Le ralliement à la guerre de 1914 de deux figures de la gauche bretonne : digressions sur la notion d’antimilitarisme

 

Les mots ont un sens. Certes. Mais celui-ci n’est nullement immuable, comme gravé dans le marbre de nos certitudes. Au contraire, et à l’instar de toute notion d’ordre culturel d’ailleurs, le sens des mots est relatif et, par conséquent, change avec le temps. Et parfois très rapidement, en l’espace seulement de quelques heures, comme c’est le cas pour le mot antimilitarisme lors de l’été 1914.

Par Erwan LE GALL

 

 

Les mots sont essentiels pour dire l’Histoire mais pourtant, trop souvent, on oublie qu’eux aussi en ont une. Dans un article désormais classique, A. Wieviorka expose comment la réalité que recouvre l’expression « camp de concentration » évolue au XXe siècle1. A une moindre échelle, nous avons rappelé dans le cadre de nos travaux sur le 47e régiment d’infanterie pendant la Première Guerre mondiale comment s’opère en quelques mois seulement un important glissement sémantique autour du mot de « tranchée », le trou individuel de protection que l’on retrouve par exemple lors de la bataille de Charleroi ne tardant pas à laisser la place, trois mois plus tard, à un réseau sans cesse plus dense et complexe de premières, deuxièmes et troisièmes lignes reliées par des boyaux de communication2. Or c’est précisément ce qu’il advient, en quelques heures seulement, à la notion d’antimilitarisme.

Carte postale. Collection particulière.

En effet, ce que recouvre ce terme n’a après le mois d’août 1914 plus grand-chose à voir avec les logiques à l’œuvre avant le déclenchement du conflit. Ainsi, scène difficilement imaginable aujourd’hui à une époque où le lien armée-nation n’a semble-t-il jamais été aussi fragile, la prise de commandement de la 10e région militaire – le 20 mai 1913 – donne lieu à une réelle manifestation de ferveur populaire, le général Defforges étant accueilli par une foule « considérable » et aux cris de « Vive l’Armée ! »3. Or à force de classer ce type de faits historiques dans le rayonnage des manifestations patriotiques, on en vient à assimiler l’antimilitarisme à un antipatriotisme. La confusion est d’ailleurs d’autant plus évidente que l’internationalisme agit ici à la manière d’un voile opaque rendant plus complexe l’observation du réel. Or les destins croisés de Jean Batas et Albert Aubry paraissent montrer au contraire combien ces deux notions sont distinctes et, cependant, permettent de mettre à jour l’évolution de la signification de ce mot d’antimilitarisme.

 

Jean Batas et les publics captifs

Né le 20 décembre 1872 à Paramé, Jean Batas est une personnalité aussi essentielle qu’oubliée de l’histoire malouine. Tailleur de pierre aux solides convictions socialistes, il s’impose cinq ans avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale comme une figure importante du mouvement ouvrier en Ille-et-Vilaine, organisant et prenant part à de nombreux conflits sociaux dans le bâtiment mais aussi parmi les charbonniers du port ou encore les marins de la Grande pêche. Ce faisant, il apparait aux yeux du Commissaire spécial Gérard4 comme l’incarnation même de l’agitation ouvrière, internationaliste et donc antimilitariste. Un point de vue qu’il convient de nuancer.

L’antimilitarisme du mouvement ouvrier

C’est en effet en 1909 que Jean Batas devient secrétaire de la fédération des syndicats ouvriers de la région malouine, s’affirmant du même coup comme le principal responsable syndical de la région et ce pour plusieurs dizaines d’années. A l’époque, l’action syndicale ouvrière implique de facto une opposition à l’armée tant les militaires sont régulièrement réquisitionnés pour assurer le maintien de l’ordre lors des conflits sociaux. Pour ne citer qu’un exemple, le 14 décembre 1909, le conseil municipal de Saint-Malo « adresse ses biens sincères remerciements à tous ceux, agents, gendarmes et en particulier au 47e régiment d’infanterie et au 24e régiment de Dragons qui, par leur énergie, leur dévouement, leur sang-froid et leur sentiment du devoir ont su éviter des troubles plus graves » lors des grèves qui secouent la région cette année5. Un cas tel que celui-ci n’est pas unique et il n’est, à ce propos, pas inutile de revenir sur l’opposition à l’édification du quartier Margueritte à Rennes du conseiller municipal Eugène Leprince, par ailleurs syndicaliste et secrétaire de la fédération socialiste d’Ille-et-Vilaine. Arguant de son refus lors de la séance du conseil municipal du 2 novembre 1910, il explique les raisons qui motivent sa position et, ce faisant, développe une rhétorique qui épouse bien les contours de l’antimilitarisme de ces années : « Je ne voterai pas les conclusions du rapport de M. le Maire pour deux raisons : d’abord parce que je ne suis pas partisan de l’augmentation des impôts, ensuite parce que j’estime qu’il y a assez de troupes à Rennes pour réprimer les camarades en grève et les remplacer au besoin sans qu’il soit utile de créer un nouveau régiment »6.

Point échaudé par le souvenir de 1909, Jean Batas appelle, le 1er mai 1911, à cotiser en faveur du Sou du soldat7. Aujourd’hui oubliée, cette œuvre de solidarité est destinée à venir en aide financièrement aux boursiers du travail sous les drapeaux8. Mais, bien que généreuse, la démarche de Batas ne semble avoir eu que peu d’écho dans la population locale. Pourtant, une enquête diligentée par le ministère de l’Intérieur cette même année révèle que la bourse du travail de Saint-Malo compte quelques militants jugés comme « révolutionnaires », « violents » et « antimilitaristes »9. A en croire ce document, derrière lequel il n’est pas interdit de deviner la patte du Commissaire spécial Gérard, il y aurait donc tout lieu voir en Jean Batas un fervent internationaliste, en tout point éloigné de l’idée de Nation. En d’autres termes, l’antimilitarisme serait ici synonyme d’antipatriotisme et, in fine, de refus de la guerre.

