L’inauguration d’Alma city : les années 1990, âge d’or des centres commerciaux ?

Emblème de la société de consommation et de l’urbanisation galopante, le centre commercial est un miroir socioéconomique de la France qui se construit depuis la fin des trente glorieuses. A l’instar du Centre Alma qui est inauguré en 1971 dans les nouveaux quartiers sud de Rennes, il peut également être un reflet politique de son époque. Il en est ainsi en 1979, lorsque les grèves, qui touchent l’hypermarché rennais, témoignent du bouillonnement des mouvements féministes. Alors, quand «  le centre commercial Alma, troisième par sa fréquentation au niveau national, vient de faire peau neuve à la veille de son vingtième anniversaire »1, on peut s’interroger sur ce que cette nouvelle mue raconte des années 1990. Ne serait-on pas dans l’âge d’or des centres commerciaux ?

Dans les allées du Centre Alma. Carte postale. Collection particulière.

3 septembre 1990, inauguration d’une « tour vitrée de 9 étages, […] par les personnalités de la région rennaise ». C'est « la tour Alma city qui, 19 ans [après les premiers travaux], marque l'achèvement de l'ensemble ». Un building de 40 mètres de haut, avec une façade de verre et des ascenseurs panoramiques qui « surplombent la ville et la campagne ». Alma city devient ainsi, à l’échelle de Rennes, le symbole d’une ville moderne en voie de métropolisation, qui attire toujours plus de monde et de capitaux. Symbole aussi d’une ville qui s’étale de plus en plus sur sa périphérie : « pour […] ceux des banlieues, ceux des boulot là-bas, dodo ici, il fallait inventer ça [les centre commerciaux] ».

Pour le journaliste de FR3 qui commente l’inauguration, le nouveau centre Alma entérine également « la fin d'une certaine forme de commerce […] : 90, c'est la fin de la droguerie mercerie, du Bonjour m'ame Babouin ! Vos enfants vont-ils bien ? » Changement culturel, dans lequel le consommateur préfère avoir l’embarras du choix dans les enseignes et les produits de consommation, plutôt que la relation interpersonnelle avec un commerçant de quartier : désormais « le client doit choisir tout seul, guidé, conseillé par des vendeuses diplômées ».

Le reportage, qui prend la tournure d’un billet d’humeur sur l’évolution du commerce, regrette l’américanisation de la société :

« Demain, c'est l'Europe, se plaisent à répéter les personnalités qui veulent être responsables de tous les avenirs. Alors, pourquoi continuer à copier le géant américain ? […] Un bon Américain aurait sûrement exporté nos bistrots et nos galettes saucisses. Mais sans y prendre garde, le Breton d'Europe se prend le big-mac du cousin Donald en pleine poire. »

Et il faut dire que dans sa nouvelle configuration, le centre Alma n’a plus grand-chose à envier aux malls de l’Oncle Sam.

Dans les allées du Centre Alma. Carte postale. Collection particulière.

Consécration de la société de consommation basée sur le modèle américain, expression de la métropolisation rennaise, fin de l’épicerie de quartier : pour toutes ces raisons – au minimum – Alma city témoigne de l’âge d’or des centres commerciaux dans la France des années 1990. Il faut attendre à nouveau 20 ans pour voir le centre Alma faire sa nouvelle mue, avec la création de plus de 10 000m² de surfaces commerciales supplémentaires. Pourtant, l’époque a changé. Au début du XXIe siècle, l’âge d’or a pali. Bien qu’il pèse encore pour un quart dans le chiffre d’affaire total du commerce de détail, le centre commercial cherche un nouveau souffle. Les critiques dénoncent son modèle économique pas très écolo compatible tandis qu’émergent de nouvelles concurrences : le retour du petit commerce de quartier et surtout la montée en puissance des nouvelles manières de consommer « en ligne ».

Thomas PERRONO

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Billet d'humeur sur l'évolution du commerce », FR3 Rennes soir, 04 septembre 1990, en ligne.