La duchesse des Bretons de Paris
Marianne pour la France, Germania pour l’Allemagne et Britannia pour le Royaume-Uni font parties de ces allégories féminines qui symbolisent une Nation. A l’échelle d’une communauté, ce symbole féminin s’incarne souvent par l’élection d’une miss, d’une reine, ou bien dans le cas des Bretons de Paris, d’une « duchesse ».
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Yvette Vigouroux, « duchesse des Bretons de Paris » élue en 1953. Carte postale (détail). Collection particulière. |
Dans l’entre-deux-guerres, la Fédération des Bretons de Paris est l’une des plus puissantes associations qui structurent la communauté bretonne en région parisienne. Deux ans, après le lancement du journal La Bretagne à Paris, Louis Beaufrère crée en 1925 l’élection d’une « duchesse des Bretons de Paris ». La jeune femme élue à la majorité des associations fédérées, au cours d’une soirée dansante au cœur du quartier de Montparnasse, devient « l’ambassadrice » de la communauté pendant un an. La première « duchesse » s’appelle ainsi Yvonne Penanhoat et est originaire de Guingamp (22).1 Cette élection se déroule sans interruption jusqu’en 1938. La Seconde Guerre mondiale suspend alors l’élection. Mais dès 1946, Jeannine Guiblin, originaire de Guer (56), devient la première « duchesse des Bretons de Paris » de l’après-guerre. La rapidité de ce redémarrage du concours pourrait d’ailleurs être vue comme un moyen de présenter un visage plus attrayant des Bretons de Paris, par rapport à celui d’une partie du deuxième Emsav (mouvement breton) qui s’est corrompue dans la collaboration avec le régime nazi. On pense notamment à Olier Mordrel, qui avait débuté sa carrière d’activiste politique à Paris avec la fondation du mouvement Breiz Atao.
La « duchesse des Bretons de Paris » connaît son âge d’or lors des décennies 1950 et 1960, notamment grâce à la célébration en grande pompe du Pardon de la Saint-Yves chaque 19 mai. Cette grande fête populaire – en plus d’être religieuse – rassemble alors une grande partie de la diaspora bretonne. Même en 1968, alors que la plage commence à apparaître sous les pavés parisiens, près de 15.000 Bretons de Paris défilent dans une capitale vide.2 La « duchesse », montée sur un cheval blanc, guide ses compatriotes depuis les Arènes de Lutèce – lieu traditionnel du rassemblement – jusqu’à la cathédrale Notre-Dame où se déroule la messe en l’honneur du saint-patron de la Bretagne. Certains verront peut-être dans cette histoire le reflet d’une Bretagne traditionnaliste et arriérée, au moment où une partie de la jeunesse française crie dans la France gaullienne son rejet d’une société jugée conservatrice.
Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la frange socialiste et communiste de la diaspora bretonne à Paris respecte peu ou prou ces mêmes traditions de l’élection d’une « reine » lors d’un pardon (sic). L’arrivée au pouvoir du Front populaire en 1936 voit l’apogée de ce Pardon des Bretons de Saint-Denis qui se déroule alors à la Courneuve en présence de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les Bretons émancipés de Tanguy Prigent et de Marcel Cachin, puis après la Seconde Guerre mondiale, l’Union des sociétés bretonnes d’Ile-de-France (USBIF) continuent à faire de cet événement un moment important dans la vie de la diaspora bretonne en région parisienne. Ces « pardons communistes » voient également l’élection d’une « reine des Bretons de Saint-Denis ». Les jeunes filles, dans leurs costumes traditionnelles, deviennent à cette occasion les symboles de l’alliance de la petite patrie avec la grande, que souhaitent incarnés ces Bretons de Paris ancrés politiquement à gauche.
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Procession de la « duchesse de Bretagne » lors de la fête des Bretons de Paris en 1930. Carte postale. Collection particulière. |
A travers ces deux exemples de « duchesse » et de « reine » des Bretons de Paris, on remarque, qu’au-delà des convictions politiques et religieuses, l’importance de la symbolique de la jeune fille ambassadrice de sa communauté. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la Fédération des Bretons de Paris ait pris la figure d’Anne de Bretagne, « duchesse en sabot », mais surtout bretonne « hors de Bretagne » de par sa qualité de reine de France. La jeune fille élue est alors un porte-étendard qui fédère la communauté, mais est également une ambassadrice de la diaspora parisienne sur les terres de Bretagne. D’ailleurs, dès 1926, c’est la « duchesse des Bretons de Paris » qui couronne la « reine de Cornouaille » lors des Fêtes de Cornouaille qui se déroulent à Quimper. Nadine Colin, originaire de Beuzec-Conq (29), la dernière « duchesse des Bretons de Paris » en 1975 ne dit pas autre chose sur sa mission : « Si j’ai accepté, en 1975, d’être l’ambassadrice des Bretons de Paris […] c’est aussi pour faire connaître à ceux de Bretagne toutes les actions menées par leurs compatriotes dans la capitale. Je voulais, à mon niveau, faire reconnaître cette communauté de gens partis loin de chez eux pour chercher du travail mais qui a su s’organiser, conserver son identité et faire preuve d’une grande solidarité ».3 Celle qui porte alors une réplique du costume de la duchesse Anne, et est donc « plus Bretonne que les Bretonnes », se sent pourtant « un peu rejetée en retournant dans [son] pays ». Sentiment cruel pour elle, qui n’a pourtant vécu à Paris que de 1973 à 1976 ! C’est peut être ça être une Bretonne de Paris : ne pas être complètement une Parisienne, mais ne plus être seulement une Bretonne…
Thomas PERRONO
1 CALVE Armel, Histoire des Bretons de Paris, Spézet, Coop Breizh, 1994, p. 167.
2 VIOLAIN Didier, Bretons de Paris. Des exilés en capitale, Paris, Les Beaux Jours, 2009, p. 102-103.
3 Ibid., p. 145. |