Antimilitarisme et antipatriotisme

Mais, n’est-ce pas finalement le propre de ce genre d’enquêtes policières que de pointer l’activisme d’une poignée de meneurs sans réelle emprise, non seulement sur les quelques 3 000 membres de la bourse du travail de Saint-Malo10 mais, plus globalement encore, sur la population locale dans son ensemble ? Le vocabulaire utilisé dans ce type d’archives ne constitue-t-il pas par ailleurs un piège pouvant conduire à une surinterprétation des conduites protestataires ? La question mérite d’être posée tant ce sujet est complexe et les réactions, parfois, déroutantes. Ainsi, à Combourg, commune de la subdivision de Saint-Malo, c’est un étudiant rennais qui organise le 27 avril 1913 une réunion pour dénoncer les trois ans. Là encore on pourrait s’attendre à une manifestation que seul le piège de l’anachronisme nous empêche de qualifier d’antinationale. Pourtant, contre toute attente, l’auditoire, qui se limite à 70 personnes, se ligue contre le jeune orateur et scande des slogans favorables à la loi !11 Manifestement, au-delà de quelques heurts au moment de grèves, de fermetures de congrégations ou encore des réquisitions des biens de l’Eglise12, l’Armée semble jouir en Bretagne d’une réelle popularité. A cet égard, il ne paraît d’ailleurs pas excessif de parler de véritable « sensibilité militaire » même si celle-ci est, par définition, particulièrement difficile à cerner. Forgé par J. Maurin, ce concept peut se définir comme étant « l’accueil réservé à l’armée et au militaire par le corps social »13.

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Ainsi, toute activité répertoriée comme « antimilitariste » dans les archives ne signifie pas nécessairement qu’elle trouve un écho dans la population, loin s’en faut. De même, pour  passionnantes que soient leur étude, les réactions d’hostilité à la loi de trois ans ne doivent pas induire en erreur et témoignent moins d’un défaut de patriotisme et de refus de « faire son devoir » en cas de guerre que d’une réaction renfrognée face à un alourdissement des obligations militaires en temps de paix14. La preuve en est que Jean Batas lui-même se rallie en 1914 à la guerre, guerre qu’il fait, malgré ses 42 ans, au sein du 9e régiment de zouaves, avant d’être classé service auxiliaire en 1916 du fait de problèmes de vue qui, d’après sa fiche matricule, s’aggravent pendant le conflit, probablement du fait des gaz de combat15. Or, arrêté le 1er juillet 1913, il est détenu, sans jugement, à la prison de la Santé pendant plusieurs mois ce qui déclenche l’ire des syndicalistes malouins qui, en décembre 1913, apposent un tract sur quelques-uns des murs de la ville. Dans ce document, consigné pour information au sous-préfet par le Commissaire de police de Saint-Malo, il est notamment question de « bagnes militaires », du vote d’une « loi réactionnaire » face à la « légitimité de la protestation populaire »…16

Mais cette initiative reste sans effets puisque Jean Batas est condamné le 26 mars 1914 par le tribunal de la Seine à six mois de prison et 100F d’amende pour « menées antimilitaristes », ce qui lui vaut son inscription au carnet B17. Un verdict qui d’ailleurs ne manque pas d’interroger lorsqu’on sait que Jean Batas achève son service militaire en septembre 1894 avec en poche son certificat de bonne conduite et qu’il effectue deux périodes de réserve en 1899 et 1906, manifestement sans problème particulier18. Semblable remarque peut d’ailleurs être formulée à l’endroit d’Henri Le Potier, successeur de Jean Batas à la tête du syndicat du bâtiment au secrétariat de la bourse de travail lorsque celui-ci est incarcéré : obtenant un certificat de bonne conduite à l’issue de son service militaire, effectué au 47e régiment d’infanterie de 1905 à 1907, il est mobilisé en août 1914 au 1er régiment d’infanterie coloniale et tombe en septembre 1914, pendant la bataille de la Marne19.

Preuve ultime que l’action de Jean Batas ne doit pas être confondue avec un internationalisme structurellement antipatriotique, la proclamation qu’il lance en faveur du Sou du soldat le 1er mai 1911 est moins un texte antimilitariste – au sens actuel du terme – qu’une tentative de pénétrer les casernes pour continuer l’action syndicale :

« En ce jour de 1er mai, nous songeons à tous ceux qui nous ont quittés pour endosser la livrée militaire, laissant au foyer parents et amis, d’aucuns ont laissé femme et enfants et cela pour servir la patrie. Nous tenons à vous rappeler que vous êtes soldats aujourd’hui, ouvriers demain. Nous voulons dans votre milieu continuer votre éducation, afin qu’en sortant vous soyez plus aguerris pour continuer la lutte, un instant interrompue. Camarades, faites de la propagande syndicale autour de vous, propagez vos idées, faites œuvre de bon syndiqué et d’ouvrier conscient. Ci-joint la somme de 2 francs, comptant que vous en ferez bon usage. Recevez mon salut fraternel. »20

N’est-ce pas d’ailleurs le même Jean Batas qui, en 1926, plaide pour un développement de la « propagande » parmi les terre-neuvas ?21 Or ces derniers ont en commun avec les conscrits de la Belle époque d’être isolés du reste de la société civile, le temps d’une campagne de pêche ou du service militaire, séparés du monde qu’ils sont par l’océan Atlantique ou les murs du quartier. Ces démarches très parallèles placent dès lors plus Jean Batas dans la peau d’un infatigable militant syndical qui cherche sans cesse à étendre l’audience de son organisation auprès d’un public captif que d’un fossoyeur de la Défense nationale.

 

Albert Aubry, pédagogie de la patrie

La distinction entre antimilitarisme et antipatriotisme est également valable en ce qui concerne les militants d’un niveau socio-culturel plus élevé. Ainsi, on peut exercer des responsabilités syndicales au sein d’une section affilée à la CGT regroupant des instituteurs et institutrices d’Ille-et-Vilaine, être réformé pour « insuffisance de développement et faiblesse de constitution » en octobre 1913 après seulement un mois d’incorporation au 47e régiment d’infanterie tout en ayant obtenu par ailleurs un diplôme de Maître de Gymnastique malgré une santé précaire ayant justifié une affectation « sur la côte » et, le moment venu, répondre vaillamment à la mobilisation générale en août 191422. Tel est ainsi le cas d’Albert Aubry, virulent défenseur du Sou du soldat et néanmoins titulaire de brillants états de service pendant la Grande Guerre puisque, sorti du rang, il devient lieutenant en 1918 jusqu’à ce qu’une blessure ayant entraîné l’énucléation de l’œil droit le conduise à une réforme définitive23.

