La grève du Joint français en 1972 : le poids des maux , le choc de la photo

Il est des photographies qui en viennent à symboliser un événement tout entier. Tel est le cas de celle prise par Jacques Gourmelen, journaliste à la rédaction locale du quotidien Ouest-France, le 6 avril 1972, lors de la grève du Joint français à Saint-Brieuc. « Prise à l’instinct », de l’aveu de l’auteur, cette photo montre un ouvrier gréviste, Guy Burniaux, empoigner un CRS, du nom de Jean-Yvon Antignac, tout en pleurant de rage.

LA photo iconique de la grève du Joint français. Archives Ouest-France.

Mais loin de n’être qu’un simple affrontement entre grévistes et forces de l’ordre, le cliché met en scène le face-à-face entre deux anciens amis au lycée technique Curie. Toutefois, derrière le choc de la photo, il y a le poids des maux. Les ouvriers du Joint français sont en grève depuis le 13 mars, quand la tension monte d’un cran avec la séquestration dans l’usine de trois directeurs au début du mois d’avril. C’est pour mettre fin à cette situation que les gardes mobiles briochins de la CRS 13 interviennent.

Pourtant, quand elle s’installe dans la préfecture des Côtes-du-Nord au début des années 1960, à la faveur de la politique de décentralisation industrielle, l’usine du Joint français est perçue comme une opportunité de « faire vivre au pays » la jeunesse briochine. Ils sont alors près de 600 ouvriers pour fabriquer quotidiennement environ 1,5 million de joints divers. Mais la crise sociale couve très vite face aux cadences de travail imposées par les « trois huit ». De plus les salaires sont plus faibles que ceux octroyés aux ouvriers de la maison-mère de Bezons dans le Val-d’Oise. C’est pour réclamer un alignement entre les deux usines, soit une hausse de 70 centimes par heure, que les ouvriers briochins se mettent en grève le 13 mars 1972. Face à la sourde oreille de la direction parisienne, le conflit s’enkyste jusqu’à ce coup d’éclat du début du mois d’avril.

Le retentissement de la grève du Joint français prend alors de l’ampleur. Les médias nationaux, dont France Inter par l’intermédiaire de son journal Inter actualités de 13h présenté par Yves Mourousi1, relatent les événements. Un soutien financier parvient aux ouvriers briochins de la part d’usines de toute la France. La photo, qui fait la une du grand quotidien breton le 7 avril, est reprise notamment par Paris Match. Des concerts de soutien sont organisés pour soutenir la grève, autour de Glenmor et Gilles Servat en autres. La municipalité dirigée par le PSU d’Yves Le Foll vote également un soutien à la grève. Le 18 avril, ils sont près de 15 000 manifestants à défiler dans les rues de Saint-Brieuc. Face à la mobilisation, les dirigeants parisiens du Joint français finissent par céder aux revendications des ouvriers briochins. La grève prend fin le 8 mai 1972, comme le raconte un journaliste de l’ORTF :

« Il aura fallu huit semaines de grève, une dizaine d'entretiens avec le Préfet des Côtes-du-Nord, trois négociations avec la direction, des heures et des heures de discussion pour aboutir enfin à l'accord de samedi dernier. »2

Collection particulière.

Au final, au-delà du symbole d’une photo devenue un cliché pour l’Histoire, le conflit du Joint français soulève la question des réelles motivations de cette décentralisation industrielle : aménagement du territoire ou recherche d’une main d’œuvre moins onéreuse ? Par ailleurs, cette grève du Joint français participe du réveil de l’identité bretonne du début des années 1970, par un jeu d’opposition entre des ouvriers bretons exploités et des patrons capitalistes parisiens.

Thomas PERRONO

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « A Saint-Brieuc, grève à l’usine du Joint français », Journal de 13h Inter actualités, France Inter, 6 avril 1972, en ligne.

2 INA – L’Ouest en mémoire. « Fin de la grève au Joint Français à Saint Brieuc », Journal de 20h, ORTF, 8 mai 1972, en ligne.