La Saint-Patrick vue de Bretagne

Chaque 17 mars, le monde entier se pare de vert tout en sifflant les verres de bière – en pinte de stout de préférence – et de whiskey. Il faut dire que, depuis quelques années, la Saint-Patrick a connu une véritable mondialisation, dépassant désormais largement le cadre de l’île d’Irlande et de sa très nombreuse diaspora. Concomitamment, c’est la signification même de cette fête qui a changé. On est ainsi très largement passé de la célébration religieuse d’un saint patron – comme peut l’être le pardon de Saint-Yves en Bretagne par exemple – à une fête avant tout populaire et – osons le mot – commerciale. En Bretagne, le « phénomène » Saint-Patrick est devenu également bien vivace et prend notamment la forme de concerts de musique celtique. Ce qui est loin d’être le cas dans la première partie du XXe siècle, une époque où la Saint-Patrick revêt un caractère politique plus affirmé.

Jour d’affluence au pub ! Wikicommons.

De ce fait, l’un de seuls moyens pour les Bretons de célébrer le Saint Paddy’s day  en 1938 est de se brancher sur l’émetteur de Strasbourg de la T.S.F. Au programme du « concert européen irlandais », on peut écouter une heure de chansons irlandaises aux accents autant nationalistes que traditionnels ou folkloriques, parmi lesquelles, outre l’hymne national : « marches des Fianna », « la marche de Brian Boru », ou bien « l’accueil de Charles ».

Dans les archives du quotidien breton de référence L’Ouest-Eclair, nous n’avons trouvé aucune trace d’une quelconque fête à caractère irlandais, un 17 mars, sur les terres de la péninsule armoricaine. En revanche, la fête de la Saint-Patrick apparaît à plusieurs reprises pour relater des événements en lien avec le contexte d’affirmation politique de l’Irlande et de son nationalisme. C’est le cas notamment au cours de la Grande Guerre, conflit au cours duquel se battent environ 200 000 volontaires irlandais. Ainsi, dans les jours qui suivent la Saint-Patrick 1915, un article relate que « des militaires irlandais nombreux dans notre région [Béthune] ont fêté la Saint-Patrick ». Une célébration marquée notamment par le port du « shamrock » –  la feuille de trèfle qui symbolise la Trinité chrétienne – sur les casquettes de soldats qui se battent pourtant aux côtés des soldats britanniques. En 1926, 10 ans après les événements dublinois de l’Insurrection de Pâques, et alors que la déclaration Balfour reconnaît la souveraineté totale des dominions de l’Empire britannique, la Saint-Patrick est émaillée d’événements. Le Premier ministre conservateur, Stanley Baldwin, est visé par un attentat alors qu’il allait « prendre la parole à un banquet donné à l’occasion de la fête irlandaise de Saint-Patrick ». C’est alors que « quelqu’un jeta du haut des tribunes un engin, bombe ou pièce d’artifice, qui mit le feu au tapis de la salle ». Le même soir, c’est une autre personnalité britannique de premier plan, le prince de Galles – futur Edouard VIII –, qui échappe à un autre attentat alors qu’il « était l’hôte d’honneur du Club Irlandais ». De manière beaucoup plus pacifique, en cette même année, L’Ouest-Eclair montre à sa une que la « Garde Irlandaise de Londres s’est associée à ces manifestations par une parade militaire ». Un joueur de cornemuse « épingle [même] fièrement à sa tunique » un trèfle, « symbole de la verte Erin ».

Mais on reste encore loin d’une Saint-Patrick, fête consensuelle d’une fierté irlandaise, voire celtique dans le cadre de la Bretagne. La Seconde Guerre mondiale est là pour nous le rappeler. Pendant le conflit, le Premier ministre – et grande figure du nationalisme irlandais - Éamon de Valera maintient son pays dans une politique de neutralité absolue. C’est ainsi qu’à l’occasion de la Saint-Patrick 1944, « M. de Valera affirme sa volonté de résistance aux pressions des Alliés ». Il justifie cette politique par un nationalisme protecteur de cette jeune République face à l’ancien colonisateur britannique :

« Nous existons aujourd’hui en tant que nation parce que nous résistons volontiers et que nous ne cédons pas. L’Eire sera toujours calomniée tant que de puissantes nations [Royaume-Uni mais aussi Etats-Unis] chercheront à justifier l’emploi de leur force pour obtenir ce à quoi, en toute justice, elles n’ont pas droit. »

Et comme pour rappeler que la Saint-Patrick demeure avant tout une fête religieuse pour les Irlandais, le Premier ministre poursuit son propos en faisant à un « vibrant appel [au Pape] Pie XII », comme pour placer l’Irlande sous la protection morale de l’Eglise catholique.

Carte postale. Collection particulière.

Tout ceci montre que dans la première moitié du XXe siècle la Saint-Patrick, vue depuis la Bretagne, demeure cantonnée à la question d’Irlande. Il faut attendre le renouveau celtique des années 1970 initié notamment par Alan Stivell, ou la notoriété de groupes comme les Dubliners ou les Pogues, pour que la musique irlandaise s’implante plus largement dans le paysage breton, contribuant par la même occasion à la popularité grandissante d’une fête, désormais populaire et culturelle, où les leprechaun font la loi.

Thomas PERRONO