Du syndicalisme enseignant

Dans le cas d’Albert Aubry, la profession d’instituteur vient ajouter un flou supplémentaire puisque l’on a souvent tendance à opposer – et ce de manière erronée – les hussards noirs de la République aux militaires. Or la réalité se révèle encore une fois plus nuancée puisque la caserne et l’école sont deux lieux intimement liés dans le processus de construction du citoyen, dont il convient de se rappeler qu’il est avant tout à l’époque considéré non comme un électeur mais comme un soldat en puissance24. D’ailleurs, X. Boniface rappelle qu’à la Belle époque, « si les opportunistes voyaient dans l’école primaire une préparation du citoyen à la caserne, les radicaux veulent à l’inverse que le service militaire prolonge l’école »25. En d’autres termes, peu importe qui prime de l’œuf ou de la poule, la réalité est ici bien la même quel que soit le cas de figure.

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L’examen des manuels scolaires de l’époque dit d’ailleurs bien combien la classe est un lieu de pédagogie patriotique, et l’instituteur le vecteur de cet enseignement. Emblématique est à cet égard le célèbre manuel d’Ernest Lavisse qui évoque par exemple la guerre de 1870, et invite donc implicitement à l’idée de Revanche, dans une sous-partie intitulée « Le devoir des petits Français »26. Semblable réflexion peut d’ailleurs être formulée à l’endroit de cet autre manuel qui avance qu’à partir des croisades la France « devient une grande Nation »27. On remarquera donc combien l’apprentissage de notions propres à cette matière particulière qu’est l’histoire – la féodalité, la monarchie, les croisades… – se révèle n’être qu’un prétexte puisque c’est bien la construction d’un citoyen républicain et patriote qui est au cœur des programmes scolaires. Il est ici moins question de science historique, de mise en perspective des événements, de critique des sources… que de diffusion d’un roman national. Ernest Lavisse lui-même confesse d’ailleurs que la ligne directrice essentielle de son œuvre est bien la transmission de l’amour de la patrie, aussi son rôle est-il essentiel dans l’histoire de la formation du sentiment national en France28. C’est d’ailleurs ce que note cet inspecteur d’académie des Côtes-du-Nord pour qui l’enseignement de l’histoire sert à « faire aimer la France, en la faisant connaître dans ses grands hommes, dans ses institutions et dans le rôle qu’elle a joué dans le monde. Il concourt à l’éducation du citoyen et à la pacification intérieure, en lui montrant la marche de la civilisation […] »29.

La presse destinée aux professionnels de l’éducation se fait bien entendu l’écho de cette tendance. Ainsi, L’Enseignement pratique, publication dont le secrétaire de rédaction est un instituteur de Caudan, dans le Morbihan, propose-t-il dans son numéro daté du 13 mai 1898 une dictée dont le sujet est « l’amiral Jauréguibéry à l’armée de la Loire » pendant la guerre de 187030. Le Journal de l’enseignement primaire, publication à destination « des instituteurs, institutrices, maîtres et maîtresses de pension », est encore plus explicite dans son édition du 5 novembre 1887 en rappelant que « l’école primaire serait loin d’atteindre son but si elle n’avait à cœur de former pour l’avenir non seulement des hommes vertueux et instruits, mais encore des citoyens éclairés et soucieux de remplir dignement tous leurs devoirs envers la patrie ». Et d’accorder dans ce cadre une grande importance à « la gymnastique et aux exercices militaires » qui peuvent « contribuer aussi dans une large mesure à l’éducation patriotique de l’enfant »31.

Différencier les notions

« Antimilitarisme » et « antipatriotisme » sont donc deux notions bien distinctes. Le parcours d’Albert Aubry pendant et après la guerre conduit d’ailleurs à le rappeler, et ce de la plus brillante des manières. Membre éminent du Parti Socialiste SFIO, il est élu député d’Ille-et-Vilaine en 1919 et une grande part de son travail parlementaire traite de ce que l’on nomme aujourd’hui le monde combattant : question des primes de mobilisation, des pensions de guerre, de l’action sociale envers les veuves et les ascendants d’anciens combattants et victimes de guerre, problèmes spécifiques des mutilés et des invalides, des pupilles de la nation…32 Au cours de la Seconde Guerre mondiale, son appartenance idéologique le conduit tout naturellement vers le mouvement Libération-Nord de Christian Pineau33. Arrêté en 1944, il est déporté par mesure de répression à Neuengamme et parvient à survire jusqu’à sa libération, en avril 1945. Ne pesant que 36kg à son retour, il trouve malgré tout les forces nécessaires pour se présenter et faire campagne aux élections législatives de 194534. Il rédige d’ailleurs à la veille du scrutin une tribune dans L’Aurore socialiste qui résume parfaitement comment sa conduite pendant la Grande Guerre est, malgré un engagement antimilitariste, aux antipodes de l’antipatriotisme :

« J'avais au cours de la guerre 1914-1918, parti soldat de 2e classe, conquis successivement, dans les tranchées de première ligne, les galons de caporal, sergent, sous-lieutenant et lieutenant. J'avais même durant la même période, été cité 3 fois, deux fois à l'ordre de l'armée, une fois à l'ordre du corps d'armée, j'avais même été blessé 3 fois, en 1915, en 1916 et, pour clôturer dignement la série, j'avais dû me laisser énucléer la veille de l'armistice le 10 novembre 1918! Le maréchal Pétain lui-même (sic) m'avait fait chevalier de la Légion d'honneur. »35

