La pollution de l’air : un objet d’histoire invisible

La qualité de l’air est devenue, ces dernières années, un sujet de préoccupation important. Le 1er octobre 2015, par exemple, la vitesse autorisée sur la rocade rennaise est abaissée de 20 km/h avec pour objectif, entre autres, une baisse de la pollution atmosphérique par les véhicules.1 Des mesures jugées nécessaires car la qualité de l’air se dégrade régulièrement dans la métropole rennaise, comme le confirme six mois plus tard Le Télégramme.2 Malgré cela, le quotidien finistérien décerne une « mention bien pour les villes bretonnes », moins polluées qu’un grand nombre d’autres villes françaises : « Fougères et Saint-Malo figurent même dans le top 5 français pour la première et dans le top 10 pour la seconde ! » Le journaliste vante le « bon air breton ». Ah ! la belle image d’un Armor battu par les vents et un d’argoat où il fait bon respirer. Pourtant, pas plus tard qu’à la mi-mars 2016, le « seuil d'alerte aux particules fines PM10 [a été dépassé] dans les 4 départements bretons ».3

Carte postale. Collection particulière.

Si les médias du XXIe siècle évoquent périodiquement le sujet de la pollution atmosphérique et plus globalement de la qualité de l’air ; il en va tout autrement pour ceux du début du siècle précédent. Dans L’Ouest-Eclair, sur 45 années de parution (1899-1944) et 17 216 numéros, on ne trouve aucune mention des termes « pollution de l’air » ou « pollution atmosphérique ». Seule l’expression « air vicié » est régulièrement employée. Ainsi en 1917, une réclame pour les « pastilles Valda » vante le fait qu’elles « préservent les bronches et les poumons des dangers du froid, de l’humidité, des poussières, des microbes, des inconvénients de l’air vicié ou insuffisant ».4 L’air vicié est avant tout celui des intérieurs, comme celui des salles de classes, qui « oblige l’instituteur à ouvrir les croisées » afin de « renouveler l’air » et « rafraîchir les poumons ».5 Mais c’est aussi celui de la ville, comme l’illustre une réclame pour les « crèmes Vivaudou » en  1924 : « Voici deux femmes de trente ans. L’une habite en ville ; elle respire un air vicié par les poussières […] L’autre habite à la campagne. Elle est plus favorisée ; elle vit au grand air ».6 En contre-point de l’air vicié, il est en fait très courant d’exalter le « bon air pur » de la campagne. Il en est de même dans une publicité qui recommande d’acheter un appareil photographique Kodak pour capter les « scènes de vacances » à la campagne, là où l’on trouve : « le bon air pur, la belle nature ».7 De tout cela, on retient que le sujet de la qualité de l’air relève quasiment de la seule publicité et non de l’enquête journalistique. Pourtant, puisque l’on oppose le « bon air pur » à « l’air vicié », on admet implicitement qu’il existe une pollution de l’air. Mais ce n’est tout simplement pas encore un objet scientifiquement construit.
Pour cela, il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle, qui voit à la fois une industrie triomphante, ainsi que l’âge d’or  de l’automobile. A l’échelle internationale, le premier grand épisode de pollution atmosphérique à être médiatisé est incontestablement celui du Great smog londonien qui en 1953 cause la mort de plus de 4 000 personnes. Mais la première réelle prise en considération de la pollution atmosphérique ne date que de 1979, avec la création par l’ONU d’une Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, qui regroupe les principaux pays industrialisés.

Dans le même temps, en Bretagne, si une conscience écologique émerge à la fin des Trente glorieuses, c’est d’avantage autour du sujet de la pollution des eaux, plutôt qu’à propos de celui de l’air. Le naufrage du Torrey Canyon, qui souille les côtes bretonnes en 1967, semble être une sorte d’électrochoc. Le sujet de la pollution des rivières est quant à lui régulièrement mise en lumière comme une conséquence de l’intensification de l’agriculture bretonne. Il est aussi bien plus ancien : dès le XVIIIe siècle, des textes juridiques interdisent le rouissage du chanvre dans les cours d’eau afin de lutter contre la mauvaise qualité des eaux. Cette disparité entre pollution de l’air et pollution de l’eau, longuement effective dans les consciences et dans les médias, tient probablement au caractère largement invisible de la pollution atmosphérique. Il en est ainsi, par exemple, du nuage radioactif de Tchernobyl qui survole la Bretagne à la fin du mois d’avril 1986.

Carte postale du début des années 1970. Collection particulière.

Au final, la pollution atmosphérique, en tant qu’objet historique, relève autant de l’histoire environnementale, qu’économique, sans oublier l’histoire des mentalités, dans une opposition entre villes suffocantes et campagnes à l’air si pur.

Thomas PERRONO

 

 

 

1 Ouest-France, « Rocade de Rennes. Les nouvelles limitations de vitesse sont effectives », 1er octobre 2015, en ligne.

2 Le Télégramme, « Qualité de l’air. Mention bien pour les villes bretonnes », 6 mai 2016, en ligne.

3 France 3 Bretagne, « Bretagne : la pollution de l’air aux particules dépasse les seuils d’alerte », 14 mars 2016, en ligne.

4 L’Ouest-Eclair, 7 décembre 1917, p. 6.

5 L’Ouest-Eclair, 10 novembre 1905, p. 1.

6 L’Ouest-Eclair, 6 juin 1924, p. 10.

7 L’Ouest-Eclair, 10 juillet 1924, p. 10.