1976, les Bretons face à la canicule

Dans la mémoire collective, l’année 1976 est certainement la plus sûre contradiction au poncif météorologique qui colle à la péninsule armoricaine comme une bernique sur son rocher : « Il pleut tout le temps en Bretagne ! » Tout au long du printemps et de l’été, le baromètre est au beau fixe. Mais quand le beau temps amène la canicule, qui sur la longue durée se transforme en sécheresse, le soleil devient vite l’ennemi numéro un !

Saint-Cast. Carte postale. Collection particulière.

D’un point de vue météorologique, cette situation exceptionnelle se forge au cœur de l’hiver par l’action conjuguée de plusieurs anticyclones qui empêchent les précipitations venues de l’Atlantique d’atteindre l’Europe. Ainsi le bilan hydrologique accuse déjà un déficit d’environ 40% avant d’aborder la belle saison. Pourtant le 1er mars, on est encore loin de s’alarmer de la situation. Le quotidien brestois Le Télégramme se demande alors en une : « L’été de février survivra-t-il en mars ? »1 En effet, le dimanche précédent a été si clément que les Français ont eu l’impression de « passer brusquement de l’hiver à l’été ». Alors que l’hiver n’a pas encore officiellement tiré sa révérence, on se prend à espérer que cet « été précoce » permettra un passage en douceur à l’heure d’été, abandonnée jusque-là depuis 1945.

Au début du printemps, le ciel breton est vide de nuages. Les précipitations sont quasi nulles au mois d’avril. Et le mois de mai voit le début de la bataille de l’eau. Le 11 mai, Le Télégramme annonce les « premières mesures de restriction d’eau à Saint-Malo » pour faire face à la « sécheresse ». Dans un reportage télévisé du journal de 20 heures d’Antenne 2, le maire de Saint-Méloir-des-Ondes est catastrophé par le niveau extrêmement bas des réserves d’eau potable pour tout le bassin de Saint-Malo2. Il estime n’avoir que « trois mois de réserves » à condition de rationner, plus encore quand les touristes auront débarqué dans la cité corsaire.

En juin, la canicule est installée pour de bon. La situation météorologique fait désormais les gros titres de la presse. « Le temps sec devrait persister tout l’été déclarent des spécialistes de la météo » trouve-t-on en une de l’édition du 12 juin du quotidien brestois. La pénurie d’eau menace désormais la consommation électrique. Le 15 juin, EDF annonce qu’il « pourrait recourir aux coupures de courant », pour compenser une chute estimée de « 12 millions de kwh », si la sécheresse persiste tout au long de l’été. Les pouvoirs publics tentent de sensibiliser la population contre le gaspillage de l’eau, notamment avec « l’arrosage des jardins et le lavage des voitures ».

En Bretagne, les sols desséchés. Photographie de presse, 1976.

Mais c’est bien l’agriculture qui est en première ligne. Dès le début du mois de mai dans le sud-Finistère, les jeunes plants de maïs sont arrosés : « on n’avait jamais vu ça », s’inquiètent déjà les agriculteurs. Une irrigation qui n’a pour but que de limiter la baisse des rendements, face aux récoltes catastrophiques qui se profilent. Dans la deuxième moitié du mois de juin, les autorités politiques prennent le dossier à bras le corps. Le gouvernement de Jacques Chirac annonce des mesures d’indemnisations des éleveurs à hauteur de 146 millions de francs. Les fourrages deviennent une denrée rare et les exportations sont découragées par des taxes. Localement, la FDSEA du Finistère « va procéder à un recensement des besoins en fourrage » et, le 30 juin, l’armée est réquisitionnée pour l’approvisionnement. Les conséquences de la sécheresse sur l’agriculture française deviennent également un enjeu européen : les ministres de l’agriculture des « neuf » veulent éviter l’effondrement des cours de la viande bovine. A cause d’un déficit en pluie de 98% sur l’ensemble du mois, les incendies se multiplient et ravagent le Centre-Bretagne, notamment les landes de Lanvaux. De nombreuses fermes sont évacuées pour éviter d’être la proie des flammes. Au début du mois suivant, alors que Le Télégramme se demande si « Raymond Delisle peut gagner le Tour de France », dans les fermes bretonnes on s’attend à une baisse de 30% des récoltes de céréales. A la une des journaux bretons s’étalent les photos de champs quasiment désertiques. Face à la pénurie d’herbe, les bovins changent de régime… pour les bananes !

La fin du mois de juillet apparaît comme un répit dans la fournaise : une « invitée inattendue », la pluie, fait une brève apparition dans le ciel breton. De plus, les premières livraisons de paille arrivent dans les fermes bretonnes. Au début du mois d’août, avec la fin des récoltes, c’est l’heure des premiers bilans : « la FNSEA fait ses comptes, la sécheresse coûtera 10 milliards », même si de son côté le vitréen Pierre Méhaignerie, secrétaire d’Etat à l’agriculture, refuse de chiffrer la catastrophe économique qui frappe l’agriculture. Une position qui n’empêche pas le premier ministre Jacques Chirac d’annoncer rapidement des aides directes, ainsi que le prélèvement d’un impôt exceptionnel au nom de la « solidarité nationale » envers les paysans. Pour autant, la sécheresse n’est pas encore terminée. Les Monts d’Arrée sont ravagés par les flammes. Malgré l’intervention des Canadair le 16 août, 1 000 hectares sont détruits au Menez-Hom trois jours plus tard. Au bilan, fin août, on dénombre « 108 000 hectares de forêts déjà détruits cette année » en France, contre 25 000 hectares en moyenne par an normalement.

Pierre Méhaignerie, alorssecrétaire d’Etat à l’agriculture. Photographie de presse. Collection particulière.

Au final, cette sécheresse de 1976 demeure exceptionnelle par sa durée. A Morlaix, seuls 40 petits millimètres de pluie sont tombés en quatre mois, entre mai et août. C’est cette ampleur qui a frappé les mémoires contemporaines et nous oblige, encore aujourd’hui, a constamment venir y chercher des comparaisons, dès que le thermomètre grimpe et que la chaleur s’installe sur la péninsule armoricaine.

Thomas PERRONO

 

 

1 « 1976, un été de sécheresse », Le Télégramme, en ligne.

2 INA, « Sécheresse en Bretagne », Journal de 20h, Antenne 2, 8 mai 1976, en ligne.