Ajoutons de surcroît que si le parcours d’Albert Aubry est exceptionnel de par sa longévité, les épreuves traversées et les succès acquis, nombreux sont les enseignants bretons à présenter de brillants états de service pendant la Première Guerre mondiale. On connait ainsi le cas de Louis Cren. Responsable de la fédération socialiste du Morbihan et du syndicat des instituteurs de ce même département, il participe à de nombreuses manifestations pacifistes mais, une fois la mobilisation générale décrétée, n’hésite pas à contribuer à l’effort de guerre. Il est d’ailleurs fait prisonnier en septembre 191536. L’étude des trajectoires des élèves de l’Ecole normale de Rennes effectuée par Gilbert Nicolas confirme d’ailleurs bien cette forte prégnance de l’idée patriotique qui se traduit, malheureusement, par une importante mortalité sur les divers champs de bataille du conflit37. Tout au long de la correspondance qu’il entretient avec ses parents, ce jusqu’à sa mort en mai 1915 dans le secteur de Roclincourt, l’instituteur Jules Lachiver, qui est mobilisé au 70e régiment d’infanterie de Vitré, témoigne lui aussi d’un patriotisme sans faille38. Semblable remarque peut également être formulée à l’endroit de l’instituteur guérandais Henri Boyer ou du répétiteur de Lycée Albert Omnès, gravement blessé avec le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo en Artois, lors de la Course à la mer et titulaire d’une élogieuse citation à l’ordre de la division :

« Excellent sous-officier, d’un courage et d’un dévouement à toute épreuve. Toujours volontaire pour les missions périlleuses. Le 16 septembre 1914, après s’être jeté seul en avant de notre ligne de tirailleurs à la reconnaissance d’un fort occupé par l’ennemi, a guidé ensuite la troupe d’assaut avec un sang-froid, un calme et une intelligence digne d’éloges. Grièvement atteint quelques jours plus tard en défendant avec sa section une tranchée contre un ennemi très supérieur en nombre. »39

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Il convient donc de différencier l’antimilitarisme de l’antipatriotisme, le premier s’apparentant dans bien des cas à une vision caricaturale de la caserne. C’est ainsi par exemple qu’en 1898 un abonné de L’enseignement pratique adresse un courrier pour réagir à un article publié précédemment, lettre dans laquelle il expose que « la discipline vaudrait mieux, elle y gagnerait en ce sens qu’au lieu d’être militaire (et c’est pénible !), elle serait paternelle »40. Une vision qui paraît mot pour mot ou presque confirmée par cette carte postale adressée à ses parents en novembre 1913 par un conscrit anonyme du 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo : « la vie de caserne ne vaut pas la vie civile, on se fait engueuler toute la journée »41. Autrement dit, ce que l’on nomme antimilitarisme se trouve bien souvent relever d’un ensemble de représentations négatives de la vie militaire plutôt que de découler d’une pensée philosophique et politique réellement structurée. C’est ce que rappelle en novembre 1915 le Fougerais Joseph Le Segretain du Patis en donnant dans ses carnets « le bon sens » du mot antimilitariste : « anti les chefs responsables de l’organisation, du désarroi actuel, anti la mauvaise situation financière… »42. C’est également ce que suggère l’acide plume du capitaine Leddet du 7e régiment d’artillerie de campagne de Rennes lorsque cet officier de carrière écrit, alors qu'il se voit proposer l'éventualité du commandement d'une section de munitions, promotion qu’il juge dégradante : « Rien que d'y penser je devenais antimilitariste »43. Et même lorsque l’antimilitarisme doit être compris par le prisme du mouvement ouvrier, celui-ci ne peut être confondu avec un antipatriotisme, comme le démontre bien l’exemple de Jean Batas. D’ailleurs, dans une brochure hagiographique qui lui est consacrée après sa mort, survenue en 1951, un de ses camarade écrit que « l’antimilitariste Aubry avait dignement rempli ses devoirs de vrai patriote, et fait ainsi la nique à ceux qui trouvent ce qualificatif malsonnant parce qu’ils ne savent pas ce qu’il veut dire »44. En réalité, ce qui se dessine ici est la fracture entourant l’antimilitarisme total des syndicalistes-révolutionnaires, tendance qui à partir de 1906 s’oppose même à l’idée de nation mais n’en demeure pas moins très minoritaire45.

 

Antimilitarisme et marginalité

Pour autant, et cela est indéniable, l’antimilitarisme existe et se manifeste en Bretagne, y compris en ces terribles jours de l’été 1914. Mais il est également incontestable que ce sentiment – on n’ose pas parler d’idéologie – est marginal, et ce à triple titre.

Marginalité statistique

Tout d’abord, sur le plan statistique, force est d’admettre que c’est en dépouillant les archives avec le plus fin des peignes que l’on parvient à trouver quelques menues traces de ces manifestations antimilitaristes qui demeurent très rares au sein des 10e et 11e régions militaires.

Le département de la Loire-Inférieure en est un excellent exemple et la manifestation qui se déroule à Nantes le 1er août 1914 est d’ailleurs bien connue. Bien que décommandée par les socialistes et interdite par le préfet, elle regroupe trois à quatre cents individus encadrés par un service d’ordre conséquent. Mais si la journée se termine dans une certaine confusion, mêlant L’Internationale aux échauffourées, on oublie trop souvent que les « A bas la guerre ! » entendus notamment rue Crébillon, rue Boileau ou encore rue du Calvaire côtoient les « Vive l’armée ! » des Nantais assistant à l’évènement46. A Saint-Nazaire, où il existe pourtant une ancienne tradition anarchiste, la mobilisation du I/64e RI dont le dépôt est la caserne de la Briandais s’effectue sans aucun problème et le 4 août le bataillon arrive à Ancenis47.

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Si l’on se fie à la classique thèse de J.-J. Becker, le Finistère, le Morbihan et la Loire-Inférieure connaissent « des actions de protestations contre la guerre » tandis que les Côtes-du-Nord et l’Ille-et-Vilaine sont épargnées. Et encore, la nature de ces actions doit être prise en compte attentivement puisque, sous ce même vocable, l’éminent historien regroupe les manifestations, les réunions publiques, la pose d’affiches et les tracts48, soit autant d’événements qui ne suggèrent sans doute pas la même ampleur en termes d’implication de personnes. De plus, une focale moins large fait apparaître que ce sont moins dans des départements que dans quatre villes qu’ont lieu ces incidents, à savoir Brest, Lorient, Saint-Nazaire et Nantes49. Or ces quatre bastions ouvriers ne sont absolument pas représentatifs d’une Bretagne alors essentiellement rurale et très faiblement industrialisée. Preuve de cette marginalité statistique, lorsque D. et M. Guyvarc’h dressent à l’occasion du centenaire de l’année 1914 l’abécédaire de Nantes et Saint-Nazaire dans le conflit, ils ne consacrent aucune entrée à l’antimilitarisme50. Enfin, que pèsent les 4 réunions organisées en faveur de la défense de la paix en Bretagne entre le 28 juillet et le 2 août 191451 face au tsunami de l’Union sacrée ?

