La petite Sibérie bretonne de Roger Thomas

Instituteur, Roger Thomas (1913-1982) incarne ces notables rouges de Centre-Bretagne, enracinés dans de « petites Sibéries » après 1945. Maire de Spézet (1956-1959, 1971-1977), il occupe brièvement les fonctions de Conseiller général de Carhaix (1955-1961). C’est sans doute là le sommet de sa carrière politique, le tournant de 1958 marquant le signe d’un déclin qui dit, en réalité, celui du Parti communiste en Bretagne et en France, malgré l’union de la gauche.

Spézet, petite Sibérie du centre-Bretagne. Carte postlae. Collection particulière.

Fils d’un laboureur et d’une ménagère, Roger Thomas (1913-1982), issu des catégories populaires, est scolarisé dans les écoles publiques, avant de fréquenter les lycées de Brest puis de Rennes jusqu'au baccalauréat. A sa sortie de l'Ecole normale en 1934, il devient instituteur puis directeur d'école à Spézet. Prisonnier de guerre, il adhère au PCF à la Libération. Signe du glissement à gauche du Centre-Bretagne, il est élu conseiller municipal PCF en 1945 à Spézet, commune dirigée par Pierre Lohéac (1924-1944), parlementaire conservateur. Après une vive tension entre communistes et socialistes au sein de la municipalité d’Yves Noblet, maire SFIO (1945-1949), Roger Thomas devient adjoint en 1953.

En 1955, il parvient à conquérir, à 42 ans, le siège de conseiller général de Carhaix, s’appuyant sur un important réseau d’élus communistes dans ce secteur. Roger Thomas l’emporte dans une triangulaire au second tour avec 3 492 voix (42.68 % des suffrages exprimés), contre 2948 au candidat SFIO Pierre-Louis Pinsec (maire de Plounévézel entre 1925 et 1959) et 1 742 voix à  Leclerc (MRP, notaire). Le canton avait déjà été acquis à la gauche socialiste avec Pierre Postollec, battu au renouvellement de 1949 par Lancien (ancien président du Conseil Général durant l’entre-deux-guerres), en raison des dissensions SFIO/PCF. Suite au décès du socialiste Joseph Coullouarn en 1956, Roger Thomas est élu maire PCF de Spézet à 43 ans. Investi dans le Mouvement de la Paix, il participe à une manifestation contre Speidel le 5 mai 1957 à Lesconil.

En 1958, il se présente dans la circonscription de Châteaulin en compagnie d’Yvon Pann (ouvrier), obtenant 11.5 % des suffrages exprimés. Dans ce scrutin s’affrontent plusieurs ténors politiques locaux : Jean Crouan (CNIP et gaulliste, président du Conseil général et maire), Suzanne Ploux (indépendante, maire), Hervé Mao (SFIO, maire de Châteaulin, 13.2 %), Edouard Lejeune (MRP, maire). Comme Hervé Mao  avait fait campagne pour le non, le PCF se désiste en sa faveur, mais le socialiste gaulliste breton, avec 37,7%, est balayé au second tour par Jean Crouan (62,2%). Le candidat du MRP Edouard Le Jeune s’était retiré deux jours avant le second tour. Défait aux municipales en 1959 par Jean Lollier, il est également battu au renouvellement cantonal de 1961, face à Jean Rohou qui entame une carrière politique atypique, à droite. Mais le siège de Carhaix est regagné par le PCF en 1973 avec Jean-Pierre Jeudy. Après une parenthèse à droite entre 1979 et 1998, le canton bascule en faveur de la gauche socialiste avec un ancien collaborateur ministériel de Kofi Yamgnane, à savoir Richard Ferrand, élu en 1998 et 2004.

Spézet, le bourg. Carte postlae. Collection particulière.

Roger Thomas regagne la mairie de Spézet en mars 1971 à 58 ans. Il est également candidat suppléant sur la liste PCF aux élections sénatoriales dans le Finistère le 26 septembre 1971. Avec une moyenne de 175 voix, les candidats PCF (Alphonse Penven, Louis Hémeury, Christophe Poulichet, Yvonne Folgoas) obtiennent  9.92 % des voix, avant de se désister au second tour en faveur de la liste socialiste (19.6 % des suffrages exprimés au 1er tour), conduite par Hervé Mao, ancien député entre 1956 et 1958. En 1977, il cède son fauteuil de maire à Yves Boullouard. La mairie de Spézet est reprise par les socialistes en 1983, avec Louis Rouzic, enseignant (dont le père Yves Rouzic, commerçant figure parmi les 6 élus SFIO en 1945), maire PS entre 1983 et 2008. Une rue de Spézet porte désormais le nom de Roger Thomas.

François PRIGENT