Rezé la radieuse ?

Le 16 mars 1955 des habitants de Rezé, commune de Loire-Atlantique située dans la périphérie nantaise, commencent à emménager dans une maison hors du commun. Ses dimensions ont en effet de quoi intriguer : 108 mètres de long, 19 de large et 52 de hauteur. Un véritable building qui préfère le terme d’unité d’habitation pour ses 294 logements reliés entre eux non pas par de vulgaires couloirs, comme dans n’importe quel immeuble, mais par des rues intérieures afin de constituer un véritable village vertical. D’ailleurs, sur le toit de la maison radieuse de Rezé se niche une école maternelle, où sont toujours scolarisés une cinquantaine d’enfants.

La maison radieuse du Corbusier à Rezé. Carte postale. Collection particulière.

10 ans après la chute du IIIe Reich, une telle construction est une aubaine dans la région. Si la mémoire collective réserve en effet aujourd’hui à des communes comme Brest, Lorient ou encore Saint-Nazaire, pour ne parler que de la Bretagne, le statut de « ville bombardée », Nantes parvient en effet difficilement à se relever des 16 et 23 septembre 1943 : à la Libération ce ne sont pas moins de 8 000 bâtiments qu’il faut reconstruire, tâche d’autant plus ardue que les restrictions sont omniprésentes.

A Rezé, l’édification de cette maison radieuse est d’autant plus délicate que le projet est couteux et suscite quant à sa nature même des réticences. Il est vrai que l’œuvre de Charles Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, ne laisse pas de marbre et peut provoquer quelques légitimes craintes tant elle parait rétrospectivement avant-gardiste. Pour autant, si aujourd’hui les accointances du Corbusier avec l’extrême-droite ne sont plus un secret pour personne, ce passé trouble ne semble alors poser aucunement problème. Finalement, les travaux débutent le 11 juin 1953 pour s’achever un an et demi plus tard avec l’emménagement des premiers habitants du village vertical.

Pensée pour des familles plutôt modestes, la maison radieuse de Rezé accueille principalement des employés, des ouvriers et des professions intermédiaires. Le foyer type est ainsi constitué d’un couple assez jeune avec deux enfants. Tous bénéficient de logements dont le confort et l’agencement paraissent pour l’époque particulièrement innovants : les pièces sont claires et lumineuses, les cuisines sont à l’américaine

Carte postale. Collection particulière.

Soixante après l’inauguration, le caractère révolutionnaire de cette maison radieuse s’est néanmoins grandement atténué. Au contraire, à l’instar du familistère Godin à Guise, de tels ensembles sont plutôt repoussants et ne sont pas sans évoquer certaines œuvres d’anticipation particulièrement anxiogènes, quelque part entre 1984 de Georges Orwell et Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Et c’est bien cela au final qui frappe lorsqu’on se penche sur l’histoire de cette utopie architecturale devenue réalité. Pensé dans les années 1930, rendu possible par la tabula rasa née en certaines cités bombardées pendant la Seconde Guerre mondiale, réalisé finalement au cours des années 1950, le concept de maison radieuse est au déjà assez ancien lorsqu’il sort de terre, pour ne pas dire presque périmé. D’ailleurs, comme un signe de cette discordance des temps, la façade du bâtiment qui est inauguré à Rezé en juillet 1955 est classée à l’inventaire des monuments historiques seulement dix ans plus tard. Et lorsqu’en 1971, les habitants de la maison radieuse ont la possibilité de se porter acquéreurs de leur logement, seuls 20% choisissent de devenir propriétaires.

Erwan LE GALL