Il convient donc de se méfier des sources en ce qu’elles peuvent constituer un puissant effet loupe, déformant considérablement la réalité. Ajoutons d’ailleurs que la Bretagne ne constitue pas sur ce point une exception puisqu’A. Jacobzone dresse un constat tout-à-fait semblable à propos de l’Anjou où, en réalité, l’antimilitarisme parait se limiter à certains cercles ouvriers des mines d’ardoise de Trélazé52.

Marginalité sociale

Or, parallèlement à cela, les cas de désertion et les actes qui, de prime abord, pourraient s’apparenter à une sorte de refus de guerre, se révèlent au final bien peu idéologisés. Plus significatif encore, il s’avère que les individus qui agissent de la sorte relèvent eux-aussi d’une certaine marginalité, entendue cette fois-ci sur le plan social voire même psychique. C’est ce que révèlent les archives des Conseils de guerre permanent de Rennes et Nantes conservées aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine.

En effet, ces sources esquissent en filigrane le portrait d’un mauvais soldat, et donc d’un mauvais citoyen, individu émanant des plus basses fanges de la société. Sans prétendre rentrer dans le détail d’un sujet qui, assurément, mériterait à lui seul une étude fouillée, il convient de remarquer que nombreux sont les dossiers qui impliquent des personnes évoluant dans un environnement social assez lourd : untel est décrit pas sa femme comme « alcoolique invétéré », un autre a « mauvaise réputation », nombreux sont ceux dont le casier judiciaire est loin d’être vierge… Certains, enfin, sont jugés irresponsables de leurs actes car étant sujets à de fréquentes crises d’épilepsie, ou sont même déclarés « aliénés » ou encore « dégénérés inférieurs d’un niveau intellectuel très au-dessous de la moyenne »53. C’est dire si les cas qui se trouvent examinés par le Conseil de guerre sont à la marge et donc d’autant plus difficilement assimilables à de l’antimilitarisme qu’ils sont au final peu idéologisés. Ainsi du dossier de Jules F. Engagé volontaire le 6 août 1914 au 41e régiment d’infanterie, il est porté manquant le 8 novembre 1914 lors de l’appel du soir alors que son détachement est cantonné à Cesson, et en conséquence porté déserteur pendant trois jours. Pour autant, il apparaît bien difficile d’attribuer une quelconque signification à un tel comportement, l’accusé étant jugé « un peu faible », très influençable et enclin à la boisson54.

Discordance des temps

Mais, c’est sans doute sur le plan chronologique que ces manifestations antimilitaristes sont le plus marginales, en ce qu’elles témoignent d’une manifeste discordance des temps. Dans son édition du 29 juillet 1914, La Dépêche de Brest rapporte un de ces incidents. Remarquons d’ailleurs que ceci n’est fait qu’en troisième page, ce qui semble en dire long sur l’importance accordée à l’événement :

« Un meeting antimilitariste, organisé par le parti socialiste et la confédération générale du travail, a eu lieu hier soir, salle de la Brestoise.
A l’issue de cette réunion, un cortège s’est formé, et comme il passait sur le Champ-de-Bataille55, il fut longuement conspué par un groupe de patriotes.
Les manifestants furent rapidement dispersés par M. Le capitaine Feyler, à la tête de ses gendarmes. » 56

Une telle description est intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord, il convient de noter que l’organisation de telles manifestations publiques s’inscrit dans des pratiques militantes déjà anciennes et, qu’à ce titre, les débats liés à la loi de trois ans revêtent une importance particulière.  Dans une ville comme Brest, mais l’on pourrait également évoquer Lorient et Rennes, ces mouvements anti-troisannistes provoquent un double effet de source dont il convient de se garder. Ainsi, il est indéniable que la cité du Ponant est caractérisée par une évidente sensibilité militaire tant son histoire est attachée aux arsenaux de la Royale. Or ce sont précisément ces derniers qui constituent l’essentiel du milieu ouvrier brestois, dimension qui, on s’en doute, n’est pas ici sans fausser certaines données du problème. Il est en effet peu probable que des travailleurs dont la subsistance dépend exclusivement ou presque du ministère de la Guerre développent un sentiment antimilitariste particulièrement affirmé. Mais, il se trouve que la mobilisation contre la loi des trois ans a pour effet de masquer, au nom de l’union, un certain nombre de dissensions existant au sein même du mouvement ouvrier ; divergences anciennes qui portent sur des questions aussi fondamentales pour notre propos que l’attitude à observer en cas de guerre. Si la CGT marie officiellement dans sa doctrine, depuis son congrès d’Amiens en 1906, antimilitarisme et antipatriotisme, tel n’est pas nécessairement le cas des socialistes, de surcroît divisés sur cette question entre partisans de Jean Jaurès et du breton Gustave Hervé57. De plus, si la situation est d’un point de vue doctrinal confuse, elle l’est encore plus sur le terrain, lorsque l’on considère les fréquents cas d’adhésions multiples, c’est-à-dire de personnes militant dans les rangs cégétistes et socialistes, sans pour autant être d’ailleurs nécessairement hervéistes58.

Jean Jaurès en 1913, au Pré Saint-Gervais, lors d'une manifestation contre la loi des trois ans. Wikicommons.

Or à la toute fin du mois de juillet 1914, les débats relatifs à la loi de trois ans sont déjà anciens. Plus encore, ils datent d’une autre ère. On pourrait pourtant croire que la foule venue en masse à cette manifestation brestoise – les sources oscillent entre 3 000 et 5 000 personnes59 – trahit un noyau certain d’opposition à la guerre. Mais la situation est beaucoup plus complexe et l’unanimité politique ne se trouve pas nécessairement de ce côté-ci du débat. En effet les socialistes répondent dans leur ensemble à l’Union sacrée et à l’appel de la patrie en danger, ce dont témoigne bien la presse locale. D’ailleurs, Hippolyte Masson, le maire socialiste de Brest qui est à la tête de la manifestation du 28 juillet fait voter par son conseil municipal, une semaine plus tard, une motion d’adhésion au principe d’Union sacrée60.

