Droit de l’histoire

L’Université européenne de Bretagne et le réseau Form@doct organisaient le 30 janvier 2015, sur le campus de l’Université Rennes 2, une matinée d’études à destination des doctorants qui, derrière une formulation très juridique, nous paraissait pouvoir grandement intéresser les historien.ne.s. et donc, justifier une courte recension sur En Envor. En effet, la redistribution des savoirs produits au cours d’un processus de recherche est, et ce depuis un certain nombre d’années déjà, au cœur de nombreux enjeux, devenus sans doute encore plus cruciaux depuis l’entrée dans l’ère d’internet.

Lors de la matinée d'études Je publie sur le web: de qil(s) droit(s)? Cliché E. Le Gall.

Deux logiques doivent dès lors être distinguées. Il y a d’une part celle qui est celle de votre site préféré et des hommes et des femmes qui, tous les jours, y publient, que cela soit par l’intermédiaire des brèves d’actualités ou des articles plus charpentés de la Revue. L’idée, pour ne pas parler d’engagement tant il y a là une démarche politique, au sens le plus noble et citoyen du terme, est de proposer au plus large public des contenus de haute qualité relatifs à l’histoire contemporaine en Bretagne.

Dans ce cadre, le libre accès est une condition sine qua non de la réussite de la mission que nous nous sommes assignés et l’un des grands intérêts de cette matinée d’études était de pouvoir écouter Pierre-Carl Langlais – l’homme du carnet Sciences communes – faire l’historique de cette notion et, plus particulièrement encore des Creative Commons. Née à la fin des années 1990 en réaction aux mesures prises pour faire perdurer les droits relatifs à certaines œuvres – d’où le surnom de Mickey Mouse Protection Act hérité du lobbying très actif de Disney – cette solution légale alternative a initialement pour but de contourner l’allongement des protections et de permettre aux auteurs de se placer sous une sorte de second régime de domaine public.

Aujourd’hui les Creative Commons sont non seulement au cœur des processus liés à l’Open access mais s’imposent de plus en plus comme un standard légal de référence, comme en témoigne notamment son adoption par Europenana, dans le cadre de la Grande collecte d’archives privées de la Première Guerre mondiale. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de faire un lien entre le succès extraordinaire rencontré par cette initiative et ce centenaire de l’année 2014, intense moment commémoratif dont l’une des caractéristiques essentielles était de venir d’en bas, pour reprendre les mots d’Antoine Prost. Gageons qu’il y a non seulement pas là de hasard mais de surcroît un enjeu majeur en termes de diffusion et d’appropriation de la culture puisqu’à l’évidence un bon nombre d’institutions profitent des droits de reproduction pour obtenir à peu de frais de véritables rentes de situation.

Les Creatives commons: un logo aisément identifiable. Wikicommons.

Mais les problématiques liées à la connaissance en accès libre ne se limitent pas à ces seules considérations. En effet, faire de l’histoire, et non plus seulement en consommer, c’est produire un certain nombre de savoirs qui sont à un moment donné destinés à être partagés, communiqués, autrement dit publiés. Or, là aussi internet a profondément changé la donne ce qui, pour autant, ne signifie pas que les chercheur.e.s sont dépourvu.e.s de droits. Au contraire.

Et c’est d’ailleurs bien ce qu’a exposé Eric Heilmann en dispensant un rapide cours de droit de la propriété intellectuelle à un public par nécessairement toujours au fait de ces questions. Le professeur à l’Université de Bourgogne a ainsi rappelé qu’en matière de création intellectuelle, le droit commun est celui de la liberté en vertu du principe que « les idées sont de libre parcours ». Seule l’idée exprimée et concrétisée sous une forme quelle qu’elle soit (œuvre littéraire, partition musicale, article scientifique, plan architectural…) peut acquérir le statut d’œuvre de l’esprit qui lui autorise des droits, droits qui s’appliquent sans considération de genre, de mérite ou de destination des productions considérées. La seule dimension qui ici importe est celle de l’originalité, notion subjective qui n’est pas définie par la loi mais appréciée par le juge en cas de litige. Rappelons d’ailleurs que la contrefaçon – le plagiat ne relevant pas stricto sensu du vocabulaire juridique – est passible de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.

On le voit, le libre accès est donc tout sauf une sorte de jungle dérèglementée ne garantissant aucun droit aux producteurs de contenus. Malgré ce que peuvent claironner certaines institutions soucieuses de préserver leurs droits de reproduction – sous couvert de propriété intellectuelle des auteurs – il y a au contraire avec ces nouvelles dispositions règlementaires symbolisées par les Creatives Commons un terrain sur lequel peuvent se produire et se diffuser les connaissances de demain. Sous réserve que chacun accepte de jouer le jeu.

Erwan LE GALL

 

Les supports d'interventions ainsi que les captures vidéos de la matinées d'études ont été mises ligne sur le site form@doct et sont librement accessibles.