Glenmor, un barde engagé

Emile Le Scanff – le nom à l’état civil de Glenmor – naît le 25 juin 1931, dans une famille paysanne, à Maël-Carhaix en plein cœur du pays bretonnant. Sa langue maternelle est d’ailleurs le breton, ainsi qu’il le rappelle lorsqu’il affirme quand « je suis parti en classe, je ne savais même pas un mot de français ». La poésie et la chanson bercent son enfance rurale : « tout le monde chantait les événements de chaque jour, souvent d’ailleurs, en dansant en même temps. Alors, j’ai vécu dans cette ambiance de création perpétuelle et populaire ».

Pourtant, ses études secondaires au petit séminaire de Quintin à partir de 1941, puis sa licence de philosophie à l’université de Rennes, auraient pu l’éloigner de cet univers musical rural. Mais il n’en est rien. Entre 1952 et 1955, celui qui se fait alors appelé Milig part sur les routes d’Europe :

« Je suis parti comme vagabond, […] et j’ai fait un sacré tour par la Grèce, la Yougoslavie et tout ça. J’ai même été en Russie à l’époque. »

Mais dans ce pays, il tombe gravement malade. Son aventure lui laisse « relativement un mauvais souvenir, [celui] des bords de route et de beaucoup de misères. » Son retour en Bretagne est pourtant de courte durée.

A la fin des années 1950, il débute sa carrière musical dans le quartier Montparnasse à Paris, notamment dans l’emblématique pub Ti-Joss de la rue Delambre. Il choisit alors le nom de scène de Glenmor« parce que je pense qu'en chaque homme il y a un certain poids de terre et un certain poids de mer ». Mais celui qui avoue n’être « heureux que chez [lui] […] parmi [s]es paysans », se sent « très mal à l’aise quand [il est] à Paris. » Si la « bretonitude qui se trimbale dans les bistrots de Paris » le rassure un peu, Glenmor semble montrer un profond dédain pour les Bretons de Paris. Pour lui, ces derniers ne « se font bretons [que] lorsqu’ils ont un coup de rouge dans le nez ». Il se montre même virulent quand il raconte :

« Hier soir, je discutais encore avec un jeune […] un bretonnant type militant qui se prétend militant breton et qui n’est à l’aise qu’à Paris. Il ne ferait jamais un effort de venir en Bretagne et de donner un peu ses connaissances à la Bretagne, ils ne sont bien qu’à Paris. Ben, ceux-là, bon, ils sont intégrés dans l’immigration, qu’ils y restent. » 

Il rejette également la figure de barde de Théodore Botrel :

« C’était un Breton de Paris […] qui exploitait la matière bretonne pour chanter dans les cabarets parisiens, ce qu’il a d’ailleurs bien fait dans son genre ; mais qui n’a rien à voir avec la Bretagne, rien à voir. »

Au-delà de la figure de « barde de Bretagne », Glenmor s’affirme, dans les années 1960-1970, comme un militant breton de premier plan. A une époque où la Bretagne voit émerger des revendications écologistes, il enregistre la chanson Les Oiseaux, qui  évoque les marées noires comme celle résultant de l’échouage du Torrey Canyon en 1967. Avec l’écrivain Xavier Grall, il lance au début des années 1970 le journal La Nation bretonne. Il affiche également son soutien à des figures du nationalisme breton, comme avec l’enregistrement d’un 33 tours en 1971, intitulé Hommage à Morvan Lebesque, auteur notamment du livre Comment peut-on être Breton ?1 Il soutient aussi la violence révolutionnaire qui anime une partie du mouvement breton dans les années 1970 : attentats contre l’émetteur de Roc’h Tredudon en 1974, contre la centrale de Brennilis en 1975, contre le château de Versailles en 1978… Il voit dans ces actes, « une solution de désespoir ». Les  militants bretons seraient ainsi poussés à la violence face à la surdité de l’Etat français vis-à-vis  des  causes qu’ils défendent : « si on ne me laisse pas d’autres chances, je serai pour la violence ». Il est par ailleurs l’auteur du Kan bale lu poblek Breizh,  qui devient l’hymne de l’Armée révolutionnaire bretonne (ARB).

Pochette du premier album de Glemor (détail). Collection particulière.

Mais par-dessus tout, Glenmor se « rêve en barde de la Bretagne ». Un barde à l’origine du renouveau celtique de la seconde moitié du XXe siècle, qui a débuté avec « 3 ou 4 personnes par soirée. » Et qui se montre heureux vingt ans plus tard de voir cette vague rayonner bien au-delà de la Bretagne : « aujourd’hui, je dois avouer que je suis largement récompensé. Alors si quelque chose pèse sur mes épaules, c’est beaucoup de joie en tout cas ».

Thomas PERRONO

 

1 LEBESQUE Morvan, Comment peut-on être Breton ? Essai sur la démocratie française, Paris, Le Seuil, coll. L'Histoire immédiate, 1970.