En d’autres termes, la guerre pour laquelle on mobilise en août 1914 n’est pas celle à laquelle se préparent les anarcho-syndicalistes de la Belle époque. Pour eux, c’est moins un éventuel conflit avec l’Allemagne – internationalisme oblige – qui importe que la guerre sociale. Or dans cette dernière, le militaire, du fait des réquisitions civiles, est souvent amené à intervenir contre les « masses en lutte » et, de ce fait, apparait comme le bras armé d’un système honni. Que l’on songe par exemple aux dockers du port de Saint-Malo et on comprendra dès lors la nature profonde de l’antimilitarisme d’un homme comme Jean Batas. Mais, pour les socialistes anti-troisannistes, l’antimilitarisme de 1914 n’est plus celui de l’année précédente, c’est-à-dire une opposition à une loi jugée réactionnaire et inégalitaire61.

En définitive, avec le 1er août 1914 et la mobilisation générale dans la perspective d’un conflit avec l’Allemagne, qui n’est déclaré rappelons-le que le 3, le mot « guerre » change radicalement de sens et avec lui l’antimilitarisme. L’exemple finistérien le démontre parfaitement. C’est à la fin de la réunion publique, alors qu’un certain nombre de personnes désire manifester dans les rues de Brest, qu’éclatent des incidents avec la gendarmerie et quelques contre-manifestants. Si les sources ne permettent pas de faire totalement la lumière sur cet événement qui, à bien des égards, demeure encore flou, les archives paraissent faire état d’une nette scission des troupes puisque même les sources les plus généreuses font état de « groupes de manifestants »62. Or cette fraction semble bien symboliser la portion extrêmement congrue de militants qui, demeurée dans l’ancienne signification du terme antimilitarisme, ou dans sa dimension totale telle que définie par le syndicalisme révolutionnaire, ne parvient pas à prendre le train de ce XXe siècle qui nait avec la Première Guerre mondiale. En effet, l’heure n’est à la fin du mois de juillet 1914 assurément plus au refus de guerre mais, au contraire, bien à la défense de la patrie en danger. Cette dimension est essentielle tant 1914 diffère de 1913. On sait en effet combien la victimisation est essentielle dans le processus de mobilisation, combien le patriotisme défensif est un élément clef du consentement au conflit. Or l’un des griefs essentiels que formulent les anti-troisannistes à l’endroit de cette loi est que, à les croire, celle-ci donne les moyens de l’offensive à la France, ce qui évidemment ne leur parait pas acceptable63. Mais, à partir du moment où la mobilisation d’août 1914 est globalement perçue comme une réaction à la politique allemande, Paris ne faisant que se défendre face aux attaques de Berlin, alors les termes du problème se trouvent radicalement modifiés, la guerre devenant de facto acceptable pour le plus grand nombre. Ce changement est parfaitement relaté par Jean François-Oswald dans un de ces romans, L’Appel des Armes, publié dans la célèbre collection Patrie. La scène se déroule dans une chambrée d’une caserne de Lisieux, probablement dévolue au 119e régiment d’infanterie.  Trois conscrits de la classe 1913 devisent, à peine la nouvelle de la mobilisation générale connue, sur l’attitude des « antimilitaristes » :

« - Et les antimilitaristes ?... Ceux qui proclamaient qu’en cas de guerre il faudrait saboter la mobilisation ?
-  J’suis bien tranquille à ce sujet… Ce sont ceux qui doivent chanter le plus fort… On professe des idées pareilles et on est sincère… mais quand le sol de votre pays est menacé, un changement radical s’opère… Tout le monde sans exception est pénétré par le grand souffle purifiant de patriotisme qui passe irrésistiblement, balayant tout ce qui est égoïste et malsain. »64

Bien entendu un tel propos n’est pas neutre et cela serait une grave erreur méthodologique que de ne pas prendre en compte la fonction mobilisatrice d’un tel texte, publié en 1917, année par excellence de fléchissement des consentements. Pour autant, il n’en demeure pas moins qu’à la fin du mois de juillet 1914, le sens de l’antimilitarisme évolue en quelques heures, périmant ainsi de facto un certain nombre de logiques militantes. La Dépêche de Brest en donne d’ailleurs une belle illustration relayant dans ses colonnes un incident survenu le 30 juillet :

« Hier soir, place du Champ-de-Bataille, à l’issue du beau concert donné par la musique du 19e régiment d’infanterie de ligne, les instruments entonnèrent en chœur La terre nationale de Botrel. Une longue ovation leur fut faite et la foule massée sur place – aussi nombreuse qu’un jour de 14 juillet – réclama la Marseillaise.
M. Esvan, le sympathique chef de la musique, n’ayant reçu aucune instruction à ce sujet, ne put, à son grand regret, donner satisfaction aux très nombreux patriotes groupés autour du kiosque.
Mais un cri discordant se fit entendre : A bas les trois ans !  Mille voix répondirent : Vive l’armée ! A bas les sans patrie !  Et, se formant en cortège, quatre à cinq cents personnes descendirent la rue Jean Macé en chantant la Marseillaise et le Chant du Départ. »65

Carte postale. Collection particulière.

L'entrée en Première Guerre mondiale rappelle que l’antimilitarisme de la Belle époque relève plus de la réaction renfrognée à la conscription ou que d’une opposition à une institution amenée à trop souvent jouer les briseurs de grève que de l’internationalisme pacifiste.  Or août 1914 sonne avant tout le chaos des Nations prêtes à s’entretuer pendant 52 interminables mois. Et, quoi qu’on en dise, force est d’admettre que bien peu nombreux sont ceux qui désertent et se soustraient à l’appel de la patrie en danger. C’est d’ailleurs ce que rappelle en 1984 C. Geslin en affirmant que « les syndiqués bretons adhèrent dans leur immense majorité à l’antimilitarisme classique qui condamne l’intervention de l’armée dans les grèves » mais pas à celui qui devient « synonyme aussi d’antipatriotisme »66.

