Le Rheu : construire la ville à la campagne

Un bourg centré autour de son église paroissiale, un calvaire au croisement des artères principales, des enfants qui jouent dans la cour d’école ou bien une femme qui lave son ligne dans le lavoir : rien de plus banal dans une petite commune rurale bretonne des années 1960. Pourtant, Le Rheu, située neuf kilomètres – si l’on se fie au panneau routier devant la mairie – à l’ouest de Rennes, est à cette époque un véritable laboratoire urbanistique. C’est ce que nous montre un reportage télévisé de l’émission « La Terre et les hommes », le « magazine agricole des pays de l’ouest », diffusé le 19 février 1966 sur l’ORTF1.

Le bourg du Rheu. Carte postale. Collection particulière.

Au sortir de la guerre, Le Rheu est une petite commune rurale d’à peine un millier d’habitants. Sa population est vieillissante. En 1953, le nouveau maire Jean Châtel, élu à ce poste « sans [avoir été] candidat » voit alors dans l’ouverture de l’usine Citroën de la Barre-Thomas, une opportunité à saisir pour développer sa commune et croit déceler une « situation géographique d’avenir ». Ainsi dès juillet 1953, il fait adopter en conseil municipal un plan de développement en trois points : électrification rurale (réalisée en quatre ans), goudronnage des routes communales (réalisé en six mois) et surtout la réalisation d’une « idée originale » avec la construction d’un lotissement au village des Landes d’Apigné, à l’écart du bourg et le long de la « route de Lorient » qui relie la commune à Rennes. Entre mars 1955 et octobre 1957, 110 maisons sortent de terre. Le maire justifie son projet par le refus « de la vocation habituelle des communes rurales en périphérie des villes, c’est-à-dire la cancérisation généralisée de l’espace rural par la prolifération désordonnée de l’habitat ».

Pourtant, ce premier lotissement ne satisfait pas totalement ce maire – boulanger de profession – qui rêve de transformer le petit bourg rural du Rheu en une petite ville à la campagne. C’est alors qu’il découvre les théories de l’urbaniste Gaston Bardet autour du concept de cité-jardin. En 1957, Jean Châtel parvient à le convaincre de venir s’installer au Rheu pour y construire une « villette » dans laquelle les habitants trouveraient les avantages de la ville tout en profitant de la quiétude de la vie à la campagne. Désormais, les nouveaux projets urbanistiques se concentrent autour du bourg. L’étalement urbain le long des grands axes routiers est banni : « la route est faite pour circuler et non pour habiter » martèle le maire. Gaston Barbet met en application ses théories urbanistiques avec la construction de trois lotissements entre 1959 et 1967. Un habitat individuel s’organise autour de placettes et de chemins piétonniers. Un soin particulier est apporté au cadre de vie, afin que s’en dégage un air bucolique. On le voit aisément, les principes urbanistiques de Barbet s’opposent très largement aux théories fonctionnalistes alors très en vogue de Le Corbusier – les deux hommes entretiennent d’ailleurs une profonde inimitié – qui construit au cours des mêmes années sa Cité radieuse à Rezé.

Un lotissement du Rheu. Carte postale. Collection particulière.

Le nouveau visage du Rheu semble satisfaire ses habitants, comme en témoigne une commerçante, installée sur la commune depuis quatre ans : « Je m’y plais parce que c’est la campagne et la douceur de vivre ». Une autre habitante explique qu’elle « se plait mieux dans la périphérie car en dix minutes [elle] est à Rennes » et qu’elle trouve au Rheu « autant de facilités qu’à Rennes ». Ces deux témoignages montrent que la commune attire une population venue de la grande ville voisine. D’ailleurs, sur la décennie de présence de Gaston Bardet au Rheu, la population municipale triple, passant de 974 habitants en 1954 à 3 080 en 1968. Mais, plus notable sans doute, Le Rheu demeure encore de nos jours un exemple d’urbanisme original d’une ville à la campagne. Une commune qui continue de détonner, dans la mesure où, aujourd'hui, c’est toujours la campagne que nous cherchons à faire entrer en ville, par la construction d’éco-quartiers par exemple.

Thomas PERRONO

 

1 INA. « La commune du Rheu... D'hier à ... demain », La Terre et les hommes, ORTF, 19/02/1966, en ligne.