Un nouvel objet d’histoire : les élections municipales de 1977

Passionnant colloque que celui tenu les 16 et 17 mars 2017 à La Roche-sur-Yon sur les élections municipales de 1977. Organisée par Matthieu Boisdron et Michel Catala, cette manifestation s’est attaché à un objet historiographique très neuf et accouchera d’un volume d’actes qui, gageons-le, fera date. Quarante ans après ce scrutin ayant porté une « vague rose » à la tête de nombreuses villes de l’Ouest (Rennes, Nantes, La Roche-sur-Yon), il était en effet temps de se pencher sur une élection qui à bien des égards, s’apparente à un basculement d’autant plus remarquable qu’il est durable.

Lors d'une réunion publique aux Lices, à Rennes, Michel Rocard et Edmond Hervé (au premier plan), le 24 février 1977 (détail). Archives Jean-Michel Boucheron.

Le rapport de cet évènement au temps est d’ailleurs essentiel puisqu’avec ce colloque, les municipales de 1977 basculent durablement dans le volet de l’histoire. Vieillissement oblige des militants, les mémoires, certes, s’amenuisent mais demeurent vives. C’est là d’ailleurs un des grands mérites des organisateurs que d’avoir réuni un plateau de grande qualité mêlant chercheurs de très haut niveau (Christian Bougeard, Jean Vigreux, Bernard Lachaise, Laurent Jalabert…) et éminents témoins. Animée par Thierry Guidet, auteur d’une excellente Rose et le granit portant précisément sur ce scrutin1, la séance d’échanges entre d’une part le spécialiste des droites Gilles Richard2 et, d’autre part, Edmond Hervé (qui remporte la mairie de Rennes en 1977) et Jacques Auxiette (qui lui s’impose à La Roche-sur-Yon) a bien montré le décalage entre le discours des acteurs devenus témoins et les analyses historiennes. Ce sont là les charmes de l’histoire du temps présent…

Edmond Hervé et Jacques Auxiette sont d’ailleurs des témoins d’autant plus passionnants à écouter qu’il s’agit de deux figures éminentes de cette génération d’élus qui arrivent au pouvoir en 1977 (Francis Le Blé à Brest, Pierre Jagoret à Lannion, Alain Chénard à Nantes) et qui, pour certains d’entre eux, l’exercent encore aujourd’hui (Jean-Marc Ayrault, maire de Saint-Herblain en 1977). Si ces élections sont aussi importantes, c’est aussi parce qu’elles portent un important renouvellement du personnel politique, dans des proportions pas vues en Bretagne depuis la Libération selon Christian Bougeard. C’est aussi l’émergence d’un nouveau modèle d’élu local, éloigné du notable anciennement implanté puisqu’Edmond Hervé et Jean-Marc Ayrault ont la particularité de s’imposer en des communes où ils ne sont pas nés.

Lors d'une réunion publique aux Lices, à Rennes, François Mitterrand et Edmond Hervé, le 5 mars 1977 (détail). Archives Jean-Michel Boucheron.

Ces changements ne sont bien entendu pas le fruit du hasard mais résultent pour de très larges parts de modifications culturelles et sociologiques au sein du corps électoral. En Bretagne, le phénomène de métropolisation est d’autant plus important que les socialistes s’emparent de la question urbaine, l’érigeant en point central du discours, au même titre que le travail. Dans une communication lumineuse, Thibault Tellier montre comment les socialistes d’alors voient dans les excès de l’urbanisation une illustration des excès du capitalisme. A Rennes, cette réflexion est parfaitement bien illustrée par le rôle tenu, au sein de la liste conduite par Edmond Hervé, par le géographe Michel Phlipponneau. C’est d’ailleurs ce qui conduit François Prigent à parler de « métropolisation du PS ».

Souvent reléguées à des questions aussi triviales – et donc désidéologisées – que les caniveaux ou les nids de poules, les municipales portent donc en elles une réelle part de politique. Cela est d’autant plus vrai pour celles de 1977 que ce scrutin se révèle être  au cœur de l’articulation du local et du national. Nombreux sont en effet les intervenants à avoir souligné, dans le sillage de Rémi Lefevre, combien les acteurs et les commentateurs de l’époque accordent à ces municipales de 1977 une portée nationale, nombre d’auteurs en faisant d’ailleurs la première étape de la victoire de François Mitterrand aux présidentielles en 1981. Certes, cette idée doit être nuancée puisque les cantonales de 1976 constituent un important précédent. De plus, Gilles Richard rappelle bien que cette nationalisation d’un scrutin local n’est pas inédite même si, assurément, elle est plus importante qu’auparavant. Pour autant, il n’en demeure pas moins que le moment 1977 est celui d’une recomposition essentielle à gauche, le parti socialiste prenant définitivement le pas sur le parti communiste.

Les conseillers municipaux de la liste Hervé, au Thabor, à Rennes. Archives Jean-Michel Boucheron.

Il est bien entendu très difficile, pour ne pas dire impossible, de synthétiser en quelques lignes deux jours d’aussi riches et denses communications. Particulièrement stimulant, ce colloque a alterné analyses globales et enquêtes de cas, multipliant les angles et décentrant à foison les regards. C’est dire l’impatience avec laquelle nous attendons la publication des actes de cette manifestation, volume dont bien entendu nous ne manquerons pas de vous reparler.

Erwan LE GALL

 

 

1 GUIDET, Thierry, La Rose et le granit. Le socialisme dans les villes de l’Ouest, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 2014.

2 Signalons à ce propos la grande synthèse sur les droites en France qu’il vient de sortir : RICHARD, Gilles, Histoire des droites en France de 1815 à nos jours, Paris, Perrin, 2017.