Les comportements des acteurs observés pendant certaines crises de la Belle époque, et plus particulièrement au moment du vote de la loi portant la durée du service militaire à trois ans n’augurent en rien d’un refus de guerre lors de la mobilisation générale. C’est bien de guerre sociale dont il s’agit la plupart du temps. Aussi est-ce pourquoi l’antimilitarisme qui s’exprime lors de l’été 1914 n’est que rarement synonyme de pacifisme, et encore moins d’antipatriotisme,  à l’exception de quelques groupes minoritaires anarcho-syndicalistes que l’on retrouve notamment au sein des arsenaux de Brest et Lorient. Bien peu au final sont les Emile Masson67 qui, comme Romain Rolland, sont « au-dessus de la mêlée ». C’est d’ailleurs ce que démontre un fait divers survenu le 3 août 1914 à Fougères. Un gérant de coopérative a, le 3 août 1914, une violente altercation avec des hommes de l’escadron du train des équipages cantonné dans la ville. Traduit devant le conseil de guerre – où il est jugé pour « provocation de militaire à la désobéissance » – l’accusé se défend et proclame que s’il est socialiste, il n’est nullement antimilitariste. La preuve en est que l’intéressé bénéficie même de prestigieux témoins de moralité, à savoir le sous-préfet et le maire68

Erwan LE GALL

Doctorant, CERHIO-CNRS UMR 6258

 

 

 

1 WIEVIORKA, Annette, « L’expression camp de concentration au XXe siècle », Vingtième siècle, revue d’histoire, 1997, n°54, p. 4-12.

2 LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014, p. 186-191.

3 « L’entrée du général Defforges », L’Ouest-Eclair, n°5258, 21 mai 1913. p. 4.

4 A propos de cet homme on se permettra de renvoyer LE GALL, Erwan, « Le deuxième procès de Rennes : trois officiers du 47e régiment d’infanterie devant le Conseil de guerre », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°1, hiver 2013, en ligne.

5 « Batas Jean-Marie », MAITRON, Jean, et PENNETIER, Claude, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Quatrième partie, de la Première à la Seconde Guerre mondiale, en ligne ; JEAN, Marc, Le Mouvement ouvrier à Saint-Malo de 1907 à 1914, Saint-Malo, Archives Municipales de Saint-Malo (Littérature grise), sans date, Non paginé.

6 Arch. Mun. Rennes : H 144, Caserne Margueritte, extrait de la délibération du Conseil municipal de Rennes en date du 2 novembre 1910.

7 BECKER, Jean-Jacques, Le Carnet B: les pouvoirs publics et l'antimilitarisme avant la guerre de 1914, Paris, Editions Klinksieck, 1973, p. 27.

Les bourses du travail sont à l’époque des bureaux de placement des ouvriers organisés par les syndicats.

9 MOUGENET, Patrick, « 14-18. Quelles traces de pacifisme dans l’Ille-et-Vilaine en guerre ? », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Anjou, Maine, Tourraine, tome 99, n°2, 1992, p.172 et p. 196, note n°3.

10 La bourse du travail de Saint-Malo est créditée au 1er janvier 1914 de 3 253 membres pour 6 syndicats adhérents. MOUGENET, Patrick, 1914-1918 en Ille-et-Vilaine: des traits de l'attitude et du comportement des populations civiles et des écoles de pensée d'un département de l'arrière, Mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de SAINCLIVIER, Jacqueline, Rennes, Université Rennes 2, 1990, TII, p. 269.

11 Ibid., T1, p.59.

12 Sur cette question on renverra à LE GALL, Erwan, « Le deuxième procès de Rennes… », art. cit.

13 MAURIN, Jules, Jules, Armée, guerre, société, soldats languedociens (1889-1919), Paris, Publications de la Sorbonne, 1982, p. 167.  

14 Cette réaction n’est propre ni à la Bretagne ni à cette période puisqu’elle peut au contraire être observée sur un temps relativement long, comme l’a par exemple démontré AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, 1870, La France dans la guerre, Paris, Armand Colin, 1989, p. 78 en analysant les difficultés rencontrées par Napoléon III dans ses tentatives de réorganisation de l’armée suite à Sadowa.

15 Arch. Dép. I&V : 1 R 1777.1048.

16 Arch. Dép. I&V : 4 M 76, courrier du commissaire de police de Saint-Malo au sous-préfet en date du 28 décembre 1913.

17 Le carnet B est le fichier sur lequel est inscrit le nom de toutes les personnes que le ministère de l’Intérieur suspecte de pouvoir entraver une éventuelle mobilisation générale. « Batas Jean-Marie », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français…, op. cit., p. 225.

18 Arch. Dép. I&V : 1 R 1777.1048.

19 Arch. Dép. I&V : 1 R 1968. 811 ; BAVCC/Mémoire des hommes ; « Le Potier Henri », MAITRON, Jean, et PENNETIER, Claude, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Quatrième partie, de la Première à la Seconde Guerre mondiale, en ligne.

20 JEAN, Marc, Le Mouvement ouvrier à Saint-Malo de 1907 à 1914, op. cit.

21 « La vie des unions départementales, Ille-et-Vilaine », La Voix du peuple, Bulletin officiel mensuel de la Confédération générale du travail, 2e série, n°75, novembre 1926, p. 451. Sur ce point et son action avec Ange Rivello on renverra à JEAN, Marc, Le Mouvement ouvrier à Saint-Malo de 1907 à 1914, op. cit.

22 Arch. Dép. I&V. : 12 T 5, dossier personnel Albert Aubry.

23 Ouvrage collectif, Albert Aubry (1892-1951), Défenseur des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, Rennes, Imprimeries Réunies, sans date.

24 BACH, André, Fusillés pour l’exemple 1914-1915, Tallandier, Paris, 2003, particulièrement le chapitre 2 ; SCHNAPPER, Dominique, « Histoire, citoyenneté et démocratie », Vingtième Siècle, Revue d’histoire, n°71, 2001, p. 97-103.

25 BONIFACE, Xavier, L’Armée, l’Eglise et la République (1879-1914), Paris, Nouveau Monde Editions, 2012, p. 314.

26 LAVISSE, Ernest, Histoire de France, cours élémentaire, Paris, Armand Colin, 1913, p. 161-162.

27 GAUTHIER, et DESCHAMPS (avec la collaboration d’instituteurs et d’historiens), Cours élémentaire d’histoire de France, Paris, Hachette, 1904, p. 18.

28 NORA, Pierre, « Ernest Lavisse : son rôle dans la formation du sentiment national », Revue historique, T. 228, 1962, p. 73-106.

