La construction de la « voie express » bretonne en 1974

Le 9 octobre 1968, le gouvernement français concrétise l’une des principales revendications du Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB) en lançant le « plan routier breton », avec pour objectif de désenclaver la péninsule armoricaine. Six ans plus tard, le 15 juin 19741, l’émission télévisée en langue bretonne Breiz o veva fait le point sur l’avancée de ces grands travaux d’infrastructures qui vont doter la Bretagne d’un « réseau routier moderne gratuit à quatre voies avec terre-plein central ». Rien à voir donc en ce qui concerne la gratuité avec une prétendue faveur accordée depuis Anne de Bretagne en contrepartie de son mariage…

Sur la route entre Lorient et Rennes. Cliché Alain Amet. Musée de Bretagne:  99.4561.D.

Dans cette émission diffusée en 1974, une carte interactive montre le tracé des futures voies express : la RN 12 au nord, de Brest à Rennes, en passant par Morlaix et Guingamp ; et la RN 165 au sud, en direction de Nantes, en passant par Châteaulin, Quimper, Quimperlé, Lorient, Vannes. A ces deux voies express qui forment une ceinture routière littorale, une troisième est prévue au départ de Châteaulin en direction de Rennes. Un chantier devenu un serpent de mer au fil des décennies et qui, à l’heure où sont écrites ces lignes, n’est toujours pas achevé… Toujours est-il que sur les 1 200 kilomètres de ce plan routier, 200 kilomètres sont prévus rien que dans le Finistère pour un coût de « quatre cents millions de nouveaux francs ».

La conception même de la voie express bretonne est une démonstration de modernité, du haut degré de technologie employé dans le génie civil. En effet, ces routes

« ont été dessinées par un ordinateur à Paris. Ainsi on voit tout de suite, avant de commencer le travail sur le terrain à quoi ressemblera la route aux yeux des automobilistes. »

Une telle entreprise mobilise l’ensemble des échelons territoriaux, de l’Etat à la commune : « Employés de l’équipement, conseillers départementaux et municipaux ont étudié ensemble comment dessiner des double-voies ». De ce travail « rigoureux », naissent notamment de complexes nœuds routiers, ponts et viaducs que des images aériennes nous montrent en construction. Toutefois dans ces premières années, les 2x2 voies sont loin d’être aussi sécurisées que de nos jours. En témoigne ce tracteur qui traverse de part en part la voie express !

Les Bretons les plus ravis par la construction de ces nouvelles routes sont sans conteste les routiers. « C’est plus facile, il y a moins de secousses ! On va bien plus vite ». « C’est plus facile de doubler les voitures qui avancent moins vite (sic) ! » Les transporteurs se montrent même impatients de voir le chantier terminé :

« Ca serait plus facile s’il y en avait plus. Il n’y en a pas encore assez ». « Puisque c’est plus facile de rouler, autant en faire plus. »

Du côté de la population résidant à proximité de la nouvelle voie express, l’opinion est plus mitigée :

« Quand ils sont venus faire le tracé, ils n’ont pas été très long. Mais c’est pendant les travaux qu’on est le plus embêté […] Le pays est tout chamboulé […] Ici c’est pire, ils passent en plein milieu. »

A la sortie de Rennes, en direction de Saint-Brieuc, 21 mars 1975. Musée de Bretagne:  975.0069.3.

Les questions environnementales ne sont manifestement pas encore à l’ordre du jour même si certains regrettent la destruction du paysage :

« Si vous aviez vu la beauté de ce paysage, il y a quatre mois. Il a été détruit depuis […] La terre et les roches sont à nu. Il n’y a plus d’arbres. Je pense qu’il aurait été préférable de chercher un endroit moins beau. »

Néanmoins, aucune « ZAD » à l’horizon pour empêcher que cette grande infrastructure soit construite. Bien que l’environnement soit « entré au gouvernement » trois ans plus tôt avec Robert Poujade, en 1974, le règne de la voiture est sans partage. Même l’opposant le plus farouche interrogé dans le reportage le reconnaît :

« Il faut construire de nouvelles routes, c’est certain. Il le faut avec toutes les voitures qu’il y a de nos jours. »

Thomas PERRONO

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « An henchoù e Breizh [Les voies express en Bretagne] », Breiz o veva, ORTF, 15/06/1974, en ligne. Pour les citations nous utilisons la traduction en français fournie par la plateforme vidéo L’Ouest en Bretagne.