobles cœurs. Le chemin qui a conduit Bernard [pseudonyme de d’Astier dans la Résistance] à devenir l’élu des Républicains de notre département l’a, une seconde fois, prouvé. »

35 Dans son roman L’été n’en finit pas, op.cit. (p. 227), d’Astier évoque le même épisode alors que son personnage principal participe à la campagne électorale en juin 1951 : « Prévaloir, qui connaît son département comme sa poche, m’explique : − A la Chapelle, où tu vas, nous avons soixante voix, mais on n’en connaît pas une. C’est à la sortie de la messe, sur la petite place. Pas moyen d’avoir une salle, ni la mairie, ni le bistrot. Tu sais, c’est là où le curé fait sonner les cloches pour couvrir ta voix quand tu parles au pied du monument aux morts. »

36 Œuvres publiées par D’AASTIER DE LA VIGERIE, Emmanuel : Passage d’une américaine, Paris, Au Sans Pareil, 1927 ; Passages, Paris, Au Sans Pareil, 1928 ; Sept jours en été, Alger et Tunis, Éditions de la revue Fontaine, 1944, ; Avant que le rideau ne tombe, Paris, Sagittaire, 1945 ; Sept jours, Paris, Les Éditions de Minuit, 1945 ; Sept jours en exil, Paris, J. Haumont, 1946, ; Sept fois sept jours , Paris, Les Éditions de Minuit, 1947 ; Les Dieux et les hommes, Paris, Julliard, 1952 ; L’Été n’en finit pas, Paris, Julliard, 1954 ; Le Miel et l’absinthe, Paris, Julliard, 1957 ; Les Grands, Paris, Gallimard, 1961 ; Sur Saint-Simon, Paris, Gallimard, 1962 ; Sur Staline, Paris, Plon, 1963 ; De la chute à la libération de Paris, 25 août 1944, Paris, Gallimard, 1965 et enfin Portraits, Paris, Gallimard, 1969.

37 SANTAMARIA Yves, Le pacifisme, une passion française, Pairs, Armand Colin, 2005 ; BUTON, Philippe, « Le pacifisme communiste de la seconde guerre mondiale à la guerre froide », in  VAÏSSE, Maurice (dir.) Le pacifisme en Europe des années vingt aux années cinquante, Bruxelles, Bruylant, 1993.

38 Frédéric Joliot-Curie (1900-1958), Physicien, Prix Nobel de Chimie (1935), professeur au Collège de France (1937), membre du P.C.F., voir le Maîtron.

39 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 213.

40 Arch. Dép. I&V : 508 W 108.

41 Ouest-Matin du 28 décembre 1955.

42 CREMIEUX, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 132-133.

43 Marcel Cadieu (1889-1954), professeur, militant syndical, conseiller municipal de Rennes, se rapporter à sa notice dans le Maîtron.

44 Dans les élections suivantes D’Astier devancera largement les socialistes : de 8 962 voix en 1951, de 14 687 en 1956. Entre 1946 et 1956, la S.F.I.O. a perdu plus de la moitié de ses suffrages passant de 56 635 (1946) à 26 432 (1956). Une note de synthèse des Renseignements généraux en date du 13 juillet 1955 (Arch. dép. I&V : 1175 W 7) déjà citée propose l’analyse suivante du parti S.F.I.O. : « Il n’est plus localement qu’une force vieillie et essoufflée qui n’a à aucun moment sur le plan départemental pu vaincre les malaises du retour d’âge qui tend à dégénérer en sénilité incurable. Ses dirigeants fédéraux en effet ne jouissent d’aucune autorité. Au sein de la municipalité de Rennes, ils collaborent amicalement et loyalement avec les militants du M.R.P. pendant que leurs adhérents dans les campagnes continuent à pousser le cri du corbeau en voyant passer les curés et en sont réduits à voter tantôt pour un radical-socialiste et tantôt pour un progressiste. La S.F.I.O. n’est plus en Ille-et-Vilaine qu’un petit noyau de militants dévoués qui rêvent aux beaux jours du Front populaire et affrontent les enjeux électoraux avec une mentalité de désespoir. Et on aperçoit nulle part la « secousse extérieure » qui permettrait à ce parti de connaître une nouvelle jeunesse ».

45 SAINCLIVIER, Jacqueline, L’Ille-et-Vilaine, 1918-1958, vie politique et sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 296 et 338 pour les chiffres et le chapitre 7 pour le contexte : « Une nouvelle donne politique (1946-1958) », p. 305-346 ; Arch. dép. I&V. : 1175 W 77 (résultat des élections législatives de 1945 à 1962).

46 Sur l’itinéraire politique de ces deux universitaires rennais, voir leur fiche biographique dans le Maîtron.

47 Arch. mun. Rennes : E.P. 93, fonds Charles Foulon.

48 Voir le site officiel www.assemblee-nationale.fr

49 « Coup d’État » parce que le changement de régime intervient sous la menace des prétoriens bottés d’Alger, « légal » parce que les procédures démocratiques sont formellement respectées, voir WINOCK, Michel, 13 mai 1958, l’agonie de la IVe République, Paris, Gallimard, 2006.50 Voir par exemple GROSSER, Pierre, Le temps de la guerre froide, Réflexions sur l’histoire de la guerre froide et sur les causes de sa fin, Bruxelles, Éditions Complexe, 1995.

