La Rentrée solennelle de l’Université de Rennes en 1966 : derniers feux d’un ancien monde universitaire ?

En ce 12 novembre 1966, toges universitaires et orchestre symphonique célèbrent en grande pompe la rentrée universitaire rennaise, au cœur du grand amphithéâtre de la faculté de droit. François Foucart, le jeune journaliste de Bretagne actualités, assiste, en tribune, à la cérémonie :

« En présence de très nombreuses personnalités, des professeurs de différentes disciplines en robes multicolores, c'est bien sûr monsieur le recteur Le Moal qui préside la cérémonie. A ses côtés, monsieur Habib-Deloncle, le secrétaire d'Etat à l'Education nationale. On note aussi la présence de monsieur l'ambassadeur de Côte d'Ivoire, et du ministre de l'éducation nationale de ce pays »1

Autant dire que cette rentrée a tout d’un événement mondain dans le Landerneau universitaire breton. Mais il n’en demeure pas moins que cette rentrée, comme toute rentrée du reste, constitue un excellent marronnier journalistique. Il n’est en effet pas certain que la seule solennité du rituel suffise à attirer les reporters en quête de sujets à traiter…

La faculté des sciences de Rennes dans les années 1950. Carte postale. Collection particulière.

Sous le regard du recteur Henri Le Moal, c’est Yves Milon qui prononce le premier discours. Directeur de l’Institut de géologie, ancien doyen de la Faculté des sciences, ce dernier a également été maire de Rennes, de tendance gaulliste, de la Libération jusqu’en 1953. Son propos est très classique dans son plaidoyer pour la « soif de connaissance » qui doit animer tous les « jeunes qui font leur premier pas sur cette route » de l’université : cette
« soif de connaître [qui] nous rend avide de trouver, de découvrir, de chercher. Voilà en quoi consistent la science, le savoir, la connaissance. Voilà quelle est la véritable origine de tout effort de l'esprit de l'homme ».

Plus encore, la vie n’est pas appréhendée comme « un but, la vie est un chemin, une aventure ». A cette époque, on est clairement très loin des discours actuels qui exigent que l’université se préoccupe de l’insertion professionnelle de ses étudiants. L’université sert alors à apprendre, et peut-être même surtout à apprendre à apprendre.

Par la suite, c’est Michel Habib-Deloncle qui rappelle les célébrations du « 500e anniversaire de la vénérable université de Rennes » qui s’étaient déroulées « voilà cinq ans […] dans ces mêmes lieux ». En effet, si l’université de Rennes est la descendante de l’université fondée à Nantes par le duc François II au milieu du XVe siècle, il faut pourtant attendre 1735 pour que la faculté de droit s’implante à Rennes auprès du Parlement de Bretagne. Et il faut avouer, au regard de la pompe de l’événement en 1966, que l’université semble plus accrochée aux lustres d’antan qu’au « miracle breton » qui prend forme dans les années 1960.

Pourtant, derrière les lustres de ce grand amphithéâtre de la Faculté de droit, les germes de la contestation étudiante de 1968 sont perceptibles. En effet, la démographie estudiantine est en pleine expansion à partir des années 1950. D’environ 6 000 étudiants au début de la décennie, Rennes en accueille plus de 10 000 en 1959. Au milieu des années 1960, ce chiffre a presque doublé. Cette massification de l’enseignement supérieur amène progressivement de nouveaux profils sociologiques, notamment plus populaires, au sein de l’université. Cette pression démographique pose notamment le problème de l’étroitesse des locaux situés en centre-ville. C’est ainsi que deux nouveaux campus sont construits au cœur des nouveaux quartiers urbanisés, aux marges de la ville : à Villejean pour la Faculté de médecine et des Lettres, à Beaulieu pour la Faculté des sciences.

La faculté des sciences Rennes 1 à Beaulieu. Carte postale. Collection particulière.

Plus encore, en 1969, trois ans après cette rentrée universitaire très solennelle et un an après Mai 68 – qui a notamment remisé au placard les toges universitaires –, l’université de Rennes se sépare en deux entités. Rennes 1 qui a conservé les anciens bâtiments de la place Hoche et Rennes 2, « la rebelle » de Villejean, deviennent deux sœurs difficiles à réconcilier. En témoigne le serpent de mer de la réunification de l’université de Rennes, dont le dernier épisode s’est conclu par un échec  cuisant en 2015.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 INA. « Rentrée solennelle de l'Université de Rennes ». Bretagne actualités, 12 novembre 1966, en ligne.