29 Arch. Dép. CdA : 1 T 17 : op. cit.

30 « Dictée », L’Enseignement pratique, n°24, troisième année, 13 mars 1989, p. 291.

31 « Le patriotisme à l’école primaire », Le Journal de l’enseignement primaire, n°45, 9e année, 5 novembre 1887, p. 1548-1549.

32 Faute de pouvoir disposer d’une biographie détaillée d’Albert Aubry, sujet pourtant passionnant, nous renverrons à sa notice en ligne du dictionnaire des députés français ainsi qu’à « Aubry, Albert, Jules, Marie », MAITRON, Jean, et PENNETIER, Claude, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Quatrième partie, de la Première à la Seconde Guerre mondiale, en ligne.

33 Sur la dimension idéologique de Libération-Nord, on renverra à AGLAN, Alya, La Résistance Sacrifiée, Le mouvement Libération-Nord, Paris, Flammarion, 1999.

34 Ouvrage collectif, Albert Aubry (1892-1951), op. cit.

35 AUBRY, Albert, « A un plumitif et… à d’autres », L’Aurore socialiste (région Bretagne), 2e série, n°44, 20 octobre 1945, p. 2.

36 KERMOAL, Benoit, Officier et socialiste : l’instituteur Louis Cren dans la Grande Guerre, en ligne.

37 NICOLAS, Gilbert, « Les instituteurs publics d’Ille-et-Vilaine à l’épreuve de la Grande Guerre », in JORET, Eric et LAGADEC, Yann (dir), Hommes et femmes d'Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, Conseil général d’Ille-et-Vilaine, 2014, p. 56-67.

38 LACHIVER, Jules, Lettres de guerre, août 1914 - mai 1915, Plessala, Bretagne 14/18, sans date.

39 PRIGENT, Julien et RICHARD, René, Lettres et carnets de guerre du Lt Henri Bouyer au 265e et 264e RI, août 1914 – août 1916, Plessala, Bretagne 14/18, 2013 ; OMNES, Albert, Carnet de route, campagne 1914, Notes et impressions prises par le sergent Omnes du 47e régiment d’infanterie, Plessala, Bretagne 14-18, sans date ; Arch. Dép. I&V : 1 R 2100.1205. Pour plus de détails sur les évènements se rapportant à cette citation on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre…, op. cit.

40 « Tribune des abonnés », L’Enseignement pratique, 5e année, n°35, 5 juin 1898, p. 350.

41 Carte postale, collection particulière. Nous souhaiterions exprimer ici toute notre gratitude à Adrien Soulard sans qui nous n’aurions pas eu connaissance de cette archive.

42 LE SEGRETAIN DU PATIS, Ecrire la guerre. Les carnets d’un poilu, 1914-1919, Paris, LBM, 2014, p. 167.

43 LEDDET, Jean (Capitaine), commenté par SCHIAVON, Max, Lignes de tir, un artilleur sans complaisances, carnet de guerre 1914-1918, Anovi, Parçay-sur-Vienne, 2012, p. 112.

44 Ouvrage collectif, Albert Aubry (1892-1951), op. cit.

45 BECKER, Jean-Jacques, 1914 : Comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977, p. 84.

46 JAOUEN, Yves, 1914. Les Nantais en guerre. Stupeur, patriotisme, deuil, Haute-Goulaine, Opéra, 2014, p. 24-26 et Leroux, Emilienne, Histoire d’une ville et de ses habitants. Nantes de 1914 à 1939, Nantes, Editions ACL, 1985, p. 20.

47 SHD-DAT : 26  N 657/1, JMO 64e RI, 4 août 1914.

48 BECKER, Jean-Jacques, 1914 : Comment les Français…, op. cit., p. 148.

49 Ibid., p. 151-153.

50 GUYVARC'H, Didier et Michèle, De A à Z, Place publique Nantes Saint-Nazaire, n°43, 2014, p. 7-28.

51 BOUGEARD, Christian, La Bretagne d’une guerre à l’autre, 1914-1945, Paris, Gisserot, 1999, p. 13.

52 JACOBZONE, Alain, En Anjou, loin du front, Vauchrétien, Ivan Davy éditeur, 1988, p. 17-23.

53 Arch. Dép. I & V. : 11 R 793-794. 

54 Arch. Dép. I & V. : 11 R 793, affaire Jules F. 

55 Il s’agit d’une célèbre place de Brest.

56 « Un meeting », La Dépêche de Brest, n°10592, 29 juillet 1914, p. 3.

57 BECKER, Jean-Jacques, Audoin-Rouzeau, Stéphane, La France, la Nation, la Guerre : 1850-1920, Paris, SEDES, 1995, p. 223-228.

58 KERMOAL, Benoît, « C’est alors que les pacifistes se révélèrent de fougueux belligérants : une manifestation socialiste à Rennes en mars 1913 », Enklask / Enquête, Guerre, violences et socialisme (Bretagne, 1900-1940), 12 mars 1913.

59 BECKER, Jean-Jacques, 1914…, op. cit., p. 151 et 160.

60 LAGADEC, Yann et GUYVARC'H, Didier, Les Bretons et la Grande Guerre, images et histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 19.

61 MARCOBELLI, Elisa, La France de 1914 était-elle antimilitariste ? Les socialistes et la loi de trois ans, Paris, Fondation Jean Jaurès, 2013, p. 13, en ligne.

62 BECKER, Jean-Jacques, 1914…, op. cit., p. 164.

63 MARCOBELLI, Elisa, La France de 1914…, op. cit., p. 22.

64 FRANCOIS-OSWALD, Jean, L’Appel aux Armes, Paris, F. Rouff éditeur, 1917, p. 11.

65 « Brest se réveille », La Dépêche de Brest, n°10594, 31 juillet 1914, p. 3.

66 GESLIN, Claude, « Le syndicalisme ouvrier en Bretagne avant 1914 », Le Mouvement social, n°127, avril-juin 1984, p. 60.

67 Sur Emile Masson, GIRAND, Jean-Didier et Marielle, Emile Masson, prophète et rebelle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.

68 Arch. Dép. I&V : 11 R 349, Jugement n°7666 et « Provocation de militaire à la désobéissance », L’Ouest-Eclair, n°5513, 6 septembre 1914, p. 3.