Paul Ihuel, ce « Breton qui valait bien un Juif »

« Un juif vaut bien un Breton ». Cette formule, bien célèbre de l'entre-deux-guerres, est prononcée en pleine séance de l'Assemblée nationale par le ministre de l'Intérieur Marx Dormoy à l'encontre de Paul Ihuel, alors jeune député du Morbihan en 1938. C'est probablement le seul moment de visibilité médiatique nationale de cet homme politique breton de premier plan, mais resté très largement méconnu.

Paul Ihuel naît le 2 novembre 1903 à Pontivy. Il se consacre très rapidement à la politique. Maire de Berné, conseiller général  du canton du Faouët, il est élu député en 1936 en défendant un programme de « défense économique et paysanne ». Il n'a que 33 ans lorsqu'il découvre les bancs du Palais Bourbon. S'il ne s'inscrit officiellement à aucun groupe parlementaire, il se positionne clairement dans l'opposition au Front Populaire. Mais la discrétion de Paul Ihuel ne résiste pas à cette fameuse séance du 5 avril 1938.

Médaille offerte par le député Paul Ihuel (verso). Collection particulière.

En début d'après-midi, le député de la Sarthe Jean Montigny prend la parole. Ce dernier est rapidement chahuté en étant qualifié de « saxon ». Son homologue du Doubs, Louis Biétrix, rétorque alors tout haut « Lui au moins porte un nom bien Français », en faisant référence à Léon Blum1. La formule fait mouche auprès de nombreux députés de l'opposition qui scandent alors « A bas les Juifs ». Excédé, Marx Dormoy crie dans l’hémicycle en désignant un Paul Ihuel particulièrement actif : « Bande de salauds. Et d’abord un Juif vaut bien un Breton !». Loin de jeter un froid, la critique du ministre enflamme l'Assemblée. Les insultes antisémites s'intensifient tout comme les demandes de démission à l’encontre du gouvernement. Edouard Herriot décide de suspendre la séance mais rien n'y fait. Des députés scandent « La France aux Français ! » alors que d'autres, tels Charles Lussy et Paul Ihuel, en viennent en mains.

            Dès le lendemain, la presse relate l'incident. Certains journalistes déplorent la division des dirigeants alors que planent de sombres menaces sur l'Europe. D'autres profitent de l’événement pour renforcer la ligne antisémite de leur publication. C'est le cas de l'Action française qui titre en forme de réponse : « Il y a au moins cette différence qu'en France un Breton est chez lui. Le Juif n'est qu'une sangsue de la Mer Morte »2. Dans la foulée, le quotidien organise une campagne de publicité à l'encontre du Front Populaire : « Français le Front populaire vous insulte ».

Affiche antisémite de l'Action française (Détail). Histoire par l'image / BDIC.

Bien malgré lui, Paul Ihuel s'est retrouvé au cœur de l'actualité nationale. Le reste de son parcours semble plus calme. En 1939, bien que réformé, il décide de prendre l'uniforme. Prisonnier lors de la campagne de France, il ne peut assister au vote du 10 juillet 1940 à Vichy. On peut alors se demander à quel point la captivité lui permet de ne pas se compromettre politiquement. C'est en effet peut-être là, la raison de sa longévité électorale. Dès 1945, il redevient député et conseiller général du canton du Faouët. Puis il cumule de nombreuses autres fonctions : maire de Berné, président du Conseil général du Morbihan... Il devient également Secrétaire d'Etat à l'agriculture dans le gouvernement de Georges Bidault du 29 octobre 1949 au 2 juillet 1950. Enfin, il joue un rôle essentiel dans la fondation du Comité d'Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons. Décédé brutalement le 22 octobre 1974 à l'âge de 71 ans, Paul Ihuel laisse derrière lui une carrière politique de plus de 40 ans. Si l'homme reste peu connu, plusieurs plaques de rues portent son nom, à Pontivy, Berné, Vannes ou encore Plouay.

Yves-Marie EVANNO

 

1 « Un incident entre MM. Dormoy et Ihuel », L'Ouest-Eclair, 6 avril 1938, n°15123, p. 2.

2 L'Action française, 6 avril 1938, 31e année, n° 96, p. 1.