Jacques Prévert face à « Brest dont il ne reste rien »
« J’aime Brest », c’est par ces mots que Jacques Prévert déclare son amour à la cité du Ponant sur l’antenne de l’ORTF, le 25 juillet 1964.1 Lui qui se revendique « un peu Breton », puisqu’il est « moitié Breton de Paris, moitié Auvergnat de Paris », revient sur le déchirement qu’il a ressenti face à la destruction de la ville engendrée par les bombardements aériens de la Seconde Guerre mondiale.
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Jacques Prévert. Carte postale à partir d'une photographie de Robert Doisneau. Collection particulière. |
L’attachement de Prévert à Brest est ancien et remonte à bien avant la guerre : « souvent, j'allais dans le Finistère avec le peintre [Yves] Tanguy […] Il avait une petite maison à Locronan. » Le poète est même littéralement tombé amoureux du département et de son grand port :
« C'est le Finistère que je trouve le plus beau pays. Expliquer pourquoi serait très long, mais Brest, c'est une ville toute particulière, Brest. Pas seulement parce qu'on allait prendre le bateau pour aller à Ouessant, mais Brest, c'était Brest ! »
Brest, une ville martyrisée par des bombardements aériens qui ne laissent debout à peine plus de 200 immeubles à la libération de la ville, le 20 septembre 1944. Prévert résume la situation avec lyrisme : « la guerre abîme les villes, les tord, les brûle ». Il compare le sort de Brest à ceux d’Hong-Kong, Hambourg, ou Dresde. D’ailleurs, il retourne à Brest « le plus vite possible avec des amis » pour constater les ravages de la guerre : « je me rappelle surtout de la rue de Siam, il y avait une voiture accrochée au quatrième étage et partout c'était épouvantable ». C’est alors qu’il écrit l’un de ses plus fameux poèmes : Barbara. Publié en 1946 dans le recueil Paroles, c’est un véritable manifeste pacifiste qui dénonce les conséquences matérielles et humaines des guerres :
« […]Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n’est plus pareil et tout est abîmé
C’est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n’est même plus l’orage
De fer d’acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l’eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien. »2
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La rue de Siam, reconstruite. Carte postale du début des années 1960. Collection particulière. |
Pourtant lors de son retour à Brest, Prévert constate également le retour à la vie : « il y avait une fête foraine déjà qui reprenait ». Il était également possible de se rendre à nouveau à Ouessant grâce à « un autre bateau, un thonier », venu remplacer l’Enez Eussa, « le bateau d'Ouessant […] endommagé par la dernière conflagration mondiale ». La vie nouvelle à Brest c’est aussi la reconstruction. « Il n'y a pas longtemps je suis allé à Brest, c'était cet hiver, c'était en février, je dois dire que la ville a beaucoup changé. » Las, le Brest d’après-guerre semble avoir perdu son charme aux yeux du poète… L’urbanisme moderne de Jean-Baptiste Mathon n’est pas à son goût : « la rue de Siam qui était une rue chaude, dans tous les sens du terme, est un grand boulevard glacé, c'est désagréable ». Des critiques urbanistiques qui touchent Brest dans ce cas, mais qui se répètent pour chaque ville reconstruite après guerre : Saint-Nazaire, Lorient, Le Havre… à l’exception notable de Saint-Malo.
Thomas PERRONO
1 INA – L’Ouest en mémoire. « Jacques Prévert et Brest », Connaissances de l’Ouest, ORTF, 25/07/1964, en ligne.
2 Extrait de PREVERT Jacques, « Barbara », in Paroles, Paris, Le Point du jour, 1946. |