51 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit. p. 232.

52 AURIOL, Vincent (Notes de journal présentées par NORA, Pierre et OZOUF, Jacques),  Mon septennat 1947-1954, Paris, Gallimard, p. 264.

53 Il s’agit du dernier épisode d’un des plus gros scandale politique de la Quatrième République dont l’origine remonte à 1946. Sur fond de pénurie et donc de marché noir et de corruption, il témoigne aussi des « incompétences et des négligences qui régnaient au sein de ministères du Ravitaillement », voir Grenard Fabrice, Les scandales du ravitaillement. Détournements, corruption, affaires étouffées en France, de l’Occupation à la Guerre Froide, Paris, Payot, 2012.

54 JORF-DP, n° 37, jeudi 30 mars 1950, 3e séance du 29 mars 1950, p. 2613.

55 Arch. dép. I&V : 518 W 1.

56 RIOUX, Jean-Pierre, La France de la Quatrième République, 2. L’expansion et l’impuissance 1952-1958, Paris, Seuil, 1986, p. 60-61. Pour un résumé de l’affaire :  TUQUOI, op.cit., p 235-246.

57 JORF – DP n° 111, 4/12/1954, p. 5752.

58 ibid., p. 5763.

59 BERNERT, Philippe, Roger Wybot et la bataille pour la DST, Presses de la Cité, 1975.

60 CREMIEUX, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 128.

61 KRAVCHENKO, Viktor, J’ai choisi la liberté ! La vie publique et privée d’un haut fonctionnaire soviétique, Paris, Éd. Self, 1947. L’ouvrage a été réédité en 1980 chez Olivier Orban avec une préface de l’ancien rédacteur en chef des Lettres Françaises, l’ex-communiste Pierre Daix, qui estime qu’il s’agissait d’un « témoignage capital ». David Rousset, dans la recension qu’il fait de l’ouvrage dans Le Monde du 21 juin 1980 rappelle que bien avant Kravchenko, dès la fin des années trente, tout était connu de la nature véritable du stalinisme pour qui voulait prendre la peine de savoir. Charlotte Cochin-Liébert, « Les leçons du procès Kravchenko », L’Histoire, n° 247, octobre 2000, p. 60-61.

62 Compte–rendu sténographique des débats dans Le procès Kravchenko contre les Lettres Françaises,  Paris, éditeur La Jeune Parque, 1949, déposition de d’Astier aux pages 121-128.

63 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 246-248 ; MOSSUZ, Janine, « La régulation des naissances : les aspects politiques du débat », Revue française de science politique, 16e année, n°5, 1966, p. 913-939 ; LEVY, Marie-Françoise, « Le Mouvement français pour le planning familial et les jeunes », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2002/3, n° 75, pp. 75-84.

64 Table nominative des interventions devant l'Assemblée nationale d’Emmanuel d'Astier de la Vigerie, www.assemblee-nationale.fr. Deux autres propositions de loi allant dans le même sont déposées par d’autres parlementaires.

65 Voir L’Humanité des 2, 11 et 18 mai 1956et Jeannette Thorez dans France Nouvelle du 12 mai 1956. L’historienne WIEVIORKA, Annette  dans Maurice et Jeannette, Paris, Fayard, 2010, consacre un développement à cette affaire.

66 DEROGY, Jacques, « Le planning malgré eux », Le Monde, 14 mars 1996.

67 FAYOLLE, Sandra, « Le débat sur le birth control : une simple diversion ? », in Le Parti communiste et l’année 1956, actes des journées d’étude organisée par les archives départementales de Seine-Saint-Denis, en partenariat avec le PCF et la Fondation Gabriel Péri, 2007 (consultable en ligne : http://www.gabrielperi.fr/assets/files/pdf/Le_PCF_et_l_annee_1956.pdf);  MARTELLI, Roger, « Le PCF et le PCI face à Khrouchtchev (1953-1964) », Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique, n° 112-113, p. 45-55.

68 DEROGY, Jacques, « Le planning malgré eux », art. cit.

69 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 248-250. C’est d’abord la presse américaine qui a révélé en mars 1956 le contenu du rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline puis en France  Le Monde  en juin de la même année.

70 MITTERRAND, Á gauche toute citoyens…, op. cit., p. 117-129.

71 Le Monde, 8 novembre 1956.

72 L’Humanité, 1er janvier 1958.

73 Arch. dép. I&V : 518 W 1.

74 TUQUOI, Jean-Pierre, Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 232.

75 CREMIEUX, Francis, Entretiens avec Emmanuel d’Astier…, op. cit., p. 137.

76 MABIRE, J.L., Dictionnaire de maximes ou choix de maximes, pensées, sentences, réflexions et définitions, Paris, 1830, p. 292.

77 Notons toutefois que le 11 septembre 2010, L’Humanité, revisitant de manière plus objective l’itinéraire de d’Astier, a  publié sous le titre : « Emmanuel d’Astier de la Vigerie  ’’l’aristocate dandy de la liberté’’ », un article plein d’empathie signé d’un historien, Michel Boisard. L’auteur rappelle notamment cette période au cours de laquelle d’Astier fut un compagnon de route fidèle des communistes.