La faïence de Quimper

A une époque – les années 1960 – où l’avenir industriel de la Bretagne semble s’incarner dans le nucléaire, on peut légitimement se demander si des industries traditionnelles comme la production de faïence à Quimper n’apparaissent pas dorénavant comme désuètes.

Carte postale. Collection particulière.

Il faut dire que l’histoire entre la capitale de la Cornouaille et la faïence est très ancienne, puisque la première faïencerie s’y installe à la fin du XVIIe siècle dans le quartier de Locmaria. Pourtant cet art est loin d’être une tradition régionale et son développement à Quimper doit alors beaucoup aux influences extérieures, tant d’un point de vue artistique avec les écoles de Rouen et de Nevers ; que d’un point de vue entrepreneurial puisque le premier fabriquant de faïence quimpérois, Jean-Baptiste Bousquet, est originaire du Midi, tout comme Henriot est venu de Franche-Comté dans les années 1770.

Depuis ces débuts, un reportage télévisé de l’ORTF, daté du 2 mars 1967, nous montre que les techniques de fabrication n’ont que peu évoluées. Si pour les best-sellers, comme les bols à oreilles, il existe une machine qui moule toute seule l’objet ; pour le reste, la fabrication de la faïence est restée avant tout exclusivement manuelle : du moulage, jusqu’au coulage, en passant par le calibrage et le tournage. D’ailleurs, un tourneur qui travaille depuis 45 ans chez Henriot nous explique que la seule évolution qu’il a vécu dans son travail, c’est l’électrification de son tour de potier. Une fois la pâte d’argile travaillée et séchée, elle est cuite « pendant onze heures trente à 1025 degrés ». Les biscuits obtenus sont ensuite « immergés dans un bain d’émail ». Vient alors l’étape crucial de la peinture à la main, avant que les pièces ne soient remises « au four pour une deuxième et dernière cuisson, celle-ci à 900 degrés ». Tout ceci représente, d’après les employés de la faïencerie, plus un travail d’artisans, que d’artistes.

Pourtant la faïence de Quimper possède bien un style artistique propre. C’est au cours du XIXe siècle que le « genre breton » prend corps autour de la représentation de scènes de vie paysanne. A ce propos, le journaliste de l’ORTF nous présente l’une des plus anciennes pièces conservées au musée Henriot. Il s’agit « d’un plat représentant des mendiants demandant la charité un soir de Noël », qui a été créé à l’occasion de « l’exposition universelle de 1870. » Le folklore breton devient une source importante d’inspiration, « sur des plats, sur des assiettes, des vases, c’était toute la vie régionale qui apparaissait : scène familiale, groupe dansant, conteur. » Rapidement, la faïence de Quimper se trouve un ambassadeur : « le petit Breton ». Dans l’entre-deux-guerres, les faïenceries font appels aux artistes bretons les plus renommés : Mathurin Méheut chez Henriot, tout comme le sculpteur René Quillivic chez HB. Les fondateurs du mouvement artistique des Seiz Breur – René-Yves Creston et Jeanne Malivel – produisent également un certain nombre de pièces en faïence.

La faïence: invention d'une Bretagne folklorisée? Carte postale. Collection particulière.

Au-delà de ces signatures prestigieuses, la réussite de la faïence de Quimper vient de sa capacité à avoir su vendre l’image d’une Bretagne folklorique auprès d’une clientèle de touristes. D’ailleurs, dans ces années 1960, « la faïencerie Henriot exporte une quantité importante de ses créations outre Atlantique ». Mais cette popularité à un revers pour les maisons quimpéroises prestigieuses, qui doivent faire face à l’émergence d’une production de masse de pièces en faïence bon marché qui inondent les magasins de souvenirs. Alors, pour éviter leur disparition définitive, les maisons HB et Henriot fusionnent en 1969 sous le nom de « Faïenceries de Quimper ». Après un dépôt de bilan en 1983, la production reprend l’année suivante sous le nom « HB-Henriot ». Au début des années 1990, la société absorbe Keraluc, tandis que la « Faïencerie d’Art Breton » (FAB) voit le jour sous l’impulsion notamment de  Pierre-Jules Henriot. Au début des années 2010, HB-Henriot connaît de nouveau des difficultés financières, mais l’entreprise est sauvée de la liquidation par Jean-Pierre Le Goff qui rachète également la société FAB. Au final, loin d’être tombée en désuétude, c’est bien contre les lois du marché que la faïence de Quimper doit désormais se battre !

Thomas PERRONO