Baron et barbouze : Raymond Marcellin

S’il est une figure complexe de l’histoire politique bretonne de la seconde moitié du XXe siècle, c’est bien celle de Raymond Marcellin. Quoique né dans la Marne, à Sézanne, quelques jours seulement avant la Première bataille de la Marne, c’est en effet en Morbihan que s’enracine dès 1946 sa carrière politique, devenant rapidement l’une des figures les plus importantes de la droite bretonne.

Raymond Marcellin, au centre, en juin 1965: alors ministre de la Santé publique et de la population, il préside à la Maison de la Chimie, il préside le 20e anniversaire de l’Union nationale des associations familiales. Crédits: UNAF.

Mais cette esquisse ne serait pas complète sans quelques zones d’ombres et un détour par Paris, où il monte pour devenir avocat au barreau à la fin des années 1930, et surtout par Vichy, où il descend après s’être évadé du camp de prisonniers où, comme tant d’autres, le mène la Campagne de France. Là, secrétaire-général de l'Institut d'études corporatives et sociales, il est notamment chargé de « diffuser les idées sociales de la Révolution nationale par l'illustration de la doctrine corporative du maréchal dans les milieux professionnels et les organisations de jeunesse ». S’acquittant visiblement bien de sa tâche, il est décoré de la Francisque, médaille crée par Vichy et servant à distinguer les mérites d’un certain nombre de dignitaires du régime.

Parmi les titulaires de la Francisque figure, outre François Mitterrand, Georges Loustaunau-Lacau. Saint-Cyrien, breveté de l’Ecole de guerre dans la même promotion que celle de Charles de Gaulle avant de servir au sein de l’état-major du maréchal Pétain jusqu’en 1938, il est un homme dont les sensibilités sont très clairement marquées à droite mais qui, à Vichy, fonde ce qui deviendra le réseau de Résistance Alliance. Or c’est précisément au sein de cette organisation qu’émarge Raymond Marcellin, endossant le rôle nébuleux de « Vichysso—Résistant » puis, à la Libération, de Résistant.

En effet, parachuté dans le Morbihan, il parvient à se faire élire en 1946 sous l’égide de « l’Union gaulliste pour la IVe République », étiquette qu’il abandonne bien vite pour celle, sans doute moins contraignante, des Indépendants. C’est le début d’un immense mandat parlementaire qui dure près de cinquante ans et le voit devenir cinq fois ministre sous la IVe République, puis onze fois sous la Ve ! Car c’est en effet, nouveau louvoiement, à l’appel du général de Gaulle que Raymond Marcellin devient ministre de l’Intérieur… le 31 mai 1968, après les évènements que l’on sait. Place Beauvau, il se caractérise par une chasse sans faille des mouvements gauchistes, répondant à un anticommunisme viscéral qui reste assurément le marqueur le plus intemporel de sa longue vie politique. Prolongé dans son portefeuille par Georges Pompidou, Raymond Marcellin occupe pendant six ans le ministère de l’Intérieur, un record sous la Ve République. S’il s’y forge une réputation de « dur », incarnant le retour à l’ordre après Mai 68 et initiant les premières mesures de durcissement de la politique française d’immigration, il est également à l’origine d’un certain nombre de bavures peu reluisantes, comme lors de l’affaire dite « des plombiers », en référence au déguisement de ces agents de la Direction de la surveillance du territoire pris en train de poser des micros dans les locaux… du Canard enchaîné.

Mais ces déboires, tout comme un emploi du temps parisien particulièrement chargé, ne l’empêchent pas de mener parallèlement une solide carrière politique en Bretagne, érigeant le Morbihan en véritable fief électoral. Simple Conseiller général de Sarzeau en 1953, il préside l’assemblée départementale de 1964 à 1998, succédant à Paul Ihuel, et le Conseil régional de Bretagne de 1978 à 1986, tout en étant maire de Vannes de 1965 à 1977 ! Gérant ses mandats locaux à distance, de Paris, il n’en demeure pas moins une figure marquante de la vie politique bretonne de la seconde moitié du XXe siècle, tant par son parcours remarquable que par ses zones d’ombres.

Erwan LE GALL