27 juillet 1945 : le général De Gaulle en Bretagne

Les images sont connues et constituent une superbe confrontation de verticalités. L’homme du 18 juin, immense stature rectiligne, fait face aux immeubles détruits qui paraissent comme autant d’ambitions abrégées. 27 juillet 1945 : Charles De Gaulle est en Bretagne. Un reportage qui pour un bon nombre de Bretons rappelle la Libération, la fin d’un cauchemar long de cinq ans. Et pourtant les images, celles que l’on filme mais aussi, et peut-être même surtout, celles que nos cerveaux forgent, sont éminemment trompeuses. Henry Rousso l’explique d’ailleurs parfaitement dans un ouvrage devenu aujourd’hui un classique indispensable, la Libération est un « souvenir-écran »1.

Certes, les images ne mentent pas et ne peuvent masquer la réalité d’une Bretagne qui sort meurtrie, pour ne pas dire en certains endroits exsangue, de la guerre. Lorient et Saint-Nazaire en témoignent parfaitement, ces deux villes ayant été dévastées par les bombardements. On peut donc à juste titre considérer ces images comme étant l’une des premières dalles de l’immense chemin de reconstruction entamé par la Bretagne, route qui n’est d’ailleurs pas sans emprunter parfois certaines tournures originales.

Mais, plus important, il y a tout ce que nos représentations effacent de ce reportage, tout ce dont notre mémoire refuse de se souvenir. Et ici, ce ne sont pas les images qui nous ramènent à la réalité mais une partie du commentaire de ces actualités filmées. Celui-ci insiste notamment sur les problèmes constitutionnels que rencontre alors le pays, le futur premier Président de la Ve République refusant un retour à la IIIe et s’apprêtant ainsi à entamer sa traversée du désert suite à l’adoption de la IVe.

Deux ans plus tard, jour pour jour, le général de Gaulle revient à Rennes et, dans son discours, dénonce avec fermeté l’attitude du parti communiste qui s’oppose au Plan Marshall. On reconnait ici ce qu’Henry Rousso appelle avec une belle formule la « guerre franco-française froide »2. Or il est intéressant de remarquer que ce n’est pas en 1947 que celle-ci éclate. C’est dès 1945, avec le Gouvernement provisoire de la République française que préside le général de Gaulle, que débute cette dure lutte politique.

En nous ramenant immanquablement vers la période 39-45 et non vers les trois années, pourtant décisives, s’écoulant de 1945 à 1947, ce reportage prouve combien les images sont trompeuses et combien la Libération est un souvenir-écran. Quand bien même ces images furent projetées sur les écrans des actualités filmées.

Erwan LE GALL

1 ROUSSO, Henry, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 29 et suivantes.

2 Ibid., p. 42.