A propos du succès d’un spécialiste : Claude Evin et la santé

Mesurer le succès d’un homme politique, la réussite d’une carrière d’élu, n’est pas toujours chose aisée. Certes l’enchaînement des mandats et la succession des responsabilités est assurément un critère qu’il convient de prendre en compte. Durer, en politique comme en bien d’autres domaines du reste, est assurément la marque de celles et ceux qui réussissent. De ce point de vue, le parcours de Claude Evin est difficile à évaluer puisque sa carrière d’élu s’arrête assez brusquement, après une série de revers électoraux, dans les années 1990. Faut-il pour autant y voir la rançon du succès ? Ce Breton a en effet réussi ce peu de responsables politiques sont parvenus à faire : imposer leur nom dans le vocabulaire courant.

Profession de foi de Claude Evin pour les élections législatives de juin 1981. Archives du Centre de recherches politiques de Sciences Po.

A l’aube des années 1980, Claude Evin a tout de ces jeunes militants socialistes promis à un brillant avenir, notamment à la faveur de la grande vague rose des municipales de 1977 puis de l’accession de François Mitterrand à l’Elysée. Né sur les bords de la Loire, non loin d’Ancenis, le 29 juin 1949, rien ne le prédestine aux ors de la République. Fils d’un cheminot et d’une femme de ménage, il devient éducateur spécialisé et se syndique à la CFDT. Rétrospectivement, il est facile – trop facile ? – de voir là les racines d’un engagement politique durable en faveur des affaires sociales et, plus encore, de la santé. Toujours est-il qu’ancien élève du petit séminaire, il s’encarte au PSU et se révèle ainsi compter parmi ces « cathos de gauche » dont le poids électoral est si important en Bretagne.

Les succès viennent immédiatement, preuve certaine d’un véritable talent politique. Alors qu’il n’est même pas âgé de 30 ans, Claude Evin dirige la fédération socialiste de Loire-Atlantique, est adjoint au maire à Saint-Nazaire – véritable bastion socialiste – et est le plus jeune député de l’Assemblée nationale. Là, il ne tarde pas à se démarquer et à glaner la présidence de la prestigieuse commission des affaires sociales, signe d’une certaine continuité de son engagement. Un tel profil ne peut bien entendu pas échapper à François Mitterrand parvenu au pouvoir en 1981 et voici le sémillant breton cumuler les fonctions : porte-parole du gouvernement et surtout ministre des affaires sociales et de la santé dans le gouvernement de Michel Rocard entre 1988 et 1991.

Là est assurément l’acmé de sa carrière. Claude Evin est en effet l’auteur de la loi qui porte son nom, texte  relatif à la  lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme. Certes, il s’agit là d’une intention politique qui n’est pas totalement nouvelle mais les initiatives en la matière sont toujours délicates compte tenu du poids de l’économie viticole en France, sans compter celui des fabricants de cigarettes1. Désormais, qu’il s’agisse de spiritueux ou de vin, boisson longtemps considérée comme aliment, il sera indiqué que ce produit « doit être consommé avec modération, l’abus d’alcool étant dangereux pour la santé ». En ce qui concerne le tabac, les mesures sont encore plus drastiques. Non seulement il est désormais interdit de fumer dans les espaces publics mais toute publicité pour les cigarettes est interdite, ce qui n’est pas sans conséquences. Tant la presse que les grands évènements sportifs perdent ainsi une source importante de revenus… et le nom de Claude Evin devient connu de toutes et tous.

En 1989, avec l'artiste Line Renaud lors d'un gala caritatif pour la lutte contre le SIDA. Photographie de presse.

Paradoxalement, ce vrai succès politique marque le début de sa chute. Remercié du gouvernement, il perd son siège de député en 1993. Faut-il y voir seulement l’effet de la large victoire de la droite, y compris dans certains bastions socialistes, ou peut-on y déceler une conséquence indirecte de la loi qui porte son nom, texte pas nécessairement populaire chez les consommateurs d’alcool et de cigarettes. La question reste posée. Même si Claude Evin retrouve son siège de député en 2002, il décide de ne pas se représenter en 2007, législatives là aussi remportées par la droite. Mais là n’est pas la fin  de sa carrière. Claude Evin poursuit en effet son engagement au service de la santé et des affaires sociales en occupant notamment plusieurs postes importants à la tête d’administrations en charge de ces questions. Un parcours constant mais néanmoins atypique puisqu’en général ce sont les haut-fonctionnaires qui se lancent en politique, et pas l’inverse.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

1 Sur la question on pourra se rapporter aux deux premiers chapitres de RIDEL, Charles, L’Ivresse du soldat, Paris, Vendémiaire, 2016.